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Description générée automatiquement    Une image contenant texte, clipart Description générée automatiquementPublié le 29/01/2022

Paris, le samedi 29 janvier 2022 – Soyons justes : il n’a pas fallu attendre que le Président de la République affiche son souhait « d’emmerder » les non vaccinés pour que la « parole se libère » à propos de tout ce que l’on pourrait imaginer pour signifier aux personnes non vaccinées que l’on désapprouve fortement leur choix (légal par ailleurs).

Déjà, il y a un an, Guillaume Lacroix, président du Parti radical de gauche, défendait : « La société doit porter le coût des vaccins, pas les dépenses de ceux qui refusent de se protéger et de protéger les autres », tandis qu’un amendement a été déposé par Sébastien Huyghe, député LR du Nord au texte de loi mettant en place le passe vaccinal qui prévoyait que « les frais de maladie liés à une contamination au coronavirus soient remboursés selon un système de franchises pour les personnes non-vaccinées dans des proportions fixées par décret en Conseil d’État ».

L’amendement n’a pas été retenu.

Non réanimation des non vaccinés : un tabou presque indépassable

Les déclarations du chef de l’État, si elles n’ont donc pas initié ces réflexions, les ont probablement facilitées, en leur conférant une certaine légitimité.

Dans ce contexte, l’évocation d’une possible non-réanimation des personnes non vaccinées semble néanmoins (heureusement) continuer à relever du tabou.

L’idée suscite en effet un rejet majoritaire de la part des professionnels de santé, même si certains ont signalé que son émergence trahissait le désarroi et l’exaspération d’une grande partie des praticiens face aux décisions difficilement compréhensibles de certains de leurs concitoyens.

« Passager clandestin » d’un système solidaire

Cependant, la perspective d’un moindre remboursement des soins délivrés aux personnes non vaccinées devant être hospitalisées pour Covid fait office de débat moins ouvertement polémique, mais qui permet d’interroger de la même manière les notions de responsabilité collective et individuelle.

Ainsi, les déclarations sur France 5 de Martin Hirsch (directeur général de l’Assistance publique – hôpitaux de Paris) ont beaucoup été commentées, tandis qu’il a développé cette semaine la même argumentation dans une tribune publiée par le Monde.

Prudemment, dans un texte évoquant la collision entre collectivité et liberté individuelle, Martin Hirsch s’interroge ainsi : « Les individus supportent moins de devoir assumer ce qu’ils estiment être l’irresponsabilité des autres.

Et un système solidaire ne peut trouver son équilibre si une fraction trop importante de la population peut avoir un comportement de « passager clandestin ».

Le Covid-19 a redonné une actualité brûlante à cette problématique classique mais trop souvent esquivée.

On peut poser la question en des termes crus : est-il logique de bénéficier des soins gratuits quand on a refusé pour soi la vaccination gratuite et qu’on met doublement en danger les autres, en pouvant les contaminer et en pouvant prendre une place en soins intensifs nécessaire pour un autre patient ?

Il y a peut-être une manière de donner enfin un vrai sens à la prévention en liant protection et respect de la prévention.

C’est une question éminemment complexe et sensible, mais qui doit être abordée si on ne veut pas voir les systèmes de solidarité affaiblis par manque d’adhésion ou par leur non-soutenabilité ».

Mais un système qui bannirait ceux désignés comme « passagers clandestins » peut-il encore être pleinement considéré comme solidaire et si oui comment définir ces derniers ?

Contraire aux principes du régime d’assurance publique

Ces questions « complexes et sensibles » suscitent de nombreuses interrogations.

Comment tout d’abord justifier une telle demande de paiement dans un système solidaire où quasiment tout le monde cotise à la Sécurité sociale, tandis que les personnes qui ne cotisent pas pour différentes raisons peuvent néanmoins bénéficier de soins gratuits.

Alors qu’une bretonne non vaccinée a récemment illustré cette problématique en déclarant après la sortie d’Emmanuel Macron qu’elle avait l’intention de ne plus payer ses impôts, le Dr Alain Vadeboncoeur ancien chef du département de médecine d’urgence de l’Institut de cardiologie de Montréal au Québec (province également confrontée à de telles interrogations) revient sur ce sujet.

« Associer un paiement à un service de santé à l’hôpital, où les coûts sont couverts par l’État depuis le début des années soixante, ce n’est certainement pas souhaitable.

Notamment parce que cela introduirait un paiement en fonction de l’utilisation de services payés par notre régime d’assurance publique, ce qui est contraire à ses principes », remarque-t-il tout d’abord sur le site l’Actualité.

Le refus du « risque »

On voit bien en effet comment une telle préconisation introduit l’idée que le « risque » individuel ne devrait plus être « assumé » par l’ensemble de la collectivité (alors que chaque individu n’est jamais complètement à l’abri de prendre à son tour tel ou tel « risque » (en fumant, en buvant excessivement, en mangeant trop ou en ayant des relations sexuelles avec des partenaires multiples par exemple).

Parlant de la contribution santé que le Québec voudrait imposer aux personnes non vaccinées, le Dr Vadeboncoeur poursuit : « Comme la mesure est en lien avec un « comportement à risque » (le refus de la vaccination), on pourrait la comparer à la taxation sur les produits du tabac, par laquelle les fumeurs contribuent collectivement à financer les coûts de santé associés à cette fâcheuse habitude, dont on sait qu’elle explique environ 30 % des hospitalisations, ce qui est majeur. (…)

Mais cette mesure peut aussi être vue comme une prime que devraient payer les gens ayant un comportement de santé à risque.

Elle se compare alors à celle demandée par la Société de l’assurance automobile du Québec pour assurer un conducteur de motocyclette, qui se trouve à financer, avec les autres motocyclistes, le risque accru associé ce type d’activité, donc des coûts de santé qui pourraient découler d’un accident.

La mesure ressemble aussi au fonctionnement d’une assurance privée, où le niveau de la prime est lié de manière précise au risque individuel, par exemple en assurance vie ou en assurance-voyage.

Or, un danger majeur avec cette idée de payer une prime santé en fonction de son risque individuel est que cela ouvre la porte à une modulation des coûts de santé en fonction de toutes sortes d’autres facteurs de risques.

Il serait facile d’évoquer ici le tabagisme, exemple classique déjà cité, la consommation d’alcool ou encore la sédentarité, etc.

Bref, une foule d’habitudes de vie qui modulent le risque de l’utilisation des services de santé et qu’un législateur moins soucieux des principes de base de notre système de santé pourrait décider d’inclure dans le calcul d’une éventuelle « contribution santé » élargie, une fois la porte ouverte.

Voire de la création d’une assurance privée pour couvrir les risques variables des diverses personnes » développe-t-il.

Qu’est-ce qu’être « responsable ? »

Si cette dérive vers une privatisation de la santé (qui semble à l’opposé des beaux idéaux de « solidarité » ou « responsabilité » collective que brandissent les défenseurs d’une taxation des soins pour les non vaccinés) ne doit pas être minimisée, certains considèrent cependant que le tabagisme, l’alcoolisme ou encore la consommation excessive de sucre ne peuvent pas être assimilés au fait de ne pas être vacciné.

En effet, ces comportements relèvent d’une addiction dont on ne peut considérer que la personne soit réellement responsable.

Cependant, quid du parapente, du fait d’avoir un enfant en se sachant à risque accru de complications obstétricales et autres pratiques acrobatiques ?

En outre, peut-on toujours considérer que les personnes qui ne se vaccinent pas sont pleinement « responsables » de leur choix.

Le journaliste Julien Hernandez dans une démonstration publiée sur Futura Santé sur le sujet remarque : « En effet, on comprend aisément que si Pierre n’a aucun ou très peu de contrôle sur sa décision (car il est manipulé par une idéologie de groupe, par exemple), qu’il n’est pas en capacité (pour des raisons diverses) ou est contraint de ne pas envisager d’alternatives possibles (car il a un niveau socio-économique trop faible, une mauvaise littératie en santé, etc. qui lui rend l’accès et l’interaction avec le système de soin très compliqué) ou de délibérer correctement (manque d’informations, exposition à de la désinformation, peur, etc.), il serait malvenu de le tenir moralement responsable de son acte ».

Dans son texte, où il remarque incidemment que les gouvernements qui n’ont pas augmenté les moyens des hôpitaux publics pourraient eux aussi être tenus pour « responsables », il discute également un paradoxe (décrit en philosophie expérimentale sous le nom d’effet Knobe) : « Dans le cas du vaccin, on pourrait illustrer l’effet Knobe comme ceci : des personnes foncièrement égoïstes se sont vaccinées uniquement pour protéger leur santé.

Ils savaient que cela serait bénéfique pour les autres mais ce point les laissait indifférents.

Tout ce qu’ils souhaitaient, c’était préserver leur santé, peu importe l’effet sur la santé des autres.

La plupart des gens répondront que ces personnes n’ont pas intentionnellement protégé la santé des autres.

Des personnes foncièrement égoïstes ne se sont pas vaccinées uniquement pour préserver leur liberté.

Ils savaient que cela serait nuisible pour les autres mais ce point les laissait indifférents.

Tout ce qu’ils souhaitaient, c’était préserver leur liberté, peu importe l’effet sur la santé des autres.

La plupart des gens répondront que ces personnes ont intentionnellement nui à la santé des autres ».

Quand la morale remplace la loi

Ces observations rappellent les présupposés moraux (sic) majeurs qui sous-tendent l’idée de « faire payer » leurs soins aux non vaccinés.

Or, dans un pays qui ne reconnaît normalement aucune autre autorité que celle de la loi, n’est-il pas dangereux que l’on ajuste les droits de chacun (ici le droit de bénéficier de soins gratuits) en fonction de ce que l’« on » considère être une attitude morale ?

Ne peut-on y voir une dérive également dangereuse ?

Bien sûr, cela conduit une nouvelle fois à remarquer que les incriminations qui pèsent sur les personnes non vaccinées conduisent à leur reprocher de faire ce qu’ils ont le droit de faire : la vaccination contre la Covid n’étant en effet pas obligatoire.

Cependant, quand bien même elle le serait, préconiser le paiement de leurs soins demeurerait discutable, au nom du principe de solidarité de la sécurité sociale.

D’ailleurs la Société française de réanimation a bien signalé dans une position rendue publique le 22 décembre « Quand bien même celle-ci deviendrait obligatoire, cela ne justifierait pas non plus de facto de ne pas prendre en charge ceux qui ne respecteraient pas la loi.

De nombreuses conduites à risque pèsent sur le système de santé.

Pour autant, elles ne sauraient justifier une limitation de l’accès aux soins ».

Qu’aurait pensé Martin Hirsch de la cohérence et du caractère éthique d’une proposition de non-remboursement de la trithérapie préventive pour les hommes homosexuels ayant des partenaires multiples alors même que dans les hôpitaux qu’il dirige le Truvada est recommandé à ces mêmes sujets…

Une idée qui retient l’attention

Si on mesure les nombreux problèmes éthiques et politiques soulevés par la proposition de Martin Hirsch, on ne peut ignorer qu’elle est loin d’être une position isolée.

En Belgique, une association de contribuables vient de considérer que les sujets non vaccinés devraient prendre en charge leurs frais médicaux.

Un sondage réalisé début janvier en France révélait de la même manière que 51 % des Français (et 74 % des sympathisants LREM) étaient favorables à la fin de la prise en charge financière de l’hospitalisation des personnes non vaccinées.

Une mesure quasiment impossible ?

D’ailleurs, même si existe en France (comme au Québec) le principe de solidarité de la Sécurité sociale, on peut se demander si une telle mesure serait impossible.

D’aucuns remarqueront tout d’abord que les nombreuses dispositions adoptées ces dix-huit derniers mois pour répondre à la pandémie signalent que bien des principes considérés comme inaliénables ont pu l’être finalement rapidement.

Un article de décryptage de Maïwenn Furic publié dans 20 minutes assurait récemment qu’une telle évolution serait complexe.

« L’alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 précise que l’État « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé ».

Il y a donc un principe constitutionnel qui est celui du droit à la santé qui est traduit dans le système de la Sécurité sociale.

Ensuite, il y a la loi « Protection universelle maladie » de 2016 qui « garantit désormais à toute personne qui travaille ou réside en France un droit à la prise en charge des frais de santé, sans démarche particulière à accomplir ».

Elle précise également que le remboursement n’est pas lié ni à la condition, ni à la situation d’une personne.

Ce n’est pas parce que vous ne cotisez pas à la Sécurité sociale que vous devez payer.

Tout le monde est couvert de la même manière. (…) Pour pouvoir rendre cela (la suggestion de Martin Hirsch, NDLR) légal, il est clair qu’il faudrait modifier la loi de 2016.

Ensuite se poserait encore la question de la Constitution.

Aujourd’hui, tous les textes qui font le droit de notre État, toutes les lois vont dans le sens inverse de cette idée d’une facturation de l’hospitalisation à certaines personnes et non à d’autres ».

Pas si sûr…

Pourtant, rien n’est simple en matière de droit puisque concernant la Polynésie, territoire français où la vaccination est obligatoire pour une part importante de la population, le Conseil d’État a récemment approuvé une disposition conduisant à une hausse du ticket modérateur pour les personnes non vaccinées : « Ces dispositions répondent à l’objectif d’amélioration de la couverture vaccinale des personnes les plus exposées à un risque grave en cas de contamination, dans un contexte de prévalence élevée des causes de comorbidité et d’un risque de saturation des services hospitaliers.

La majoration du ticket modérateur qu’elles prévoient n’a pas vocation à s’appliquer à celles des prestations qui sont intégralement prises en charge en vertu des délibérations n° 74-22 du 14 février 1974 instituant un régime d’assurance maladie invalidité au profit des travailleurs salariés, n° 94-170 AT du 29 décembre 1994 instituant le régime d’assurance maladie des personnes non-salariées et n° 95-262 AT du 20 décembre 1995 instituant et modifiant les conditions du risque maladie des ressortissants du régime de solidarité territorial.

Il appartiendra au gouvernement de la Polynésie française, sous le contrôle du juge, de fixer et, si besoin, de différencier, le montant de la majoration de façon telle que ne soient pas remises en cause les exigences du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 qui garantit à tous la protection de la santé.

Dans ces conditions, cette majoration du ticket modérateur n’a pas méconnu ces exigences » ont en effet considéré les magistrats.

Ainsi, avec cette énième controverse, on ne peut qu’une nouvelle fois constater combien la crise sanitaire a fonctionné comme un révélateur des limites de certains principes considérés comme intangibles dans notre démocratie, où l’on tend aujourd’hui à remplacer la solidarité universelle par le concept de responsabilité morale.

Qu’il nous soit permis de rajouter que l’on ne peut qu’être étonné (si ce n’est stupéfait) de constater que cette proposition est suggérée par le directeur général du plus grand centre hospitalier d’Europe, ancien président d’Emmaus France et ancien Haut-commissaire aux Solidarités actives contre la pauvreté durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy.


PS : Doit-on s’attendre à des réactions indignées de certains salariés de l’Assistance-Publique des Hôpitaux de Paris qui estimeraient que son directeur général jette ainsi le discrédit sur cette institution.   

On pourra relire sur ces sujets : 

Martin Hirsch

Alain Vadeboncoeur
Julien Hernandez

Maïwenn Furic

Aurélie Haroche

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Tri des patients : ceux que l’on entendait et ceux que l’on entendait moins

Un Président ne devrait pas dire ça ?