Bateaux.com Magazine de la plaisance – Interview /
Chloé Torterat Publié le 29-03-2022
Devant la polémique qui enfle sur la non-conformité du trimaran SVR-Lazartigue de François Gabart et les échanges avec la classe Ultim 32/23 par voie de communiqué de presse, nous avons voulu en savoir plus sur la conception du bateau en contactant l’agence VPLP, le cabinet d’architecture navale qui a conçu l’Ultim en partenariat avec Mer Concept, l’écurie de course au large du skipper.
Vincent Lauriot-Prévost répond à nos questions.
Quel est votre avis sur les disparités d’opinion entre SVR-Lazartigue et la classe Ultim 32/23 ?
Le fond du problème c’est d’avoir conçu un bateau pour François et Mer Concept qui était le mieux en termes de modernité au moment de sa conception.
Nous l’avons fait en pleine conscience des réglementations.
Le bateau a été visité trois fois par le conseil de surveillance de la classe pendant la construction, qui n’a émis aucune objection.
La classe a mandaté trois experts reconnus pour valider ou invalider les choix qui ont pu être faits par rapport à un article des OSR (réglementation internationale de la course au large) qui définit la position des winchs par rapport à un pont.
Ils ont conclu que le bateau était conforme et satisfaisait à la réglementation. Le conseil de surveillance s’est rallié à cet avis.
La classe Ultim n’étant pas satisfaite du dossier a porté l’affaire devant le World Sailing qui rédige les articles de course au large.
On arrive dans une zone que je ne maitrise plus.
Cockpit protégé de SVR-Lazartigue © Guillaume Matefait
Pourquoi avoir choisi un concept de bateau très protégé ?
On l’a fait d’une part pour la performance, pour aller plus vite que les autres dans le respect des règles.
On a beaucoup travaillé pour certaines avancées technologiques en faisant évoluer les concepts précédents.
C’est notre manière de travailler comme on le fait pour tous les bateaux, comme pour Groupama 3 à l’époque par exemple.
Notre métier consiste à rendre les bateaux performants.
Mais pas à n’importe quel prix, car associé à la sécurité.
On s’est rendu compte avec Mer Concept qu’au vu du nouveau mode de navigation de ces bateaux, avec des accélérations et des décélérations plus rapides, il fallait protéger l’équipage en les enfermant sous une casquette.
Il y a trop de bateaux qui ont chaviré et perdu leur équipage pour prendre des risques.
Dans ce cockpit ultra protégé, dans le cas où le bateau chavire, l’équipage ne peut pas se retrouver dans l’eau à l’extérieur de son bateau.
Il est dans une cellule. L’aviation a aussi eu cette évolution entre le cockpit ouvert avec un pilote derrière un pare-brise et un cockpit fermé.
C’est la même chose pour les voitures de course ou les motos qui sont carénées et dont le pilote est casqué intégralement.
La performance implique de penser la sécurité autrement.
Cette conception a un double effet, car elle apporte un aérodynamisme plus poussé, et vraisemblablement une performance plus aboutie que les bateaux que l’on faisait avant.
Les bulles de pont de SVR-Lazartigue pour naviguer protéger © Thierry Martinez
Est-ce qu’il y a un travail en amont avec les classes ? Des échanges sur la conception ?
La classe a dépêché à 3 occasions deux experts.
Le conseil de surveillance est venu sur le chantier, chez Mer Concept pour visiter le bateau, voir comment ça fonctionnait.
Les rapports étaient sans aucune réserve. Je ne comprends pas ce retournement de situation alors que les choses ont été faites dans l’ordre et dans les règles. Le bateau était connu par la classe Ultim.
Est-ce que cela peut remettre en question l’architecture de projets futurs ?
Aujourd’hui l’occasion ne se présente pas puisqu’il n’y a pas d’autres projets d‘Ultim en cours.
En IMOCA, on a franchi le pas depuis longtemps avec Hugo Boss qui est sorti avant SVR-Lazartigue.
D’autres IMOCA sont sortis avec ce genre d’arrangement, comme Corum.
En IMOCA, on continue sur cette lignée.
Le bateau de Boris Herrmann sera un bateau avec une cellule de vie protégée et à l’abri.
Notre objectif est de protéger et de mettre à l’abri des gens qui naviguent contre les éléments. Quand on va à 40 nœuds et qu’on ajoute 20 nœuds de vent apparent, on ressent 60 nœuds.
Ce n’est pas tenable de naviguer comme ça.
C’est une voie logique de les protéger du vent, des éléments et d’éventuels accidents, car sur ces bateaux il est possible de perdre un mât ou de se retourner.
Il faut aussi protéger le marin et ne pas trop l’exposer.
Sur un bateau comme Hugo Boss, on est à l’intérieur.
Antoine, un de nos collaborateurs, a convoyé le bateau pendant 4 jours pour rentrer du Cap avec Alex.
Ils n’avaient pas besoin de sortir et il n’était pas soumis aux dangers extérieurs.
Quand on est sur des bateaux comme ça, à ces vitesses-là, l’extérieur met beaucoup plus en danger.
Le cockpit protégé de SVR-Lazartigue © Guillaume Gatefait
Si SVR-Lazartigue devait procéder aux travaux demandés par la Classe Ultim pour entrer dans la jauge, quels seraient-ils ?
Je ne sais pas. J’entends des rumeurs de modifications. Qui va décider de ces modifications ? Quels vont être les critères ? Qui valide ça ?
Les experts mandatés qui sont des gens professionnels, et agissent de même avec la classe IMOCA pour l’interprétation des règles, ainsi que le conseil de surveillance, ont indiqué que tout était conforme.
Pourquoi aujourd’hui réfléchir à effectuer des modifications sur quelque chose de conforme ?
Quels sont les enjeux en cours pour le trimaran SVR-Lazartigue ?
S’il n’est pas accepté dans la classe Ultim, il pourra naviguer, mais pas dans les courses de la classe.
C’est dommage, car la classe Ultim est très jeune. La flotte n’est pas nombreuse.
Aujourd’hui, il y a 3 armateurs dans la classe Ultim.
Quand j’entends dire que le bateau fait peur, car il est plus rapide que les autres, il ne faut pas oublier que sur la Jacques Vabre 2021, il est arrivé 2e, 10 h après le premier et 4 ou 5 h avant le 3e sur une course de 7 000 milles.
Il n’a pas « explosé » les compteurs. Il n’a pas été suffisamment rapide pour mettre tout le monde hors-jeu.
Je m’étonne de cette réflexion. Aujourd’hui, rien n’a prouvé que ce bateau avait des performances qui étaient vraiment au-dessus des autres.
On parle d’équité sportive et trois bateaux sont sortis du lot. Comment dire que le bateau arrivé second a été plus rapide que les autres et nuit aux concurrents ? Je suis dubitatif.
Dans tous les cas, nous allons continuer de faire des bateaux pour des skippers exigeants, qui font des courses avec l’envie de gagner.
On ne va pas nous reprocher de faire des bateaux rapides.
Dans tous les cas, je ne veux pas entrer dans la polémique, je trouve seulement la situation dommageable.