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« Certains ont mis des foils pour le marketing. » Dans cet entretien exclusif pour Voiles et Voiliers, Michel Desjoyeaux – double vainqueur du Vendée Globe – parle sans langue de bois des nouveaux bateaux, des choix architecturaux, des foils, des risques, des chances des uns et des autres…

Passionné et passionnant, il évoque aussi bien sûr la conception et la construction du bateau de Nicolas Troussel par sa société, Mer Agitée. Rencontre cash.

Michel Desjoyeaux : « Il y a trois grandes philosophies parmi les nouveaux bateaux du Vendée Globe ».

Michel Desjoyeaux : « Il y a trois grandes philosophies parmi les nouveaux bateaux du Vendée Globe ». | DOMINIC BOURGEOIS

Dominic BOURGEOIS Publié le 28/01/2020 à 08h29

Voiles et Voiliers : Le nouvel Imoca Corum l’épargne, pour Nicolas Troussel est-il est un dessin de Juan Kouyoumdjian managé par Mer Agitée ou c’est un mix Juan Kouyoumdjian et Mer Agitée ?

Michel Desjoyeaux : Juan Kouyoumdjian et son équipe réalisent le dessin et les calculs de structure, notre seconde structure, Mer Forte, s’occupe des systèmes embarqués (foils, safrans, mécanique générale, plan de pont accastillage…) et Mer Agitée pilote l’ensemble pour livrer un bateau fini. Il y a toujours des subtilités entre les plans d’architecte et la construction pratique… En fait, on a une coque très similaire à celle d’Arkéa-Paprec (mais avec une stratification différente) et un pont spécialement conçu pour ce monocoque : Corum l’épargne n’a pas de vrai jumeau.

Voiles et Voiliers : Comment s’est fait le choix de l’architecte ?

Michel Desjoyeaux : Il se trouve que Nicolas Troussel avait déjà bien avancé avec Juan Kouyoumdjian avant que Mer Agitée ne rentre dans la boucle. Et cela tombait bien parce que j’avais déjà travaillé avec Juan et son équipe il y a quelques années (quand les Espagnols Iker et Xabi voulaient faire un Imoca après avoir loué Foncia 2007) : j’avais vraiment envie de collaborer de nouveau avec Juan.

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« | CORUM L’ÉPARGNE N’A PAS DE VRAI JUMEAU » J.B. EPRON / CORUM L’ÉPARGNE

Voiles et Voiliers : Au niveau des formes, c’est une carène que tu avais déjà imaginée ?

Michel Desjoyeaux : Il y a des choses sur lesquelles je n’interviens pas : nous nous sommes focalisés sur le plan de pont, l’organisation du cockpit et les systèmes. Les outils dont dispose un architecte aujourd’hui sont nettement plus sophistiqués que mes avis ! Mais ce sera un monocoque Imoca original.

Il y a trois grandes philosophies parmi les bateaux du Vendée Globe, plus le cas de L’Occitane qui est intéressant

Voiles et Voiliers : S’il fallait résumer l’évolution de la classe Imoca, que dirais-tu ?

Michel Desjoyeaux : On a trois grandes philosophies parmi les nouveaux bateaux du prochain Vendée Globe : CharalDMG-Mori et Hugo Boss : des dessins VPLP plutôt étroits à l’arrière. Apivia et aDvens sont des dessins de Guillaume Verdier, plutôt larges et plats, auxquels il faut ajouter les plans Juan Kouyoumdjian : Arkéa-Paprec et Corum l’épargne. Et enfin L’Occitane, dessiné par Sam Manuard, totalement différent avec sa coque étroite, son avant spatulé et ses foils rehaussés…

Le cas de LOccitane en Provence est intéressant même si un des problèmes qu’il semble y avoir sur les bateaux à foils, c’est qu’il manque un point d’appui (le fameux « troisième pied du tabouret »), donc un souci d’équilibre longitudinal sans gouverne de safran quand on veut voler.

Michel Desjoyeaux cash : « Les nouveaux IMOCA sont comme des tabourets auxquels il manque un pied »

« Le cas de L’Occitane est intéressant… L’idée du team d’Armel Tripon semble d’éviter de faire entrer l’étrave dans l’eau ». | PIERRE BOURRAS

C’est relativement facile de « rester en l’air » dans des conditions stables et de mer modérée en étant toutefois très incisif à la barre, mais dès qu’il y a de la mer, l’étrave peut entrer dans l’eau et plutôt violemment.

L’idée du team d’Armel Tripon semble donc d’éviter de faire entrer l’étrave dans l’eau… Mais avant de toucher l’eau, l’étrave aura beaucoup plus basculé qu’avec un brion proche de la surface !

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À voir en fonction des foils. Car d’après la jauge Imoca, il faut qu’ils soient « rétractables », donc pas comme ceux de la Coupe de l’America : il faut rentrer une partie du foil… Ce n’est donc pas compatible. Mais les foils de L’Occitane sont-ils en « T », en « Y », ou autre chose ? Réponse début février.

Michel Desjoyeaux : « Il faut toujours casser un peu pour évoluer ! »

Mer Agitée n’intervient pas sur le profil des foils, mais on est assez intéressé par la courbe continue d’Hugo Boss

Voiles et Voiliers : Avec Corum l’épargne, on est donc sur la philosophie d’une carène très plate en dessous, avec des foils plutôt grands et un vol bas…

Michel Desjoyeaux : Je te laisse la responsabilité de tes propos. Parce que lors du Défi Azimut, il y a des bateaux qui ont volé très haut ! Charal faisait l’an passé du « marsouinage » alors que cette année, il maîtrisait beaucoup mieux le vol. Et c’est peut-être bien de voler haut dans la mer formée ? Mer Agitée n’intervient pas sur le profil des foils, mais on est assez intéressé par la courbe continue d’Hugo Boss

Voiles et Voiliers : Maintenant que la quille est standard, que le mât est standard, il n’y a réellement que les foils qui font la différence !

Michel Desjoyeaux : Il y a tout de même le plan de voilure, la forme des foils et le poids du bulbe. Quelles voiles vont embarquer les skippers pour le Vendée Globe ? Sachant qu’il n’y a que huit voiles à bord… Ce n’est pas parce que tu as le même mât que tu auras la même configuration de voiles : or cela conditionne la polyvalence et les phases de transition.

« Lors du Défi Azimut, il y a des bateaux qui ont volé très haut ! Charal faisait l’an passé du « marsouinage » alors que cette année, il maîtrisait beaucoup mieux le vol » | CHRISTOPHE FAVREAU / DÉFI AZIMUT

Voiles et Voiliers : Mais tout le monde va converger après The Transat CIC et la New York-Vendée, non ?

Michel Desjoyeaux : Il y aura peut-être des convergences mais les délais de fabrication sont courts ! Et il y a toujours le choix d’embarquer un spinnaker en lieu et place d’un gennaker… Mais c’est un autre débat. Personnellement, j’avais treize voiles en 2008 et Alex Thomson dix-huit.

Voiles et Voiliers : Et côté foils ? Ce ne sont plus des appendices d’appoint !

Michel Desjoyeaux : D’abord, il y aura des objets flottants non identifiés… On voit que plus ça va vite et plus c’est large, plus il y a d’impacts. Mais tout le monde ne touche pas et quand c’est le cas, il y a des appendices résistants et d’autres moins. On ne nous dit pas tout !

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Le problème avec les foils, c’est que plus ils sont fins, plus le bateau va vite mais moins ils sont résistants aux chocs. Mais on voit bien qu’il y a une marche de franchie entre la génération 2016 et la nouvelle.

Il y en aura six ou sept qui arriveront aux Sables-d’Olonne à peu près « entiers » avec leurs foils

Voiles et Voiliers : Et on sait qu’il faudra arriver parmi les premiers dans les Quarantièmes !

Michel Desjoyeaux : C’est le but. Mais il ne faudra pas toucher : il y aura forcément des avaries. Certains ont mis des foils pour le « marketing », mais ils n’iront pas assez vite pour suivre le rythme.

Il y a huit monocoques Imoca neufs (Charal, Hugo Boss, DMG Mori, aDvens, Apivia, Arkéa-Paprec, Corum l’épargne, L’Occitane) pour cette édition. Et quelques-uns ont été « boostés » avec de nouveaux foils (PRB, Initiatives Cœur…) : on peut donc imaginer qu’il y en aura six ou sept qui arriveront aux Sables-d’Olonne à peu près « entiers » avec leurs foils… C’est déjà pas mal !

Avant le dernier Vendée Globe, j’avais fait un tableau avec les projets « gagnants » et les challenges « coubertinistes » (« L’essentiel est de participer. Pierre de Coubertin – N.D.L.R.) : le taux de franchissement de la ligne d’arrivée était en faveur des « coubertinistes », ce qui est logique puisque les bateaux allaient moins vite et que les skippers poussaient moins leur machine. Et quand tu tapes, ça fait moins de dégâts.

Voiles et Voiliers : Et maintenant, il faut la version 2 des foils ! Ce qui coûterait près de 500 000 euros ?

Michel Desjoyeaux : Non, ça ne coûte pas autant ! La paire de foils est moins chère : il faudrait que tu changes tout, les puits aussi, pour atteindre une telle somme.

Sur le papier, le vainqueur sera un bateau neuf, mais la réalité du terrain peut bouleverser les pronostics

Et puis, il y a la traversée du pot au noir…

Michel Desjoyeaux : Ce n’est pas ce qu’il y a de plus facile. Personnellement, je n’ai pas souvent été bon sur cette phase, à part en 2007 où j’ai eu du bol. Il faut savoir sortir la tête du cockpit… Ce sont aussi des paramètres qui vont jouer sur le Vendée Globe. Et entrer en tête dans les Quarantièmes, ça met en confiance !

Sur le papier, le vainqueur sera un bateau neuf, mais la réalité du terrain peut bouleverser les pronostics. Et j’attendrais aussi 2024 pour voir des gouvernes sur les safrans, ce qui ne signifie pas que je serai partant : j’ai passé l’âge…

Rencontre sur un ponton irlandais, sur la dernière Solitaire du Figaro, de deux monstres sacrés de la course au large : Michel Desjoyeaux et Loïck Peyron. | ALEXIS COURCOUX

Voiles et Voiliers : Et Corum l’épargne sera mis à l’eau quand ?

Michel Desjoyeaux : Il sera prêt pour The Transat CIC. À la fin janvier, nous commençons les phases de peinture : le mât est prêt, la quille est là, les voiles arrivent, les safrans sont en finition, la construction des foils chez Multiplast va débuter…

Voiles et Voiliers : Et Michel Desjoyeaux, il continue à faire du bateau à voile ?

VIDÉO. La Solitaire. Quand Michel Desjoyeaux s’amuse dans la brume

Michel Desjoyeaux : Je participe à des séminaires en mer et à terre mais la compétition n’est pas à l’ordre du jour. Pas de Solitaire du Figaro cette année puisque le bateau de Mer Agitée est loué pour le projet féminin du Pôle de Port-la-Forêt. Je m’occupe surtout de Corum l’épargne