La décision de débrancher les appareils nécessaires pour maintenir en vie des patients sévèrement traumatisés dépend de critères qui ne sont pas uniformes à travers le Québec.
Par Geoffrey Dirat
03/02/2022
L’intensité des soins prodigués aux patients qui finissent par décéder à l’hôpital après un traumatisme grave peut grandement varier de l’un à l’autre des 57 centres de traumatologie du Québec, notamment en cas d’impact à la tête.
Ces écarts dans les ressources déployées pourraient s’expliquer par la difficulté de déterminer un pronostic et par le manque d’outils à la disposition des médecins pour les aider à l’établir, ont observé une équipe de chercheurs et de cliniciens du Centre de recherche du CHU de Québec — Université Laval (CRCHU).
Leur étude, publiée fin janvier dans la revue Annals of Surgery, portait sur 2044 Québécoises et Québécois décédés entre 2013 et 2016 à la suite d’un traumatisme sévère, consécutif dans la grande majorité des cas à un accident de la route ou à une chute.
Parmi ces patients, 37% sont morts dans les 72h suivant leur admission, 37% entre le troisième et le quatorzième jour et 26% par après.
Les ressources déployées par les hôpitaux ont été évaluées pour chacun d’entre eux à partir des bases de données clinico-administratives, excluant la rémunération des médecins.
La professeure et chercheure Lynne Moore.
« On ne s’attendait pas à voir des différences si grandes.
On voit beaucoup de variations très tôt dans le processus, c’est-à-dire moins de 72 heures après l’arrivée du patient, alors qu’il est recommandé d’attendre avant l’abandon des soins actifs pour ces patients-là », indique l’auteure principale de l’étude, la chercheuse du CRCHU Lynne Moore, qui est aussi professeure en épidémiologie et biostatistique au département de médecine sociale et préventive de l’Université Laval.
En moyenne, les écarts observés oscillent de 6 à 8%.
Les plus grandes variations ont été observées chez les patients âgés de 16 à 64 ans (11,8%) et chez ceux atteints d’un traumatisme craniocérébral (9,1%).
Ces derniers représentent la moitié de la cohorte étudiée.
Ces fluctuations ne signifient pas que les soins prodigués ne sont pas optimaux ni que certains centres hospitaliers ont de meilleures pratiques que d’autres, précise la professeure Moore.
« Ça tend plutôt à démontrer que les médecins manquent d’outils et de données solides pour le pronostic de ces patients-là.
Quand le cerveau est atteint, notamment, c’est très difficile de pronostiquer les chances de rétablissement à trois ou six mois. »
C’est pourtant à partir de ce pronostic médical que les familles des patients se prononcent sur le prolongement ou non des soins.
Au Canada, 70% des gens qui meurent à l’hôpital des suites d’un traumatisme craniocérébral décèdent ainsi après que leurs proches décident d’éteindre les appareils qui les maintenaient en vie.
Dans la moitié des cas, cette décision est prise dans les 72 premières heures suivant l’admission.
Quelle qualité de vie ensuite?
« D’un patient à l’autre, les désirs de la famille peuvent être très différents.
Ce qui est acceptable en termes de séquelles pour une personne de 30 ans ne l’est pas nécessairement pour un septuagénaire.
Idem pour une personne active ou manuelle versus une autre plus sédentaire ou plus intellectuelle », souligne Lynne Moore en ajoutant que les personnes plus âgées prennent généralement leurs dispositions à ce sujet en avertissant leurs proches « alors que les jeunes discutent moins de ces choses-là ».
DES SERVICES PARAMÉDICAUX À GÉOMÉTRIE VARIABLE
Au-delà des considérations strictement cliniques, l’étude de la professeure Moore montre également une grande variabilité (de l’ordre de 35%) dans les services de soutien et d’accompagnement offerts aux familles.
« Des centres hospitaliers investissent plus que d’autres dans ces ressources qui peuvent être bénéfiques aux proches car, parfois, la décision qu’ils doivent prendre peut devenir source de conflit.
Des familles se fient au médecin, alors que certaines peuvent se déchirer.»
Au final, la question qui se pose est celle de la qualité de vie souhaitée par le patient, énonce le Dr Alexis Turgeon.
Intensiviste au CHU de Québec-Université Laval, et co-auteur de l’étude, il indique que le rôle du médecin consiste à « aider la famille à prendre une décision dans le meilleur intérêt de la personne et l’enjeu, c’est de leur donner l’information la plus objective possible.
Mais comme on ne dispose pas d’outils optimaux, c’est difficile d’évaluer le degré de certitude d’un pronostic à long terme. Souvent, on est dans les nuances de gris ».
Selon le Dr Turgeon, les variations constatées pourraient, entre autres, s’expliquer par la perception qu’ont les familles de ces nuances et par la nature des éléments qui leur sont communiqués.
« Leur décision est influencée par les informations qu’on leur donne.
On doit garder une certaine neutralité, mais on reste des humains et ce n’est pas évident d’être objectif, d’autant plus quand on manque d’outils performants pour pronostiquer la qualité de vie du patient.
Il se pourrait donc qu’il y ait une part de subjectivité dans les communications faites aux proches. »
Cette subjectivité pourrait éventuellement être contrecarrée par des outils d’aide au pronostic, estime la professeure Moore.
« Ils fourniraient à l’équipe soignante des informations lui permettant de mieux conseiller les proches du patient qui doivent prendre en son nom la difficile décision de poursuivre ou non les soins », souligne la chercheuse qui pense que la création d’un guide de pratique clinique serait aussi bienvenue.
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