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Ici, Pascal nous raconte une navigation en Corse à bord de son Feeling 1040 lors d’un épisode orageux qui aurait pu mal finir pour lui.
30 minutes avant l’orage. | PASCAL MARTINELLI
Pascal MARTINELLI sur Acétylène. Modifié le 16/09/2024
Bateau : Acétylène Feeling 1040 en très bon état.
Événement : cellule orageuse sur Sud corse le vendredi 16 août 2024 de 16h30 à 18h.
Objectif : ramener seul le voilier Acétylène de Bonifacio à Porquerolles en route directe.
Après 6 semaines passées entre Elbe et Est Corse avec trois équipages successifs et une météo divine, il est temps de rentrer sur le continent.
Dans un premier temps j’avais envisagé de partir le 14 août et faire escale aux îles Sanguinaires (à la sortie Nord du golfe d’Ajaccio) la nuit du 14 au 15, mais la force et l’orientation du vent pour cette nuit-là n’était favorable ni pour un mouillage, ni pour une traversée.
Je passe donc une nuit de plus du 15 au 16 au port de Bonifacio (merci à la capitainerie de Bonifacio qui a été très compréhensive et attentionnée).
Le 15 au soir, la météo pour le 16 et le 17 s’annonce idéale sur la plupart des sites de météo marine et sur tous les modèles proposés sur Windy (10 à 15 nœuds portant ou travers) … hormis le modèle à petite maille « Arome » de Météo France qui annonce une catastrophe relativement aux autres prévisions.
« Arome » annonce un phénomène qui s’apparente à une grosse cellule orageuse provenant de la Sardaigne au début de l’après-midi du 16 avec des vents moyens de 45 nœuds.
Cette cellule est prévue ensuite de se disperser vers 18h.
C’est la première fois depuis 40 ans de navigation que j’observe une prévision cartographiée précise sur une cellule orageuse en Méditerranée.
En général, les prévisionnistes annoncent une probabilité de rencontrer des orages dans une zone définie mais s’étendant souvent sur des dizaines de kilomètres au moins.
VOIR AUSSI : VIDÉO. Une impressionnante trombe marine observée en mer au large de Quiberon
ECMWF : prévision pour 16h. / Arome : prévision pour 18h. / Position d’Acétylène à 17h | WINDY.COM
Impossible pour moi de ne pas me souvenir de l’orage arcus dévastateur du 18 août 2022.
Plusieurs témoignages ont évoqué toutes les prévisions de la veille comme étant très en deçà de la réalité du lendemain… sauf… le modèle « Arome » qui annonçait seul contre tous, des vents violents de 100 nœuds en rafales.
Pour mon retour à Porquerolles, les prévisions météo annonçaient pour le 17 au soir un retour de régime d’Ouest soutenu sur la zone Provence et ceci pour 4 jours au moins.
J’avais donc deux options : attendre encore 3-4 jours à Bonifacio ou faire le pari que la prévision du modèle « Arome » était un peu surjouée si je m’en tenais à toutes les autres prévisions.
Je décide finalement d’opter pour la deuxième option pour les raisons suivantes :
- Les vents dans le modèle « Arome » seraient forts et portant seulement durant 2-3 heures et la mer ne serait que temporairement difficile.
Le bateau est en très bon état et bien équipé.
- Le coup de vent aurait lieu le jour.
- Je suis très bien informé de ce risque d’orage et donc je peux bien me préparer longtemps à l’avance.
Je quitte le port à 8h du matin et la navigation se passe sans encombre toute la matinée et jusqu’à 15h30 avec une mer belle est des vents de 10 nœuds sous un ciel dégagé bleu azur.
La prévision de la cellule orageuse est toujours exclusivement annoncée sur « Arome ».
Je commence à douter de cette prévision alarmiste, je plaisante avec mon fils au téléphone et j’imagine un instant écrire plus tard à « Arome » pour avoir des explications techniques.
Vers 16h (je n’ai plus d’accès à « Windy ») mon fils au courant du dilemme m’envoie un SMS pour m’annoncer que les relevés de vents dans les bouches de Bonifacio affichent des rafales jusqu’à 30 nœuds.
Dans le même moment j’aperçois au Sud-Est une bande nuageuse sombre et épaisse très basse sur l’horizon et encore assez lointaine.
Je me retourne et constate une progression spectaculaire de la masse sombre.
La justesse de la prévision « Arome » ne fait plus aucun doute et je leur fais à cet instant des excuses mentales.
J’ai 30 minutes pour me préparer.
J’enroule fermement le génois et je ferle vigoureusement la GV sur la bôme.
Je mets le moteur en route et garde le cap au pilote.
Je me retourne et constate une progression spectaculaire de la masse sombre.
S’ensuit la fermeture de tous les panneaux la pose des bouchons d’aérateurs et le verrouillage des coffres du cockpit. Ayant en mémoire un récit d’un navigateur pris dans la tourmente du 18 août 2022, je sors les bottes, le pantalon vinyle XL, la veste de gros temps, le gilet harnais auto-gonflable et même la balise de détresse Kannad offerte par ma compagne.
Pour finir je redéroule finalement 4 m2 de génois pour garder dans le vent à venir, une vitesse suffisante pour contrôler le cap.
Je coupe le moteur et je pose les panneaux de descente.
J’étouffe en plein soleil dans mon attirail, je me sens suréquipé avec 10 nœuds de vent et cela me fait sourire.
Je ne suis pas inquiet et je me sens vraiment prêt à surfer avec 45 nœuds plein arrière mais je garde en tête l’épisode de 2022.
La cellule se rapproche à la vitesse d’un camion, sous les 2 rouleaux de nuages sombres maintenant à moins de 500 m tout est noir zébré de quelques éclairs.
Je quitte la barre rapidement et allume mes instruments de navigation à l’intensité maximum et retourne aux commandes. Je suis attaché avec deux mousquetons aux balcons arrière.
En quelques secondes l’anémomètre passe de 15 nœuds à 55 nœuds…
Le mur est à 50 m, de l’écume jaillit hors de la surface de l’eau le long d’une ligne semblable à des sillages de bateaux hors-bord.
Une vingtaine de dauphins qui fuient me rattrapent et me doublent sans s’attarder. Le temps s’arrête un peu.
La brutalité de la rafale est soudaine, en quelques secondes l’anémomètre passe de 15 nœuds à 55 nœuds, le voilier est propulsé à 8 nœuds avec mon bout de génois.
L’air est sec, je suis surpris. La mer devient vert clair couverte de traînées blanches et se creuse immédiatement (1,5 m environ), c’est magnifique, du jamais vu.
L’anémomètre est en mode relatif, le vent doit être entre 55 nœuds et 65 nœuds.
Je reste optimiste mais cramponné à deux mains sur la barre durant une longue demi-heure.
LIRE AUSSI : VIDÉO. America’s Cup. La foudre s’abat sur le plan d’eau en pleine régate
Acétylène. | PASCAL MARTINELLI
Une première embardée avec un départ au lof calme mes occupations de spectateur.
Je mets plus de temps que prévu à ramener le voilier plein arrière.
Je comprends à ce moment que toute mon attention doit se consacrer à maintenir un cap très rigoureux pour ne pas être couché par un départ au lof.
Je verrouille mon regard sur l’aiguille de la girouette et je la maintiens parfaitement en bas du cadran.
Seule la girouette me renseigne correctement et pour m’éviter d’interpréter la position de l’aiguille pour manœuvrer la barre à roue je me fabrique une règle plus directe qui consiste à bouger le haut de la barre à roue dans le sens où je dois ramener l’aiguille à la verticale.
Je pense un moment que je maîtrise bien le cap mais que si le vent venait à monter encore je risque d’être couché.
Je reste optimiste mais cramponné à deux mains sur la barre durant une longue demi-heure.
Là, je réalise que tout mon attirail était parfaitement adapté à la situation.
Le vent tombe à 35 nœuds et il me semble qu’il n’y a plus de vent, le voilier devient facile à piloter.
En l’espace de quelques secondes, une pluie de grêlons de 1 à 2 cm de diamètre me mitraille et j’en ai mal à la tête et au dos mais c’est très supportable.
Le vent baisse d’un cran. Ouf. Après 15 minutes de grêle, une pluie diluvienne s’abat sur Acétylène.
Il fait froid, J’avais gardé ma veste ouverte en partie, pour le coup je suis trop rafraîchi.
Le vent tombe à 35 nœuds et il me semble qu’il n’y a plus de vent, le voilier devient facile à piloter.
Une demi-heure plus tard, le vent souffle à 25 nœuds et la mer grossie d’une manière chaotique avec des creux pénibles mais au maximum de 3 m.
Vers 18h la mer se calme et je peux remettre le pilote automatique.
Je me cuisine un repas chaud sur le four à cardans. La nuit sera peu agitée.
Arrivé à Porquerolles vers 13 h, je mets de l’ordre dans le bateau, je prends une douche et je m’allonge… je me réveillerai le lendemain matin.
LIRE AUSSI : TÉMOIGNAGE. « Nous avons essuyé un violent orage avec plus de 70 nœuds de vent »
Leçons à tirer de l’expérience (de mon point de vue)
Pour ma part, si c’était à refaire dans les mêmes conditions je resterais à l’abri en attendant une météo favorable car le risque que les vents soient beaucoup plus forts n’est pas écarté avec ce type d’orages et j’ai bien ressenti la possibilité d’être couché si le bateau n’est pas parfaitement dirigé.
J’ai vécu une expérience suffisante pour bien prendre conscience du danger que peut représenter la négligence dans des situations d’orages très violents qui vont à cause du réchauffement climatique devenir la normale dans les années à venir.
Un équipage bien préparé et bien renseigné évitera le pire.
Ci-après, les leçons que j’ai tirées de cette expérience enrichissante.
• Utiliser les modèles à grandes mailles pour les prévisions à plusieurs jours et consulter le modèle « Arome » ou équivalent pour le lendemain.
• En cas de risque d’orages violents imminent, anticiper, affaler, et préparer le bateau et les équipements (vestes, harnais etc.). Allumer les instruments de navigation même en plein jour.
• Ranger et caler tout à bord en imaginant une gîte très importante (Bateau couché). Stocker tous les objets mobiles dans une même cabine.
• Garder un peu de toile sur l’avant pour aider le voilier à rester rigoureusement vent arrière si vous avez de la mer à courir. Placer des penons faute de girouette électronique. Ne surtout pas border la toile pour ne pas la rendre efficace au lof.
• Fermer tous les hublots, la descente, et verrouiller les coffres de cockpit car ce sont des entrées d’eau importantes si le bateau se couche.
• En cas de vents extrêmes, pour les voiliers qui ne pourraient pas rester dans l’axe du vent, il est peut-être préférable de se mettre à la cape et d’attendre à l’intérieur à l’abri des éléments en mode machine à laver en attendant que la cellule orageuse s’éloigne.
VIDÉO. ORAGE EN CORSE DU 18 AOÛT 2022 :
https://www.youtube.com/watch?v=bA3PqeNZNz4&t=5s
VIDÉO. 100 NŒUDS EN VOILIER AU LARGE – VERSION LONGUE :
https://www.youtube.com/watch?v=0lDsxQbc9E8&t=5s
LIRE AUSSI : TÉMOIGNAGE. « Mon voilier a été foudroyé en mer ! »
AROME en bref
Le modèle AROME est le modèle de prévision numérique du temps à maille fine exploité en opérationnel à Météo France.
Il est opérationnel depuis décembre 2008.
Il a été conçu pour améliorer la prévision à courte échéance des phénomènes dangereux tels que les fortes pluies méditerranéennes (épisodes Cévenols), les orages violents, le brouillard ou les îlots de chaleur urbains en période de canicule.
Avec cette nouvelle rubrique, Voiles et Voiliers vous propose de découvrir les témoignages de plaisanciers, expérimentés ou non, qui partagent avec nous leurs petites ou grandes croisières, bonnes ou mauvaises expériences.
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