mardi 10 décembre 2019
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Dr Jean-Claude Lemaire – AUTEURS ET DÉCLARATIONS 9 décembre 2019
Sydney, Autralie–Une vaste étude prospective australienne ayant eu recours à la fois à des tests cognitifs et à l’imagerie par résonance magnétique des centres cérébraux de la mémoire ne montre aucun effet cognitif défavorable des statines chez les sujets âgés. « Ces données sont rassurantes pour les personnes qui se posaient des questions sur l’utilisation des statines et le risque de diminution de la mémoire » écrivent les investigateurs dans le Journal of the American College of Cardiology où sont publiés les résultats de ce travail[1].
La question de la prescription des statines chez les seniors reste toujours d’actualité avec des arguments pour et contre qui dépassent largement le seul critère de la rentabilité économique. Parmi les arguments contre figurent en bonne place la suspicion d’un effet délétère sur la mémoire.
Ce que l’on sait
Pour rappel, en 2012, la Food and Drug Administration a émis une alerte sur le possible risque de troubles cognitifs consécutifs à la prise de statines et fait figurer un avertissement dans les RCP. Deux essais cliniques et une enquête d’auto-surveillance avaient préalablement alerté sur ce risque[2]. La diminution du cholestérol dans les membranes neuronales ou une toxicité neuronale directe ont été évoquées comme des mécanismes potentiels.
Néanmoins, deux méta-analyses dédiées au risque cognitif des statines n’ont pas permis de conclure à une association entre la prise d’une statine et la survenue d’une altération des fonctions cognitives[3,4]. A l’inverse, des études épidémiologiques ont suggéré un effet protecteur qui n’a cependant pas été retrouvé dans les essais cliniques randomisés.
« Si les données disponibles rassurent quant à une induction de troubles cognitifs par les statines, leur effet bénéfique sur les fonctions cognitives reste à étayer », concluait l’Académie de médecine dans un rapport l’année dernière.
Une nouvelle étude observationnelle
La Sydney Memory and Ageing Study (MAS) est une étude observationnelle prospective ayant concerné 1037 sujets australiens âgés de 70 à 90 ans non institutionnalisés et dont le score du Mini Mental State Examination était ≥ 24. Parmi ces sujets 395 n’avaient jamais utilisé de statine et 642 étaient des utilisateurs (anciens n=99, persistants n= 444, débutants n=99). Les statines utilisées étaient la simvastatine, pravastatine, et l’atorvastatine.
L’âge moyen des participants était de 79 ± 5 ans et pour les utilisateurs la durée moyenne du traitement était de 9 ± 7 ans.
L’objectif de l’étude était de rechercher l’existence éventuelle d’un lien entre l’utilisation de statines et
- d’une part, sur une période de 6 ans, les modifications de la mémoire et de la cognition globale (évaluation par un panel de 12 tests neuropsychologiques explorant 5 domaines cognitifs, dont la mémoire, pratiqués tous les deux ans),
- d’autre part, sur une période de 2 ans, les modifications de certains volumes cérébraux (global, hippocampique et parahippocampique) dans un sous-groupe de 526 sujets.
Ces données sont rassurantes pour les personnes qui se posaient des questions sur l’utilisation des statines et le risque de diminution de la mémoire.
Les interactions entre utilisation de statines et facteurs de risque connus de démence ont aussi été examinées (âge, sexe, éducation, maladies cardiaques, HTA, tabagisme, et statut ApoE-epsilon 4 (ApoEε4).
Pas d’association avec le déclin cognitive
Des résultats complets sont disponibles pour 573 sujets, soit 55,3% des la population initiale. Sur 6 ans, les taux de déclin de la mémoire ou de la cognition globale n’étaient pas significativement différents entre les sujets utilisateurs de statines et ceux qui n’en avaient jamais utilisé. Aussi, les résultats étaient similaires pour chaque statine, ce qui a fait dire aux investigateurs que dans leur étude « Chez les australiens âgés vivant dans la communauté, le traitement par statines n’était associé à aucun déclin plus important de la mémoire ou de la cognition sur une période de 6 ans ».
Ce premier résultat déjà très encourageant est encore renforcé par :
- la constatation que l’initiation des statines au cours de la période d’observation (n = 99) va de pair avec une atténuation du déclin de la mémoire, sans qu’il y ait toutefois de différence en termes de cognition globale (p=0,038).
- des analyses exploratoires qui montrent que l’utilisation de statines est associée à un moindre déclin des performances à des tests spécifiques de mémoire chez les participants atteints de maladie cardiaque et les porteurs de l’allèle ε de l’apolipoprotéine E4 qui est un prédicteur de la maladie d’Alzheimer.
A noter que sur les 395 sujets n’ayant jamais utilisé de statine, 72 (19,7%) étaient porteurs d’un allèle apo εE4 versus 149 sur 614 sujets ayant utilisé des statines, (24,2%) et que chez ces derniers sujets le taux de déclin à un test de rappel différé était remarquablement plus lent, ce qui sous réserve de confirmation pourrait faire supposer un certain degré d’efficacité des statines pour contrecarrer les effets de ce facteur de risque de maladie d’Alzheimer.
Les investigateurs insistent sur les précautions à prendre vis-à-vis de ces analyses « exploratoires et non corrigées pour des comparaisons multiples » ce qui fait qu’ « aucune conclusion ferme ne devrait être tirée ».
Aucune différence de volume cérébral n’a…été relevée entre les deux groupes de patients. Pr Katherine Samaras
Pas de différence sur les volumes cérébraux dans l’analyse préliminaire
Concernant les volumes cérébraux, 529 patients ont accepté de participer à cette partie de l’étude. Sur 2 ans, il n’a pas été constaté de différence en termes de modifications des volumes cérébraux évalués entre les utilisateurs de statines et ceux n’en ayant jamais utilisé. Il importe cependant de signaler que ces dernières données ne concernent que moins de 50% de la population globale étudiée et que seuls 408 sujets (soit 20% de moins par rapport à la population initiale pour l’évaluation de ce paramètre) ont eu une mesure des volumes spécifiquement liés à la mémoire (hippocampiques et parahippocampiques) à 2 ans.
« Nous n’avons constaté aucune différence en termes de perte de mémoire ou d’autres troubles cognitifs entre les patients sous statines et les personnes n’ayant jamais pris ces médicaments », conclut le Pr Katherine Samaras (Institut Garvan, Sydney, Australie), première signataire de l’étude, laquelle ajoute « Aucune différence de volume cérébral n’a par ailleurs été relevée entre les deux groupes de patients ».
Des résultats qui devraient donc tranquilliser et renforcer l’usage des statines chez les sujets âgés avec antécédents ou à haut risque d’événements cardiovasculaires.
Souvenons-nous que l’étude PROSPER[5] a montré que la pravastatine pouvait être prescrite sans souci particulier à des sujets âgés (70 à 82 ans), que cette prescription allait de pair avec une réduction significative de 24% des décès coronaires et que la prescription de cette statine n’avait pas d’effet significatif sur la fonction cognitive.
L’étude a été financée par le National Health and Medical Research Council du gouvernement australien. Le Pr Samaras n’a pas rapporté de liens d’intérêts en rapport avec le sujet. Les liens d’intérêt des d’autres auteurs sont cités dans l’article original.
LIENS
- Les statines bénéfiques à tout âge, selon une méta-analyse
- L’avis sur les bénéfices/risques des statines de l’Académie de médecine ne fait pas l’unanimité
- Certaines statines associées à un léger sur-risque de maladie d’Alzheimer
- HOPE-3 : aucun effet des statines ni des antihypertenseurs sur les capacités cognitives
Références : Actualités Medscape © 2019 WebMD, LLC
Citer cet article: Statines : pas de risque accru de déclin cognitif chez les séniors, selon une nouvelle étude – Medscape – 9 déc 2019.