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VOS RÉCITS DE CROISIÈRE. Les lecteurs de Voiles et Voiliers racontent leurs navigations.
Ici, Édouard Pages et Alban Fournial, deux jeunes copains étudiants à Lille, racontent comment ils ont traversé l’Atlantique à la voile sur un coup de tête… après s’être offert un modeste Sangria, petit bateau cinquantenaire de sept mètres.
L’aventure était au rendez-vous, forcément. C’est beau d’être jeunes !
L’Atlantique en Sangria. C’est beau d’être jeunes ! | DR
Édouard PAGES et Alban FOURNIAL. Modifié le 25/03/2024 à 08h29
Un Normand et un Breton sur un petit bateau, notre aventure a commencé par un message : « Quand est-ce qu’on s’achète un bateau ? »
Sitôt dit, sitôt fait, nous l’achetons une semaine plus tard, ce bateau.
Sans visite préalable, parce qu’il n’est pas cher, pas trop loin de notre port d’attache et que tout le monde connaît le Sangria.
Le Sangria a un capital sympathie hors du commun.
Nous le découvrirons tout au long de l’aventure, le Sangria a un capital sympathie hors du commun.
Quasiment chaque marin rencontré à un attachement particulier à ce bateau qui était, au choix : « le premier bateau que j’ai acheté », « le bateau d’un de mes copains », « le bateau sur lequel j’ai appris à naviguer » ou encore « le bateau du fils du beau-frère de mon boulanger ».
Une semaine après avoir envoyé l’acompte, nous filons sur le port de Cherbourg pour visiter l’objet de nos convoitises depuis plusieurs années.
Enfin, nous possédons notre propre bateau ! Nous sortons du train un samedi soir de mars, il fait nuit sur le port, nous scrutons les pontons un par un pour arriver sur le ponton K.
Il est là, caché parmi les très nombreux bateaux de la marina.
Pour nous il est évidemment le plus beau du port ! La première nuit à bord achève de nous convaincre.
Nous concluons la vente le lendemain matin et signons l’acte de vente.
Le bateau est définitivement à nous.
Un bateau baptisé La Confiance. Il en fallait ! | DR
Un Sangria baptisé La Confiance.
Dès l’après-midi, nous profitons de 10 nœuds de vent pour nous lancer.
Le week-end suivant, nous convoyons le bateau jusqu’à Gravelines (nous sommes tous les deux étudiants à Lille).
Il s’agit de s’assurer de l’état général de notre nouvelle frégate et que le gréement et les voiles soient en état correct pour les 300 milles qui nous séparent de son futur port d’attache.
Un convoyage plus tard, quelques navigations avec des copains et les conditions rudes de la mer du Nord finissent de nous convaincre des qualités indéniables du Sangria, désormais baptisé La Confiance.
Pourquoi pas traverser l’Atlantique ?
Nous comprenons enfin pourquoi le Sangria a été vendu en de si nombreux exemplaires et pourquoi nous en entendons parler avec des étoiles dans les yeux.
Pour un bateau de 7,60 m, il en a dans le ventre.
Viennent alors les discussions inévitables : « Ce serait chouette d’en profiter pour faire un petit voyage, par exemple autour du Royaume-Uni, des pays du Nord pendant quelques semaines, histoire de se remémorer la prise du Kent… ».
Conjuguant cette envie à la fin de nos études (en septembre), il paraît clairement plus judicieux de partir vers le Sud.
La côte française, l’Espagne, le Portugal… les Canaries… le Cap-Vert… puis finalement une fois au Cap-Vert les Antilles ne sont-elles plus si loin ?
Pourquoi ne pas traverser l’Atlantique, projet dont nous rêvons tous les deux depuis si longtemps ?
Nous commençons à parler de ce projet autour de nous. Nos mamans inquiètes n’y croient pas trop au début, les papas intéressés commencent à se dire que ce n’est pas qu’un projet en l’air.
Puis viennent les temps des préparatifs. Nous avons 10 mois pour faire de notre Sangria un voilier capable de traverser l’Atlantique en toute sécurité.
Les cours de dernière année d’école d’ingénieur sont mis à profit pour écumer Le Bon Coin (budget oblige), trouver de nouveaux winchs, des voiles, un téléphone satellite, un BIB, un tangon, etc.
Nous étudions comment être autonomes en énergie sur un si petit bateau, comment charger de l’eau et de la nourriture pour les 30 jours que pourrait durer notre traversée.
Les mini 6,50 nous fourniront quelques solutions comme leurs systèmes de fixation de panneau solaire sur un diabolo de planche à voile.
De nombreux copains nous aident.
Après avoir navigué avec nous, de nombreux copains se relaient à Gravelines pour entretenir La Confiance.
Nous sommes d’ailleurs chaleureusement accueillis dans ce port où tout le monde est prêt à nous aider dans ce projet.
Dix mois plus tard, nous y voici : nous sommes sur le port de Saint-Martin-de-Ré, quelques copains nous saluent.
La prochaine étape se trouve de l’autre côté du fameux golfe de Gascogne, après le cap Finisterre.
Le trac monte pour nous, qui n’avons pour le moment jamais passé plus de deux nuits d’affilée en mer et rarement à plus de 50 milles des côtes.
Nous avons beau avoir l’habitude de naviguer, c’est une première en hauturier.
Baptême du feu et de la bonite dans le golfe de Gascogne. | DR
Nous traversons finalement le golfe avec un avant-goût d’Alizés, dans vingt nœuds de portant, une première bonite, des dauphins filant dans les planctons photoluminescents et une mer plus creuse pour passer la pointe Espagnole.
Nous arrivons en fin de soirée dans la ria de Vigo pour nous offrir une première bière et un morceau de jambon, rassurés d’avoir mis ce gros morceau derrière nous.
Nous remercions surtout cette fenêtre météo miraculeuse qui s’est présentée à nous !
Tu trouves que le safran réagit correctement ?
Nous descendons la côte du Portugal par des sauts de puces, contents de voir que notre safran n’était pas au goût (ou à la taille) des orques dont nous entendons les attaques plusieurs fois par jour, à quelques milles de nous.
Arrivés à Lisbonne le saut vers les premières îles de l’Atlantique s’ouvre à nous.
En embarquant un copain, nous larguons les amarres vers Porto Santo, petite île au large de Madère.
Mais six heures après le départ, au lever de soleil, du jeu semble apparaître dans le safran.
Avec 20 nœuds au portant et deux à trois mètres de creux dans le dos nous n’avons pas vraiment d’autre choix que celui de continuer.
À la question « Tu trouves que le safran réagit correctement ? » nous préférons ne pas répondre en installant le pilote qui, lui, ne pose pas de question désagréable.
Nous démontons le safran sous l’eau.
À Porto Santo, nous arrêtons de nous voiler la face pour nous confronter au problème.
Nous avons vingt degrés de jeu dans le safran. Impossible de continuer sans réparer.
Le quai à sec du port étant plein pour les deux semaines à venir, la seule proposition qui nous est faite est de laisser le bateau sur la grue pendant que nous réparons le safran.
Bonne idée… avant la précision : c’est 150 euros l’heure de grue.
Un rapide calcul nous montre qu’un boulon un peu trop rouillé peut facilement nous coûter une Confiance ou une Confiance et demi.
Opération peu rentable. Deuxième solution : l’eau n’est qu’à 24°, à deux nous cumulons bien une minute trente d’apnée et nous trouverons bien deux trois paires de bras pour nous aider à récupérer le safran.
Un démontage sous l’eau plus tard (beaucoup plus facile que ce que nous imaginions pour ce monsieur de quasiment 50 ans qu’est le Sangria), nous partons à la rencontre de Miguel qui construit son bateau pour une exploration polaire sur le port.
En deux coups d’électrodes, il nous soude le peigne de safran qui s’était brisé.
Un peu de résine et un deuxième bain plus tard, La Confiance est fin prête pour continuer l’aventure.
150 euros l’heure de grue ? Trop cher, on démonte le safran sous l’eau. | DR
Nous fonçons enfin vers Madère, sans avoir oublié de faire quatre fois le tour de Porto Santo, de goûter les ponchas et de se faire de nouveaux amis (superbe spectacle de trapèze des filles de Pascalet Gwenaël sur Nansen).
Sur Madère nous userons encore nos semelles de chaussures de randonnée pour le plus grand régal de nos yeux.
Nous continuons vers Santa Cruz de Tenerife avec l’objectif ambitieux de tracer nos 250 milles de route assez rapidement pour assister à la victoire de l’équipe de France de rugby face à l’Afrique du Sud.
Le spi nous manquera pour profiter de la première mi-temps, l’objectif est à moitié rempli.
Sur Tenerife, le mont Teide escaladé dans la nuit permettra au normand de l’équipage de réaliser que son mal de mer n’a d’égal que son mal de l’altitude.
Le lever de soleil sur les îles des Canaries en valait largement la peine !
La récompense… | DR
30 nœuds établis et 4 mètres de creux vers le Cap-Vert.
La traversée vers le Cap-Vert peut être classée dans la catégorie « vous dégoûtent de la voile ».
La fameuse phrase « c’est décidé, j’arrête la voile » sortira forcément de la bouche d’un des marins.
Les 30 nœuds établis et les 3 à 4 mètres de creux étaient décidément de trop pour un voilier de 7,60 m.
La route de La Confiance à travers l’Atlantique. | DR
L’objectif est tout de même rempli, la traversée a beau avoir été très inconfortable, l’essentiel est là : nous avons débarqué à Mindelo.
Une semaine à terre pour randonner dans la vallée de Paul et oublier que le Sangria est davantage prévu pour traverser le pertuis breton que l’Atlantique et nous voilà devant le grand départ.
Nous complétons notre avitaillement de fruits frais et discutons au floating bar avec les équipages se lançant dans la traversée sur la stratégie à adopter face à une bulle sans vent en plein milieu de l’océan.
Nous nous rendons compte rapidement qu’il ne faudra compter que sur notre analyse personnelle : nos voisins misent sur des vitesses moyennes de 8 à 10 nœuds pour fuir la pétole quand nous nous attendons à des pointes à 6 nœuds maximum de notre côté !
21 jours pour atteindre la Martinique.
Finalement une option Sud nous permettra d’atteindre la Martinique en 21 jours, sans pépin majeur et en saluant par hasard Pili Pili, des copains que nous croisons à 1 000 milles de toutes côtes.
Nous profiterons encore deux mois dans les Antilles avant de revendre le bateau à la Martinique et de rentrer, en avion cette fois, vers la métropole.
Clap de fin sur un coup de tête terminé en une aventure haute en couleurs !
VOS RÉCITS DE CROISIÈRE. Avec cette nouvelle rubrique, Voiles et Voiliers vous propose de découvrir les témoignages de plaisanciers, expérimentés ou non, qui partagent avec nous leurs petites ou grandes croisières, bonnes ou mauvaises expériences.
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