- Janvier 2018
Les consultations spécialisées débordent. Les parents s’affolent. Les enfants s’angoissent. L’Éducation nationale s’en empare. Qu’est-ce donc que ce TDA/H dont tout le monde parle ? Les diagnostics sont-ils bien posés ? Enquête sur un trouble qui fait débat.
© Istock Hélène Fresnel
Sommaire
- Calmer les agités, recentrer les distraits
- Un trouble peut en cacher un autre
- Une tour de contrôle endormie
- Revoir les modes de vie
- TDA/H, quèsako ?
- Ritaline… ou pas
C’est une petite plaquette de l’Éducation nationale avec un dessin d’enfant aux couleurs vives. En bas, est écrit : « Les enfants avec un trouble déficit de l’attention/hyperactivité et leur scolarité ». L’opuscule est destiné aux enseignants, pour qu’ils puissent repérer les « TDA/H » dans leur classe. Ils ont une « difficulté à soutenir [leur] attention », ils sont « dans la lune », il leur arrive de « parler et agir avant de réfléchir », ils ont tendance à « parler trop », à « remuer exagérément les mains et les pieds », ils sont malades ! Les sept pages de recommandations et de descriptions pourraient concerner n’importe qui.
Calmer les agités, recentrer les distraits
Un millier de psychiatres, psychanalystes et pédopsychiatres n’apprécient pas beaucoup l’initiative. Dans une pétition, adressée mi-novembre à Emmanuel Macron et aux ministres de la Santé et de l’Éducation nationale, ils demandent le retrait de ce livret. Parmi leurs arguments, le fait que ce n’est pas aux professeurs ni aux psychologues scolaires de préposer des diagnostics psychiatriques.
Jacques Dayan, pédopsychiatre au CHU de Rennes et psychanalyste, n’a pas initié cet appel, mais il reçoit fréquemment des parents persuadés que leur enfant soufre de TDA/H, et qui, en fait, relaient des remarques de l’institution scolaire : « Il a été beaucoup demandé aux écoles, notamment d’assumer des enfants avec des difficultés, analyse-t-il. Or avec l’arrivée du traitement médicamenteux proposé pour le TDA/H a surgi la possibilité pour le système scolaire de calmer les agités, et parfois les distraits, que la pédagogie ordinaire ne suffisait pas à apaiser. Nous sommes donc peu à peu passés d’une requête timide du corps enseignant essayant de savoir comment intervenir auprès d’enfants difficiles, dont certains en grande souffrance, à l’exigence de donner un produit qui apaise et permette à tout le monde de travailler. Et cela satisfait la sphère éducative, les parents et même les enfants, parce qu’ils peuvent progresser à l’école, s’insérer avec un taux de réussite élevé. »
Diagnostiqué TDA/H à 10 ans à la suite de difficultés scolaires et de bagarres fréquentes dans la cour, Gabriel, 13 ans, n’envisage ainsi pas une seconde de ne plus prendre son psychostimulant : « Il me permet d’être moi en mieux », affirme-t-il. Jacques Dayan raconte ce qu’une de ses patientes adolescentes lui a confié récemment : « Avec la Ritaline, je peux rester assise et supporter toute la journée des cours où je m’ennuie d’habitude. » Jacques Dayan : « Son rapport profond à sa situation scolaire, qu’elle juge pénible et sans intérêt, ne change pas radicalement, mais elle parvient à la supporter sans bouger et, dit-elle : “Des fois j’apprends un peu.” »
Dans son Centre de référence des déficits de l’attention et hyperactivité, à Bordeaux, le Pr Manuel Bouvard1, pédopsychiatre, reçoit 1 200 enfants par an. Il croule sous les demandes, d’abord parce que les consultations spécialisées manquent, mais il remarque aussi « un phénomène de mode. Nous sommes aujourd’hui dans un effet de sur diagnostic en raison du statut du TDA/H, passé de médical à social ».
Dans une étude publiée dans The Lancet en octobre dernier2, des chercheurs allemands démontrent qu’en cinquante ans le nombre de diagnostics de TDA/H et celui de prescriptions de psychostimulants ont explosé dans les pays développés, et évoquent la forte probabilité d’erreurs de diagnostic.
Un trouble peut en cacher un autre
Jeanne Siaud-Facchin ne les contredira pas. Psychologue clinicienne, ancienne attachée des hôpitaux de Paris et de Marseille, elle a fondé des centres de consultation psychologique pour enfants et adolescents. Entre janvier 2005 et le 11 septembre 2017, elle a reçu 25 688 enfants en consultation, 5 500 pour des problèmes d’attention. En douze ans, elle n’a pas noté une augmentation d’enfants souffrant de TDA/H. C’est 5 %, pas plus, assure-t-elle. Le taux moyen estimé par pays oscille entre 5 % et 7 % pour les enfants et les adolescents3. « Nos statistiques n’ont pas bougé. En revanche, de plus en plus de parents arrivent en nous annonçant : “On nous a dit qu’il ou elle était TDA/H”, “Le psychologue scolaire nous a affirmé que…” Et nos bilans révèlent que l’enfant n’est pas plus TDA/H que je suis danseuse étoile », déclare-t-elle.
Selon son expérience, des enfants sont étiquetés TDA/H alors qu’ils sont dyspraxiques (ils soufrent de troubles de la coordination visuomotrice et neurovisuels), ou « surdoués », ou fatigués (le manque de sommeil épuise et excite), ou atteints de TOP ou troubles oppositionnels avec provocation (parce qu’ils ne se sentent pas en sécurité et sont sous pression), ou encore victimes d’anxiété. Quand un petit n’a pas confiance en lui, qu’il est préoccupé par la disparition de son animal, la naissance d’une sœur, le divorce de ses parents, il devient difficile pour lui de se concentrer. « Ces enfants “toupies” bougent dans tous les sens pour rester en équilibre. Le mouvement leur permet de mettre à distance la pensée. Ils ont d’authentiques troubles de l’attention, mais ils ne sont pas TDA/H », conclut la psychologue. Les difficultés peuvent aussi être liées à l’âge. C’est souvent au cours préparatoire que le diagnostic est posé : les capacités attentionnelles sont différentes entre un enfant né en début d’année et un autre en décembre. Enfin, de nombreux psychiatres évoquent la comorbidité des TDA/H, c’est-à-dire l’articulation de plusieurs symptômes : entre 57 % et 87 % des enfants ont un trouble associé4 (dépression, anxiété, autisme…). Poser le diagnostic n’a donc rien d’évident.
Le flou règne autour de l’identification d’un trouble finalement assez mystérieux. C’est la faute aux « critères définis par les manuels de psychiatrie que nous utilisons, assure Louis Véra5, pédopsychiatre spécialisé dans le traitement de TDA/H. Ils ont été bricolés par des gens qui n’ont pas une vision en profondeur. Les vrais TDA/H sont la conséquence d’une perturbation des fonctions exécutives ». Pour expliquer aux parents de quoi leur enfant est atteint, le Pr Bouvard utilise la métaphore de la tour de contrôle : « Imaginez un aéroport. Les avions qui arrivent, ce sont les informations que nous recevons de l’extérieur. Ceux qui partent, c’est le comportement que nous adoptons. Le TDA/H est un problème de tour de contrôle : elle ne fonctionne pas. Ce problème d’attention va toucher les apprentissages, l’organisation, leurs régulations relationnelles, émotionnelles. C’est comme si la tour de contrôle était endormie. C’est pourquoi des produits stimulants peuvent marcher. »
Marc a toujours su que sa fille Lola avait des problèmes d’attention. À 4 mois, elle ne tenait pas en place : « Nous devions la changer de position toutes les dix minutes. Plus tard, quand je lui lisais des histoires, elle tournait les pages très vite. L’agitation a disparu en grandissant, mais les problèmes d’attention ont perduré et les soucis à l’école ont commencé. » À 7 ans, en CE1, sur les conseils de l’institutrice, les parents se rendent chez une psychomotricienne. Elle fait un bilan, puis les dirige vers une graphothérapeute chère, loin de chez eux, qui leur annonce qu’elle va soigner leur enfant avec des massages et du reiki. « Nous avons fui ! s’exclame Marc. Catherine Vanier, psychanalyste, nous a sortis de cette spirale infernale. Elle s’est demandé si l’anxiété de Lola était la cause ou la conséquence de ces problèmes d’attention. Depuis, nous avons intégré un parcours de soins. Elle a été diagnostiquée TDA sans hyperactivité. Nous essayons d’éviter la Ritaline. » Pour le moment, la petite fille pratique la « remédiation cognitive », un programme qui permet de cultiver les capacités de concentration. Entre les tests, les bilans, les consultations de spécialistes, les parents de Lola ont dépensé près de mille euros. Mille euros pour nommer et tenter d’apaiser la souffrance aussi indiscutable que complexe d’une enfant. Car le TDA/H n’est pas décelable physiologiquement. L’imagerie cérébrale ne permet pas de l’identifier : « Une légère diminution de la matière grise dans certaines régions du cerveau, une légère altération des voies de connexion neuronales reliant les noyaux profonds avec le cortex préfrontal ont été repérées, mais les variabilités individuelles et la comorbidité sont très importantes, assure Jacques Dayan. Il est impossible de dire, en observant un cerveau humain, si son détenteur a un TDA/H ou pas. »
Revoir les modes de vie
Les cliniciens penchent pour une origine multifactorielle. Manuel Bouvard est « convaincu que l’acquisition de la régulation du comportement, de l’attention et de l’activité cognitive mentale s’acquiert plus lentement ou plus difficilement dans les TDA/H, parce que les réseaux neuronaux qui sous-tendent ces processus mûrissent plus doucement ou sont lésés. Mais les réseaux neuronaux ne sont que des mécaniques. Les causes peuvent être multiples : de grandes carences affectives, physiques, des événements perturbants, mais aussi des pesticides, des perturbateurs endocriniens qui peuvent avoir entravé le développement du bébé pendant la grossesse… L’environnement joue un rôle clé dans le surgissement de ces troubles, mais il peut aussi les réguler ».
La plasticité du cerveau, sa capacité à se modifier en fonction du milieu dans lequel nous baignons n’est pas un mythe, rappelle Sarah Stern, psychiatre et psychanalyste, qui ne croit pas au diagnostic de TDA/H : « Un enfant qui soufre de déficits dans une zone peut récupérer des fonctions de cette zone par d’autres voies. Bien sûr que certaines aires cérébrales s’occupent plus ou moins de telle ou telle tâche, mais les liaisons ne sont pas les mêmes pour tous et des frayages, des voies peuvent se créer d’une région à l’autre. Et puis, le découpage de nos processus de pensée en différentes opérations utilisé pour le TDA/H ne recoupe pas le réel : aucune de ces opérations n’est indépendante de l’autre. C’est pourtant sur ça qu’on s’appuie pour poser le diagnostic ! »
Nommer, classifier, donner du sens à des maux difficiles à localiser, c’est ce à quoi s’efforce la clinique des pathologies mentales. La frontière entre normal et pathologique n’est d’ailleurs pas toujours franche. Les mots sont solides et les affections psychiques sont mouvantes, liquides. D’où notre difficulté à les cerner avec le langage. Mais ces troubles reflètent souvent une époque. « Les modes de vie actuels contribuent à développer les troubles d’attention de l’enfant, pense Marie-France Le Heuzey6, psychiatre à l’hôpital Robert-Debré, à Paris. Les enfants, les adultes multiplient les tâches et les écrans simultanés. Je me souviens d’un garçon en consultation qui m’avait dit : “Je n’aime pas l’école parce que je ne peux pas zapper la maîtresse.” » Ce n’est peut-être pas un hasard si nos cerveaux se mettent eux aussi à zapper.
Le terme « trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité » (TDA/H) apparaît en 1980 dans le DSM-III, manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux publié par l’Association américaine de psychiatrie. Il repose sur trois listes de symptômes : les difficultés attentionnelles (l’enfant n’arrive pas à soutenir son attention), l’impulsivité (intolérance à l’attente…) et une éventuelle hyperactivité (difficulté à rester en place…). Le diagnostic se pose généralement à 6 ans. Des bilans complexes sont nécessaires. La pathologie s’estomperait en grandissant, mais pourrait aussi persister à l’âge adulte.
Jacques Dayan, pédopsychiatre et psychanalyste, explique que « ce n’est pas une maladie qui existe “vraiment”, c’est-à-dire au même titre que la grippe. C’est ce qui s’appelle un “construit”. Ses manifestations ou une part d’entre elles sont reconnues depuis le XIXe siècle, et il a été suggéré – différemment selon les époques – de rassembler certaines d’entre elles de la façon la plus cohérente et précise possible pour créer ce diagnostic ».
Les modifications cérébrales constatées, pouvant être autant des corrélats que des causes, les déconstructions sont possibles tant que les faits et les causes n’ont pas été clairement établis.
Le méthylphénidate, la substance qui compose la Ritaline, est un dérivé des amphétamines en « beaucoup moins puissant », selon le Pr Manuel Bouvard, pédopsychiatre, qui ne le prescrit pas avant 7 ans. Les risques d’effets secondaires inquiètent : perte du sommeil, de l’appétit, problèmes de croissance et parfois idées noires. Mais, selon Jacques Dayan, pédopsychiatre et psychanalyste, « dans certains cas sévères de TDA/H, la balance risques/bénéfices est nettement en faveur du produit ». L’enfant récupérerait sa croissance à l’arrêt du médicament, et si la Ritaline ne guérit pas, elle entraînerait les enfants à se concentrer, selon ses défenseurs. Les spécialistes disent la prescrire en dernier recours, et le soutien par des thérapies alternatives est en plein essor : gestion de comportement (travail sur des temps de concentration plus courts, sur l’évaluation du temps…), entraînement à l’attention avec de la « remédiation cognitive » sur ordinateur et régulation émotionnelle.
1. Manuel Bouvard a dirigé l’ouvrage Trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (Dunod).
2. « Overdiagnosis of mental disorders in children and adolescents », The Lancet.
3 et 4. Dans Trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité.
5. Louis Vera, auteur de TDA/H chez l’enfant et l’adolescent (Dunod).
6. Marie-France Le Heuzey, auteure de L’Enfant hyperactif et de L’Adolescent hyperactif (Odile Jacob).
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