Publié le 27/06/2018
Comment avoir un petit accès à cette « boîte noire » correspondant à tout ce que fait votre patient pendant que vous ne le voyez pas ? Bref, comment avoir une petite idée ce qu’il fait dans la « vraie vie », soit durant plus de 99,9 % de son existence ? En psychiatrie, la connaissance du comportement du patient en dehors de l’interaction si particulière de la consultation pourrait donner accès à une sémiologie qui nous est pour l’instant globalement inaccessible.
Depuis quelques années, l’idée a émergé d’utiliser les smartphones pour collecter des données puisées dans la vie du patient. Pour cela, deux approches non contradictoires sont proposées : la collection d’informations obtenues activement auprès du patient, comme par exemple via des questions posées par une application : « avez-vous bien pris vos traitements ? » ; et l’enregistrement d’informations obtenues « passivement », sans aucune intervention du patient. Dans tous les cas, l’objectif premier est de détecter des signaux alertant sur un risque de rechute, afin de proposer une intervention précoce, et,si possible, éviter une hospitalisation.
La position GPS enregistrée en permanence
Si plusieurs études évaluant la collection d’informations « actives » ont déjà été publiées, montrant des résultats intéressants, il restait à démontrer la faisabilité de l’utilisation d’informations « passives ». Dans une étude pilote publiée dans Neuropsychopharmacology, Barnett et coll. ont invité 17 sujets atteints de schizophrénie à télécharger une application enregistrant durant trois mois (avec leur accord) leur position GPS en temps réel, la durée et le nombre d’appels téléphoniques, ainsi que des informations concernant les SMS (entre autres données). Deux fois par semaines, les participants étaient également interrogés directement sur leur état psychologique.
L’application évaluait ainsi une sorte de « phénotype digital » (sur le plan de la mobilité et de la sociabilité) fait de la somme des données récoltées par le smartphone. Elle était destinée à identifier des modifications significatives par rapport au comportement habituel des patients, ce qui était potentiellement annonciateur d’une rechute. Sur les 5 patients ayant fait une rechute pendant la durée de l’étude, 2 avaient supprimé l’application dans les semaines précédant l’hospitalisation. Pour les trois autres, l’application détectait bien une utilisation anormale de leur smartphone dans les jours précédant l’hospitalisation.
Plus d’appels signifie-t-il rechute imminente ?
Pour rendre les choses un peu plus concrètes, on a pu ainsi observer pour l’un des patients ré-hospitalisé pendant la durée de l’étude une activité anormale 9 jours avant son hospitalisation : durant cette journée, le patient avait passé bien moins de temps chez lui qu’à son habitude, avec 4 appels téléphoniques (contre généralement aucun en temps normal).
Cette étude a surtout le mérite de mettre en lumière une approche nouvelle de la sémiologie psychiatrique. Il reste bien entendu à démontrer son intérêt pour prévenir les rechutes. Mais on peut déjà se demander si cette application sera réellement utilisée un jour. Si on se doute que l’obstacle aujourd’hui n’est plus vraiment technologique (l’écrasante majorité de la population – y compris lorsqu’elle souffre de trouble mental – possède et utilise un smartphone), la question de l’acceptabilité pour les médecins et les malades est évidemment dans tous les esprits.
Sommes-nous prêts à surveiller nos patients ?
Pour les médecins, l’un des premiers obstacles est simplement celui d’intégrer une nouvelle dimension à la pratique, en plus, bien entendu, de la question morale d’utiliser un « mouchard » pour suivre son patient (fut-ce avec son accord). Pour les patients, la question est (peut-être trop rapidement) écartée par les auteurs, qui affirment qu’aucun patient n’a développé d’idées de persécution en rapport avec la collection de ces données. Le débat est ouvert.
Dr William Hayward
RÉFÉRENCES
Barnett I, Torous J, Staples P, Sandoval L, Keshavan M, Onnela J-P : Relapse prediction in schizophrenia through digital phenotyping: a pilot study. Neuropsychopharmacol Off Publ Am Coll Neuropsychopharmacol. 2018;43(8):1660‑6.
Copyright © http://www.jim.fr