Le Vendée Globe est l’aventure d’une vie pour de nombreux marins, synonyme d’une longue préparation, notamment du point de vue mental.

Article rédigé par Apolline Merle – envoyée spéciale aux Sables d’Olonne (Vendée)

France Télévisions – Rédaction Sport – Mis à jour le 09/11/2024 11:23

Vendée Globe 2024 : sophrologie, autohypnose, immersion avec le Raid… Comment les skippeurs se préparent mentalement à la course

Le skipper Louis Burton a beaucoup travaillé la dimension mentale lors de sa préparation pour son quatrième Vendée Globe. (Benjamin Sellier – Wind4production) Une image contenant Visage humain, sourire, personne, habits

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Le skipper Louis Burton a beaucoup travaillé la dimension mentale lors de sa préparation pour son quatrième Vendée Globe. (Benjamin Sellier – Wind4production)

Dans le monde de la voile, le Vendée Globe est souvent surnommé l’Everest des mers.

La comparaison est loin d’être anodine. Du point de vue mental, ce tour du monde à la voile, en solitaire, sans escale ni assistance est un exploit hors norme(Nouvelle fenêtre), qui mène près d’un skippeur sur deux à l’abandon lors de chaque édition.

« Le Vendée Globe est la course qui demande la meilleure capacité mentale.

Sans forfanterie, c’est l’un des exercices les plus difficiles sportivement.

Ce n’est pas pour rien qu’elle a lieu tous les quatre ans, car cela peut broyer des marins », reconnaît Jérémie Beyou, au départ de son cinquième Vendée Globe.

« Il n’y a rien de plus extrême que le Vendée Globe. L’océan est l’endroit le plus hostile à l’homme.

Et il n’y a rien d’autre qui demande à un homme ou une femme d’être aussi loin, aussi seul, aussi longtemps », appuie le skippeur Eric Bellion.

Pour se préparer à un tel défi personnel, les skippeurs ont tous des méthodes différentes.

« Ma préparation, c’est d’être sur le chantier tous les jours, de bricoler, de bien connaître mon bateau et d’avoir confiance en ses capacités », tranche Jean Le Cam, qui a toujours fini dans le top 10 à l’exception de 2008, sur abandon.

A l’aube de son sixième départ consécutif, le Breton de 65 ans n’a jamais eu besoin d’un préparateur mental.

« Cela pourrait même m’embrouiller le cerveau plutôt qu’autre chose », sourit-il.

Sophrologie et visualisation

Le Breton fait partie des rares marins au départ de ce Vendée Globe à ne pas avoir la moindre préparation mentale.

Pour être prête pour « la plus grande aventure » de sa vie, Violette Dorange, « travaille à fond » ce domaine : « Je travaille sur ce sujet depuis mes débuts en voile, à huit ans, toujours avec la même personne.

À l’époque, c’était déjà un atout car j’étais la seule à en faire », témoigne la navigatrice de 23 ans, benjamine de cette édition.

Au programme pour la skippeuse de Devenir : exercices de sophrologie et de visualisation, échanges autour des émotions et apprentissage de la gestion du temps.

« Je fais des cycles de trois mois (la durée moyenne pour boucler la course) afin de voir à quelle vitesse passe le temps, pour me rassurer », résume celle dont l’objectif est de boucler ce tour du monde.

« Il y a la gestion du stress, de l’inconnu, de l’ennui en mer ou des peurs, pour analyser ce que je ressens et apprendre à dédramatiser. » Violette Dorange, skippeuse de Devenir à franceinfo: sport

Dédramatiser, c’est aussi ce qu’est parvenu à faire Jérémie Beyou en 2020.

Avec la casquette de favori, il avait été contraint de rentrer aux Sables d’Olonne pour réparer son Imoca, victime d’une avarie, avant de repartir neuf jours plus tard, loin derrière le peloton de tête.

« Le travail avec ma psychologue de l’époque m’a vraiment aidé.

Le fait de bien me connaître, de savoir où je voulais aller et comment, tout en se rappelant ce qu’on avait mis en œuvre pour préparer cette course, m’a permis de trouver les ressources pour repartir.

C’est l’une des épreuves les plus compliquées de ma carrière sportive », se remémore le skippeur de Charal, finalement 13e lors de cette édition.

Désormais, il prend beaucoup de recul avec le statut de favori qui « n’apporte pas de points ou de mille d’avance ».

La skippeuse française Violette Dorange navigue sur son monocoque Imoca Devenir, au large de Lorient (Morbihan), le 23 avril 2024. (SEBASTIEN SALOM-GOMIS / AFP)

La skippeuse française Violette Dorange navigue sur son monocoque Imoca Devenir, au large de Lorient (Morbihan), le 23 avril 2024. (SEBASTIEN SALOM-GOMIS / AFP)

Comme Jérémie Beyou, Charlie Dalin, deuxième du dernier Vendée Globe, a appris de sa première participation sur la gestion des émotions « exacerbées » par cette course. 

« On peut être heureux le matin, voire euphorique car on a creusé l’écart avec les autres, et à midi, être un peu au fond du trou car on a cassé une pièce », souligne le skippeur de Macif santé prévoyance.

« Avant le Vendée Globe, je pensais être un métronome au niveau des émotions et être capable d’encaisser. Mais en fait, il t’atteint. À la différence d’autres sports, nous n’avons pas de coachs ou de supporters au bord du terrain pour nous remobiliser. » Charlie Dalin, skipper Macif santé prévoyance à franceinfo: sport

Pour sa deuxième participation, Eric Bellion sait l’importance du mental : « En 2020, j’avais travaillé sur mes motivations à participer.

Je ne voulais pas avoir quelque chose à prouver à quelqu’un.

Aujourd’hui, je suis davantage porté sur l’aspect compétition, sur le fait de m’assumer en tant que compétiteur.

On a aussi préparé tous les scénarios possibles pour réagir au mieux aux coups durs », confie le skippeur de Stand as one.

« Peut-être que les situations n’auront rien à voir avec ce qu’on aura préparé, mais il aura les clés pour garder son sang-froid et trouver les solutions à partir des sujets que l’on aura déjà abordés ensemble », précise Gérard Vaillant, son coach mental, qui a augmenté le rythme des séances à mesure que le départ approchait.

« Ici, le travail est de se rendre compte que la manière dont on pense le problème est ce qui crée le problème. « 

Gérard Vaillant, coach mental d’Eric Bellion et de Jérémie Beyou à franceinfo: sport

Ce travail repose sur des discussions et l’expression de ses émotions, mais aussi sur de la cohérence cardiaque pour gérer le stress et de l’autohypnose.

« Il n’y a pas forcément un programme défini, mais plutôt un accompagnement en fonction de leurs besoins et de leurs sentiments du jour », décrit le spécialiste, qui suit également Jérémie Beyou.

Par exemple, à quelques semaines du départ, Eric Bellion a pris conscience de ce que la séparation avec sa famille impliquait.

« C’était la plus grosse difficulté de cette édition, car auparavant, je ne laissais pas de famille », confie-t-il.

« En verbalisant ce qu’il ressentait, Eric s’est rendu compte que ce n’était pas un abandon, et que sa fille serait en sécurité et bien entourée malgré son absence », éclaire Gérard Vaillant.

Avec ce paramètre familial supplémentaire, Eric Bellion a aussi travaillé d’autres aspects, notamment des événements hors course.

« J’ai travaillé des scénarios précis comme celui où ma fille venait à décéder, ce qui n’est pas quelque chose que tu vas naturellement préparer », reconnaît Eric Bellion.

Séance d’entraînement avec le Raid

Si aujourd’hui l’aspect mental est devenu un axe de préparation essentiel pour de nombreux marins, beaucoup l’ont, au premier abord, sous-estimé.

A commencer par Louis Burton : « À 26 ans, sur mon premier Vendée Globe, je me souviens que je ne prêtais pas attention à la préparation mentale, car j’étais bien dans ma tête.

Mais à mon retour de l’édition 2016, en cherchant à augmenter le niveau de la performance, je me suis aperçu qu’elle remplissait un rôle important dans la gestion de la course », admet le skippeur de Bureau Vallée, qui vise mieux que sa troisième place en 2021.

Depuis, il a intensifié son travail sur la gestion des perturbations extérieures (comme une casse sur le bateau ou un mauvais choix de navigation), la gestion de la pression et des attentes, ou encore la déconnexion avec les problématiques à terre.

Pour compléter sa préparation, Louis Burton a pu bénéficier d’une immersion inédite au sein du Raid, un mois jour pour jour avant le départ de la flotte.

« On m’a juste dit : ‘Viens à 9h, et prends une tenue de sport’.

Mais ça n’avait rien à voir avec un entraînement sportif », raconte-t-il.

Dans un exercice de mise en condition réelle, Louis Burton a suivi le groupe d’élite : « À la sortie de la camionnette, cinq hommes nous ont violemment désarmés.

Nous avons ensuite été emmenés dans une cave, cagoulés et menottés.

On nous a versé des litres et des litres d’eau sur la tête. Il a fallu que je me débrouille pour me libérer.

Ce n’était pas un jeu, c’était une vraie séquence d’entraînement.

J’ai été totalement poussé dans mes retranchements », confesse Louis Burton.

Dix jours après l’exercice, il avait encore des marques noires sur les doigts et le dos provoquées par les impacts de fausses balles.

« Le facteur de stress est tel, que cela vous pousse à réfléchir et agir vite, et à rester performant malgré la pression. »

Louis Burton, skipper Bureau Vallée à franceinfo: sport

Une expérience transformée en atout. « Cela m’a démontré qu’il fallait faire attention à soi, afin de rester efficace dans ses missions et ne pas se mettre en danger.

Cela m’a aussi entraîné à prendre des décisions et agir pour la performance, peu importe les circonstances ou notre état.

Je réitérerai sans hésiter. Je suis intimement convaincu que je pars avec un avantage sur les autres », estime Louis Burton.

« Sensation de chute libre »

La gestion du départ, le bain de foule suivi par la solitude de plusieurs mois, avant la grande affluence à l’arrivée, fait aussi partie des axes de la préparation mentale.

« Quand on coupe la ligne de départ et que le dernier bateau accompagnateur revient au port, on peut avoir une sensation de chute libre sans savoir quand ça va s’arrêter.

Il faut l’appréhender, se dire que c’est normal et réussir à se concentrer tout de suite », souligne Louis Burton.

Une fois arrivé à bon port, le « Vendée blues » peut aussi guetter : « Après le Vendée, on aimerait pouvoir se reposer six mois.

Il peut y avoir une descente émotionnelle, soit parce que vous êtes trop fatigués ou que cela s’est mal passé, ou à l’inverse, parce que vous avez gagné et que cela vous est monté au cerveau », énumère-t-il.

Aujourd’hui indispensable dans un sport qui s’est professionnalisé, la préparation mentale n’est plus, pour la majorité de la flotte, une variable d’ajustement.

« Sans préparation mentale, certains skippeurs vivent très difficilement les difficultés de la compétition, analyse le coach mental, Gérard Vaillant.

Ils partent avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête, et peuvent devenir le maillon faible de leur projet. »