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C’est la question que beaucoup de monde se pose depuis le terrible naufrage de PRB alors qu’il était troisième du Vendée Globe, à une journée du cap de Bonne-Espérance. Tentatives de réponses.

Après le naufrage de PRB, des questions sur les causes restent en suspens. | JEAN-MARIE LIOT

Didier RAVON avec Laurène COROLLER. Publié le 03/12/2020 à 12h16

Comment un bateau de course conçu pour le tour du monde, dessiné par le duo ayant dessiné les deux derniers bateaux vainqueurs du Vendée Globe, construit par l’un des chantiers les plus réputés, mené par un marin-ingénieur spécialisé dans la construction et les structures, a-t-il pu se casser comme un jouet en porcelaine après un surf et un enfournement ?

Personne n’a à ce jour la réponse, peu de monde se presse au portillon pour s’exprimer, et le bateau a coulé emportant ses secrets.

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Petit rappel de la genèse de PRB. Il a été dessiné par les architectes Verdier VPLP, construit chez CDK Technologies il y a dix ans pour le Vendée Globe 2012-2013 avec Vincent Riou, et dans les moules de Safran.

Le 25 novembre 2012, Vincent Riou, le vainqueur du Vendée Globe 2004-2005, alors dans le groupe de tête, percute une bouée métallique dérivant au large du Brésil, et doit abandonner.

Quatre ans plus tard presque jour pour jour, et toujours dans le Vendée Globe, nouveau coup du sort pour Vincent Riou, qui heurte un OFNI. Une rotule en plastique au niveau de la quille est en cause.

Pas question de poursuivre dans les mers australes ainsi. Vincent Riou fait route sur Le Cap et abandonne.

Riou possède non seulement la plus grande expérience en matière de 60 pieds Imoca, mais a aussi construit des bateaux. Afin de le maintenir au goût du jour, il multiplie les chantiers d’optimisation, travaille sur les safrans, installe en 2018 des foils dessinés par Juan Kouyoumdjian, ce qui « booste » d’autant le bateau.

Il « cède » le bateau et le « guidon » à Kevin Escoffier, équipier recherché, ingénieur brillant, longtemps responsable du Bureau d’Études du Team Banque Populaire, et qui après un Trophée Jules Verne remporté avec Loïck Peyron, puis deux Volvo Ocean Race (3e en 2015 et vainqueur en 2018) avec Charles Caudrelier, endosse la casquette de skipper de PRB.

Dans ses premiers témoignages, Kevin Escoffier raconte que son bateau s’est plié en deux. Un fait pas banal qui mérite de chercher des explications | YANN RIOU/POLARYSE

Nous savons que la légèreté est la cause principale des problèmes qu’a pu rencontrer PRB par le passé

Ce dernier est régulièrement cité comme un sérieux outsider, a brillé dans les courses d’avant Vendée Globe, est très à l’aise dans le petit temps.

Il n’est pas inintéressant de relire après ce qui s’est passé le 30 novembre dernier quand son bateau s’est subitement brisé en deux sans prévenir, ce que disait Kevin Escoffier il y a quelques mois :

« Nous savons que la légèreté est la cause principale des problèmes qu’a pu rencontrer PRB par le passé. C’est pourquoi nous avons travaillé dans le but de gommer ses problèmes de jeunesse, en renforçant le fond de coque, l’axe de quille et le pont. Comme PRB était l’un des bateaux les plus légers de la flotte, on a accepté de prendre un peu de ce delta de masse pour le mettre dans des renforcements divers afin de la fiabiliser au maximum, et aussi mieux supporter le travail des foils. »

Interrogé à bord de Yes We Cam, Kevin Escoffier juste après son sauvetage a confirmé avoir rajouté 200 kg de carbone et de résine, affirmant être certain d’avoir fait ce qu’il fallait.

Lui ne s’expliquait pas un tel scénario. Sa colossale expérience en matière de structure de bateaux plaide pour lui, et ce dernier assume d’autant plus ses choix, qu’il a endossé lors de la préparation du Vendée Globe le rôle de patron du Bureau d’Études, et n’est pas du genre à se défausser. Et pourtant !

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L’Imoca PRB se serait brisé en deux au niveau de l’avant du bateau avant de couler. | JEAN-MARIE LIOT

E = MC2 ! En clair, les efforts croissent comme le carré de la vitesse…

Nous avons demandé à Laurent Cordelle, architecte naval (il a été à l’origine du Groupe Finot), expert maritime, régatier depuis plus de cinquante ans, et qui a couru sur tous les bateaux ou presque et sur toutes les mers du monde, de la Coupe de l’America à la Whitbread, de nous donner son sentiment.

L’ancien vainqueur de la Solitaire du Figaro n’est absolument pas surpris par ce qui est arrivé à PRB, et apporte son éclairage.

« Depuis le début de l’humanité, on assiste à des progrès en tout genre, notamment techniques, ce qui permet d’améliorer les performances. Mais il y a un certain nombre d’éléments qui restent sur notre bonne vieille planète Terre et mer, et qui sont les éléments naturels.

N’en déplaise aux écolos, et malgré le réchauffement climatique, ces éléments naturels n’ont que très peu changé. Les vagues sont toujours les vagues, les avalanches sont toujours les avalanches… On a eu des tempêtes de tout temps, et qui ont envoyé un certain nombre de navires par le fond. »

Laurent Cordelle est expert maritime mais surtout une longue expérience de la course au large. | YVES RONZIER

Et d’ajouter : « Si l’on revient à des temps pas si anciens, les bateaux de course au large quand il y avait 40 nœuds de vent, se mettaient à la cape. Il est hors de question de revenir à des pratiques comme celle-ci, mais il faut bien reconnaître que si l’on porte allégrement certaines voiles avec bonheur par force 8 sans aucun problème, il y a eu ces dernières années un pas énorme qui a été fait dans l’augmentation de la vitesse des voiliers.

Pour rappel, les efforts croissent comme le carré de la vitesse… et donc ça va très vite au sens propre et figuré du terme. En passant de 20 à 30 nœuds voire plus sur les 60 pieds Imoca, je n’ai pas fait le calcul, mais l’augmentation de ces contraintes est considérable. Les contraintes que l’on peut calculer, sont d’un domaine relativement mince, puisque ce ne sont que des contraintes hors effet dynamique des vagues.

Bien sûr, tout un tas de bureaux d’études et d’architectes diront qu’ils ont modélisé l’impact sur les vagues etc. etc., ce qui n’est pas faux, mais il n’empêche que l’on ne connaît pas la direction et la force des impacts que l’on peut avoir contre des vagues quand la mer n’est pas toute plate. Et ces contraintes sont encore accrues dans le domaine d’ignorance dans lequel nous sommes.

L’asymptote devient non identifiable. L’on arrive à des bateaux certes qui vont très très vite, mais qui sont soumis à des contraintes très très fortes, et avec des conséquences que l’on connaît mal. »

Lors du Vendée Globe 2016, Thomas Ruyant avait dû abandonner la course car son bateau s’était cassé, un peu à la manière de PRB. | THOMAS RUYANT

Laurent Cordelle n’est donc nullement surpris de voir un certain nombre d’avaries lors du Vendée Globe. « Je rappelle qu’il y a quatre ans déjà, sur la foi de photos que j’ai étudiées, le 60 pieds Imoca Le Souffle du Nord pour le projet Imagine de Thomas Ruyant, a connu (au large de la Nouvelle-Zélande, ndlr) un plissement hercynien (utilisé en géologie) qui pour moi est exactement à ma connaissance un scénario assez analogue à PRB.

Alors qu’il a été dit un peu partout que Thomas Ruyant aurait heurté un conteneur ou une bille de bois, il n’y avait aucune trace de choc sur les œuvres vives, mais un plissement hercynien (déformation par compression, ndlr) sur le pont parfaitement symétrique, d’une quarantaine de centimètres en avant du mât et d’un livet à l’autre.

Le pont était plié. Autrement dit, le bateau était dans une situation très proche de celle de PRB.

Et comme ce dernier (PRB) était peut-être plus rigide et performant, il a tenu tenu tenu, n’a pas eu de plissement hercynien, et s’est brisé en deux. »

Je suis surtout surpris par la vitesse à laquelle ça s’est passé

Damien Guillou, boat captain de PRB, faisait partie de l’équipe de veille quand Kevin leur a annoncé par message qu’il coulait. | PRB

Pour Damien Guillou, boat captain de PRB, la question reste encore en suspend :

« Je suis surtout surpris par la vitesse à laquelle ça s’est passé. Pour avoir vécu la même situation avec Bernard Stamm sur Cheminées Poujoulat en 2013 (l’Imoca s’était cassé en deux à 180 milles au large de Brest), le bateau s’était carrément dissocié en deux mais ça n’était pas allé aussi vite que ça malgré tout.

On avait eu le temps de préparer l’histoire et de rester à bord, il y avait encore de la flottabilité. Là, ce qui paraît impressionnant c’est que pour Kevin c’était très rapide. Il a à peine eu le temps de faire deux messages. C’est à se demander où ça a cassé.

Je pense que la cassure a cassé un peu la cellule de vie. En avant de la cloison de mât, on a des portes étanches qui permettent de ralentir l’entrée d’eau dans la partie de vie et de garder de la flottabilité. Mais il n’a peut-être même pas eu le temps de les fermer. » Le boat captain avait supervisé le renforcement de la structure cet hiver.

« Le bateau en effet a eu le fond de coque renforcé. On est passé en mousse sandwich. On avait passé tout le fond de coque en mousse parce que c’est un foiler et que les fonds de coque prennent plus d’impact. On a plutôt travaillé sur la partie centrale parce que c’est cette partie-là qui prend les chocs normalement quand le bateau est en semi vol. »

Comprenez que les pressions exercées sur les foilers sont généralement exercées dans les parties centrales. Il est donc étonnant que l’étrave ait pu plier comme raconte Kevin. Mais difficile d’enquêter sur un bateau qui gît au fond des mers du Sud…

Il ne faut jamais oublier qu’un tour du monde, n’est pas un circuit de Formule 1…

Il est tentant de demander à Laurent Cordelle ce qu’il pense aussi des avaries structurelles de Hugo Boss. Lui dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas :

« Lors de la dépression tropicale Thêta, toute la flotte a évité de s’approcher du centre, sauf un, Alex Thomson… et c’est le premier qui a cassé (Jean Le Cam lui aussi a rasé le centre mais sur un bateau à dérive et fiabilisé ; ndlr). Cherchez l’erreur !

La plupart des concurrents du Vendée Globe ont réagi en très bons marins en n’allant pas au feu dans Thêta. Cela me rappelle le camarade Loïck Peyron lors du Trophée Jules Verne sur Banque Populaire. Alors qu’ils étaient sur le retour en Atlantique Sud, et remontaient, il a engueulé ses équipiers comme du poisson pourri car ils avaient fait une pointe à 42 nœuds, alors que la consigne était de ne pas dépasser 37 nœuds ou quelque chose comme ça ! »

Et Cordelle de conclure : « Il ne faut jamais oublier qu’un tour du monde, n’est pas un circuit de Formule 1… ni une régate en F 18 ou sur des bateaux de la Coupe de l’America. On a parfois tendance à banaliser les choses et à l’oublier… et c’est très français de toujours vouloir faire plus… »

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