Par Mathilde Roy 19 mars 2021

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Imposer une taxe de 20 % sur les boissons contenant du sucre ajouté pour réduire ses méfaits sur la santé et faire face au déficit budgétaire creusé par la pandémie, c’est ce que propose une coalition d’organismes de santé en vue du dépôt du budget du gouvernement Legault.

Aux yeux de ces organismes, la taxation est un « signal clair » pour réduire la consommation de ces « bonbons liquides ».

« La boisson sucrée est la principale source de sucre ajouté dans l’alimentation des Québécois », martèle Corinne Voyer, directrice de la Coalition Poids, qui est en faveur d’une taxe depuis plusieurs années pour diminuer le taux d’obésité, qui a triplé au Québec depuis 30 ans.

En effet, les études montrent que les boissons sucrées ne sont pas étrangères au développement du diabète, des maladies cardiovasculaires et de la carie dentaire.

Selon la Coalition Poids, mais aussi plusieurs autres organismes, dont la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC (Cœur + AVC), une diminution de la consommation des boissons sucrées entraînerait une réduction des visites à l’hôpital et, par conséquent, une baisse des coûts liés aux maladies.

Ils soutiennent que, à elle seule, l’obésité représente pour les contribuables québécois 3 milliards de dollars par année.

« Une personne en santé coûte environ 544 $ par année ; une personne atteinte de plusieurs maladies engendre des coûts de 4822 $ par année et diminue grandement sa qualité de vie », mentionne Kevin Bilodeau, directeur des relations gouvernementales, Québec, à Cœur + AVC.

Une taxe qui rapporte

Cette mesure fiscale aurait aussi pour effet de stimuler l’économie, « à un moment où le gouvernement en a grandement besoin », estime Kevin Bilodeau.

Un récent rapport publié par des chercheurs de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) a modélisé les retombées d’une taxation sur les boissons sucrées au Québec.

« Une taxe de 20 %, par exemple, permettrait de recueillir près de 60 millions de dollars dès la première année », explique Catherine Haeck, professeure au Département de sciences économiques de l’UQAM, qui cosigne l’étude.

Cette estimation prend en compte une taxe sur l’ensemble des boissons avec sucre ajouté – y compris les jus de fruits et les laits et boissons végétales aromatisées – et les boissons gazeuses diètes.

Qu’est-ce qu’une boisson sucrée?

De manière générale, les boissons sucrées se définissent comme des boissons non alcoolisées, gazéifiées ou non, contenant des sucres ajoutés, ce qui inclut entre autres les boissons gazeuses, les eaux vitaminées, les boissons énergisantes et les cocktails de fruits, selon l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ).

Malgré la présence de sucre ajouté dans les cocktails de fruits et les laits aromatisés, ces produits sont la plupart du temps exclus de cette définition, car ils renferment aussi des éléments nutritifs.

Pour cette raison, ils ne devraient pas – dans l’immédiat du moins – être taxés au même titre que les autres boissons sucrées, selon la Coalition Poids.

Si la définition des boissons sucrées est large, c’est que la consommation de ce type de boissons a évolué dans les dernières années.

« Les Québécois consomment moins de boissons gazeuses traditionnelles qu’avant.

Par contre, comme le portefeuille de produits a explosé, les gens transfèrent leur consommation vers d’autres types de boissons sucrées qu’ils croient plus saines sans qu’elles le soient nécessairement, comme les boissons pour sportifs», dit Corinne Voyer, de la Coalition Poids.

Catherine Haeck précise que les boissons gazeuses demeurent tout de même la troisième boisson la plus achetée par les Québécois à l’épicerie, après le lait et l’eau embouteillée.

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« Les gens réagissent au prix »

Mais une taxe dissuade-t-elle vraiment les gens à boire des boissons sucrées?

« L’expérience internationale est assez concluante, tranche Corinne Voyer.

On observe un effet presque miroir.

Autrement dit, une taxe de 10 % permet de réduire de presque de 10 % la consommation.

Si on monte à une taxe de 20 %, on observe une diminution de près de 17 %.

Donc, oui, la taxe est un moteur dissuasif qui est efficace. »

Dans un rapport de 2018, l’INSPQ conclut aussi qu’il s’agit d’une « mesure de santé publique prometteuse ». L’institut rapporte qu’au Mexique, où une taxe de 10 % a été imposée sur les boissons sucrées en 2014, le pays a observé une baisse moyenne de 7,6 % des achats après deux ans.

La ville de Berkeley, en Californie, a imposé en 2015 une taxe de 1 sou américain par once (l’équivalent d’une taxe de 12 à 25 % du prix).

Résultat : le volume des ventes de boissons sucrées a chuté de 9,6 % après un an.

La coalition d’organismes milite pour qu’une taxe spécifique de 20 % imposée aux fabricants de boissons sucrées voie le jour au Québec.

« Le but est d’envoyer un signal au consommateur pour qu’il soit conscient que le prix a augmenté.

C’est un produit d’exception, dont on n’a pas vraiment besoin », dit Corinne Voyer.

Cette taxe doit apparaître dans le prix affiché – et non une fois à la caisse – pour qu’elle dissuade davantage les consommateurs d’acheter des boissons sucrées, soutiennent ceux qui militent en faveur de la taxation.

« Les gens réagissent au prix », observe Catherine Haeck.

Les limites d’une taxation

Selon la professeure de sciences économiques, une taxation en pourcentage n’aura toutefois pas le même effet sur l’ensemble des boissons sucrées.

« Les boissons gazeuses sont les plus consommées des boissons sucrées, mais ce sont aussi les moins chères sur le marché.

Une taxation en pourcentage ne fera donc pas diminuer autant la consommation de ce produit que d’autres, plus dispendieux, comme les boissons énergisantes. »

Les personnes les moins nanties seront aussi celles qui seront les plus pénalisées par une telle mesure fiscale.

« Nos résultats révèlent que les personnes ayant un faible revenu réagissent en moyenne plus fortement à un changement de prix.

Elles vont donc diminuer plus fortement leur consommation et le bénéfice sur leur santé pourrait être plus important.

Par contre, comme leur consommation est plus élevée, il est probable qu’elles paient tout de même une plus grande part de la taxe », explique Catherine Haeck.

Kevin Bilodeau, de Cœur + AVC, se dit conscient qu’une telle mesure aura des répercussions économiques plus importantes chez certaines populations qui sont des consommateurs assidus.

Il estime néanmoins qu’il s’agit d’un moyen efficace pour que ces gens se tournent vers l’eau plutôt que vers des boissons qui renferment près de 50 ml (10 c. à thé) de sucre par canette.

Selon Corinne Voyer, les Québécois sont en accord avec l’implantation d’une telle mesure, à la condition qu’elle soit accompagnée d’un réinvestissement en prévention.

« On peut penser à faciliter l’accès aux fruits et aux légumes pour certaines communautés défavorisées ou encore investir dans les écoles pour assurer la sécurité alimentaire.

Pour la population, on le voit, c’est l’équation qui vient renforcer la mesure. »

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