Publié le 18/06/2019
Grace aux technologies portables, telles que smartphones couplés à un accéléromètre, il est devenu aisé de mesurer le nombre de pas parcourus quotidiennement : aux USA, il se situe vers 4 800. Or, un objectif d’environ 10 000 pas quotidiens est habituellement recommandé par la grande presse. L’origine de cette valeur est imprécise : elle pourrait être liée au nom d’un podomètre japonais mis en vente en 1965, le « 10 000 steps meter ». Par ailleurs, une marche peut être plus ou moins lente ou rapide et l’on ignore si la vitesse de la marche influe sur la santé.
Afin de préciser ces différents points, une cohorte d’environ 18 000 femmes a été constituée, à qui on a demandé de porter un accéléromètre pendant 7 jours. Deux questions ont été débattues :
– quel est le nombre de pas, par jour, associé au taux de mortalité le plus faible ?
– pour un nombre de pas quotidien donné, y a-t-il un lien entre « intensité » de la marche et mortalité ?
Les participantes étaient les femmes de la Women’s Heath Study qui avait eu pour but initial de tester le bénéfice/risque préventif de la prise d’aspirine et de vitamine E auprès de 39 876 femmes d’au moins 45 ans, entre 1992 et 2004. Entre 2011 et 2015, une enquête complémentaire a porté sur l’activité physique ; 18 289 étaient éligibles, dont 17 708 ont porté durant 7 jours consécutifs (sauf la nuit et lors des contacts avec l’eau) un accéléromètre de type ActiGraph GT3x+. Au final, seules 16 741 (96 %), qui avaient gardé l’accéléromètre pendant plus de 10 heures par jour et pendant au moins 4 jours, ont été incluses dans l’analyse.
Celle-ci a comporté la mesure du nombre de pas quotidiens, couplée à plusieurs mesures d’intensité concernant la marche : cadence maximale des pas en une minute (soit plus grand nombre de pas effectués en une minute un jour donné), cadence sur 5 minutes, temps passé à plus de 40 pas par minute…, reflétant ainsi les diverses modalités de la marche, de lente à rapide. Au final, cette dernière a été classée en marche nulle (nombre de pas à zéro), incidentale (nombre de pas de 1 à 39 par minute), intentionnelle (plus de 40 pas/minute) et rapide (plus de 100 pas/minute).
D’autres données ont aussi été recueillies, telles que les caractéristiques socio démographiques, les habitudes en matière santé, les antécédents médicaux personnels et familiaux, le poids, la taille, les consommations tabagique et alcoolique, le régime alimentaire, la prise d’hormones après la ménopause…
Le paramètre essentiel mesuré a été la mortalité globale jusqu’au 31 Décembre 2017. Plusieurs analyses de sensibilité ont été menées afin de minimiser les biais possibles : exclusion de la première année de suivi, des femmes présentant une pathologie cardio vasculaire, néoplasique ou diabétique, de celles ayant rapporté un état de santé qu’elles jugeaient bon ou excellent, enfin de celles dont l’indice de masse corporelle était inférieur à 18,5 kg/m2. L’âge moyen (DS) était de 72,0 (5,7) ans (allant de 62 à 101 ans). La durée moyenne du port du dispositif d’enregistrement a été de 14,9 (1,2) heures/jour.
Le nombre moyen de pas a été de 5 499 par jour, avec une médiane de 5 094 pas quotidiens. Les cadences maximales moyennes en 1 et 30 minutes ont été respectivement de 92 et 58 pas. Sur 5 minutes, la cadence moyenne maximale était de 63 pas/minute. En moyenne, 51,4 % des participantes ont très peu marché durant l’étude ; 45,5 % ont eu une marche de type « incidentale ». Seules, 3,1 % du collectif ont eu une marche rapide, au-delà de 40 pas/minute.
Une chute de la mortalité de 15 % avec 1 000 pas de plus par jour, peu importe la vitesse
Lors du suivi de 4,3 ans en moyenne, il y a eu 504 décès. Le nombre médian de pas par jour (du quartile le plus bas au plus élevé) était de 2 718, 4 363, 5 905 et 8 442. Les hazards ratio de mortalité correspondants sont 1 (référence), 0,59 (intervalle de confiance à 95 % IC 0,47-0,75), 0,54 (IC, 0,41-0,72), et 0,42 (IC, 0,30-0,60). Le taux absolu de réduction de la mortalité entre les meilleures marcheuses (quartile le plus élevé) et les moins bonnes est de 9,3 décès pour 1 000 personnes-années. Pour chaque millier de pas journaliers supplémentaires, le HR (Hazard Ratio) a chuté de 15 %.
La prise en compte de l’indice de masse corporelle, de la pression artérielle, d’un diabète potentiel ne modifie pas les résultats globaux. Il est à remarquer que le HR diminue de façon significative quand le nombre de pas augmente de 3 000 à 3 999/ jour, avec, par la suite réduction supplémentaire jusqu’ à, approximativement 7 500 pas par jour. Les analyses de sensibilité amènent à des conclusions identiques. Concernant l’intensité de la marche, les valeurs les plus hautes étaient, globalement, associées à une baisse du taux de mortalité, cette association perdant toutefois sa significativité après ajustement avec le nombre de pas effectués par jour.
En résumé, chez des femmes âgées en moyenne de 72 ans, un nombre de pas journaliers d’environ 4 400 est associé à une réduction de 41 % du taux de mortalité, comparativement à un nombre de pas moyen de 2 700 par jour. La courbe dose-réponse est en forme de L, avec une diminution progressive jusqu’ à un maximum de 7 500 pas par jour, puis, au-delà, une égalisation. Dans la population étudiée, c’est le nombre de pas, plus que la vitesse de la marche, qui a été le facteur primordial jouant sur la mortalité.
Plusieurs méta analyses d’études observationnelles avaient déjà établi l’existence d’une relation inverse entre marche et mortalité. Peu d’études longitudinales avaient été cependant réalisées, dont l’essai NAVIGATOR qui avait démontré une diminution du risque cardiovasculaire d’environ 10 % pour 2 000 pas additionnels effectués par jour. D’autres travaux avaient étudié la relation possible entre nombre de pas quotidiens et marqueurs cardiométaboliques, révélant une amélioration, grâce à la marche, de la tolérance au glucose, de la dyslipidémie et une évolution favorable de l’adiposité et de la sensibilité à l’insuline.
Un bénéfice jusqu’à 7 500 pas quotidiens
Plus que la durée hebdomadaire d’activité physique recommandée, en règle de 150 minutes ou plus par semaine, la prise en compte du nombre de pas quotidiens se révélerait être aussi judicieuse, d’autant que facilement mesurable par des dispositifs portables. La mesure, en elle-même, pourrait être une source de motivation complémentaire.
La force majeure de ce travail réside dans l’importance de la cohorte d’étude, de l’enregistrement effectué en continu plusieurs jours de suite, par accéléromètre. Elle tient, également, à l’inclusion de nombreux facteurs confondants potentiels et à la réalisation de plusieurs analyses de sensibilité. A l’inverse, on doit se rappeler qu’il s’agit d’une étude observationnelle, que le régime alimentaire n’était pas dument précisé, qu’avaient été exclues les femmes handicapées ou dépressives. De plus, les participantes étaient surtout blanches et de bon niveau socio-économique. En dernier lieu, seule la mortalité globale a été étudiée.
Pour terminer, il apparait qu’effectuer un nombre de pas journaliers d’environ 4 400, comparativement à 2 700 par jour, est significativement associé à une réduction du taux de mortalité globale chez la femme âgée. Le bénéfice persiste, en s’atténuant, jusqu’ à environ 7 500 pas par jour. Point notable, le nombre de pas effectués semble plus important que la vitesse de la marche. Ces données peuvent être très utiles pour, notamment, les sujets âgés sédentaires chez qui l’objectif de 10 000 pas par jour est irréalisable.
Dr Pierre Margent
RÉFÉRENCE ; I Min Lee et coll. : Association of Step Volume and Intensity with All-cause Mortality in Older Women. JAMA Intern Med., 2019 ; publication avancée en ligne le 29 mai. doi: 10.1001/jamainternmed.2019.0899.
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