Publié le 10/06/2021

Le gluten est un composant ubiquitaire des régimes alimentaires occidentaux.

Il est présent notamment dans le blé, l’orge et le riz.

En cas de maladie cœliaque, sa consommation peut être à l’origine de troubles neuro psychiatriques, dont une atteinte cognitive, de dépression et de manifestations anxieuses.

Ces dernières années, les régimes sans gluten ont gagné en popularité aux USA, passant, suivis par 0,5 % de la population générale en 2009 et 1,7 % en 2012, alors même que, durant la même période, la prévalence de la maladie cœliaque est restée stable, vers 0,7 %.

En l’absence de toute étude épidémiologique, l’idée s’est répandue que le gluten pouvait avoir des effets délétères sur la fonction cognitive, même en dehors des cas d’authentique maladie cœliaque ou d’hypersensibilité à cette molécule.

Suspicion sur le rôle de la consommation de gluten dans la détérioration des fonctions cognitives

Y Wang, B Lebwohl et R Mehta ont, de ce fait, entrepris une enquête pour déterminer si la consommation au long cours de gluten était associée à une détérioration des fonctions cognitives dans une cohorte de femmes d’âge moyen, compris entre 25 et 42 ans, sans antécédents de maladie cœliaque, dont les prises alimentaires avaient été documentées entre 1991 et 2015.

Les participantes étaient en effet enrôlées dans la Nurses’ Heath Study II, étude longitudinale de cohorte débutée en 1989.

Les fonctions cognitives ont été évaluées entre 2014 et 2019, à l’aide de questionnaires bi annuels.

L’analyse finale des données a été faite entre octobre 2020 et avril 2021.

Le critère d’exposition essentiel était la prise cumulative de gluten, ajustée à la prise énergétique, estimée par mesure semi quantitative à l’aide d’un questionnaire validé des prises alimentaires comportant 131 items.

Parallèlement les fonctions cognitives étaient appréciées par la mesure de trois scores quantifiant la vitesse psychomotrice et l’attention, la mémoire d’apprentissage et de travail, enfin la fonction cognitive globale, les scores étant d’autant plus haut que les capacités cognitives étaient satisfaisantes.

Pas de différences de scores cognitifs entre les faibles et fortes consommatrices de gluten

La cohorte est composée de 13 494 femmes d’âge moyen (DS) 60,6 (4,6) ans.

La consommation de gluten ajusté allait de 4,3 (0,6) g/j pour le quantile le plus bas à 8,6 g/j pour celui le plus élevé, la prise moyenne étant de 6,3 (1,6) g/J.

On ne retrouve aucune différence d’apport selon l’âge, l’IMC, l’activité physique ou la qualité de l’alimentation des participantes.

Celles dans le quintile le plus faible avaient, cependant, plus d’hypertension artérielle, de diabète, d’hypercholestérolémie et, à l’inverse, celles du quintile supérieur souffraient davantage de dépression et étaient volontiers non fumeuses.

Après contrôle des facteurs de risque démographiques et liés au mode de vie, on n’a pu déceler aucune différence entre les scores cognitifs en fonction de la quantité de gluten alimentaire ingéré.

Entre les quintiles le plus élevé et le plus bas, la différence s’établit, pour la vitesse psycho motrice et l’attention, à – 0,02 (intervalle de confiance à 95 % IC : -0,07 à 0,09, p pour la tendance à 0,22).

Pour la mémoire d’apprentissage et de travail, elle est de 0,02 (IC : – 0,03 à 0,07, p= 0,30) et, pour le score de cognition globale de – 0,002 (IC : -0,07 à 0,05 ; p = 0,78).

La prise en compte des sources majeures de gluten (grains entiers ou élaborés) ou de différents aliments riches en gluten ne modifie pas les résultats globaux.

Il en va de même, lors de diverses analyses de sensibilité, après exclusion notamment des cas de cancer ou de démence.

Enfin, ni le statut tabagique, ni la présence d’une hypercholestérolémie ne semblent amener de variations.

Fake news dans un bestseller

Ainsi, de l’étude de cette cohorte de femmes d’âge moyen, indemnes de maladie cœliaque, il n’a pu être démontré aucune association significative entre prise au long cours, sur deux décennies, de quantités plus ou moins conséquentes de gluten et performances cognitives appréciées par une batterie de tests.

Cette notion est importante à appréhender car la prévalence de l’évitement du gluten dans la population US générale s’est, notablement, accrue ces 10 dernières années, dans le but, essentiellement, d’une réduction pondérale, d’amélioration de troubles digestifs ou d’un syndrome métabolique.

En outre, l’idée d’un bénéfice potentiel sur la fonction cognitive a été grandement popularisée par un livre, bestseller, de Perlent D, intitulé « Grain Brain », quand bien même une vaste étude de population, sur un suivi de 8,4 ans, n’avait pu retrouver aucune association entre authentique maladie cœliaque et démence de type Alzheimer, ne mettant en évidence qu’une légère hausse des démences vasculaires.

L’impact du blé a pu également être avancé, qui exercerait un effet opioïde sur le cerveau et pourrait ainsi agir sur la mémoire et l’humeur.

Ce travail a plusieurs points forts : un vaste échantillon, un suivi de longue durée, la quantification précise des prises, à long terme de gluten, le recours à une batterie de tests cognitifs bien validés, le recours à plusieurs tests de sensibilité qui ont confirmé la robustesse des résultats…

A l’inverse, on doit signaler que la cohorte est composée de femmes d’ âge moyen, de niveau socio-économique et éducationnel bien homogène, limitant de fait, la généralisation possible à d’autres types de populations.

Enfin, des facteurs confondants non explorés ont pu exister…

En conclusion, ce travail ne retrouve aucune association significative entre consommation de gluten, à court et à long termes, avec la fonction cognitive, chez des femmes d’âge moyen, indemnes de maladie cœliaque.

La restriction des prises alimentaires de gluten, afin de maintenir ou d’améliorer les fonctions cognitives n’est donc pas utile dans la population générale.

Des études longitudinales portant sur divers sous-groupes d’individus restent à venir, pour confirmer ces premiers résultats.

Dr Pierre Margent

RÉFÉRENCE: Wang Y et coll. : Long -Term Intake of Gluten and Cognitive Function Among US Women. JAMA Netw Open 2021 ; 4 (5). E : 2113020.

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Le sans gluten, une mode à consommer avec modération