Publié le 19/07/2019
Les infections buccodentaires (maladies parodontales et caries dentaires) sont parmi les plus fréquentes maladies inflammatoires d’origine infectieuse. En Finlande, la prévalence des affections parodontales chez l’adulte atteint 75 % et celle des caries 79 %. Elles surviennent tôt dans la vie, avec une prévalence de 59 % des caries et de 80 % des gingivites chez les adolescents US. Or, le rôle de la parodontite est bien établi comme facteur de risque indépendant des maladies athérosclérotiques cardiovasculaires (MCV) en dépit de l’absence de preuve formelle de causalité. La dysbiose orale et l’inflammation locale contribuent à une réponse systémique avec libération de médiateurs pro inflammatoires.
Un traitement parodontal tend à améliorer le profil athérosclérotique en s’opposant à la dysfonction endothéliale et en baissant les biomarqueurs inflammatoires et lipidiques. Identifier les facteurs de risque CV dès l’enfance peut ainsi améliorer le risque chez l’adulte jeune et la santé cardio métabolique à un âge moyen.
27 ans plus tard
Un travail de J. Pussinen publié récemment dans le JAMA, a analysé l’association entre infections orales infantiles, facteurs de risque et athérosclérose carotidienne chez l’adulte, 27 ans plus tard. Au total 755 participants ont été enrôlés avec une première évaluation de leur état dentaire en 1980 à l’âge de 6,9 ou 12 ans, un suivi cardio vasculaire jusqu’à un âge adulte (en 2001) respectivement à 27, 30 et 31 ans, puis jusqu’en 2007 à l’âge de 33,36 ou 39 ans. L’étude a été close le 19 février 2019. L’examen buccodentaire de départ avait été pratiqué dans une école dentaire universitaire.
Il avait porté sur les habitudes en matière d’hygiène dentaire (fréquence des brossages journaliers), sur le nombre de dents définitives (ou dents de lait) en cours de traitement (caries, obturations.). L’appréciation de l’état CV comprit le calcul de l’index de masse corporel (IMC), la prise de la pression artérielle, les dosages du cholestérol total, des triglycérides, du HDL et LDL-cholestérol, de la C réactive protéine et de la glycémie. On mesura, par ultrasonographie, l’épaisseur de la couche intimale et médiale de l’artère carotide gauche, au niveau de son mur postérieur, à l’entrée dans l’étude, puis en 2001 (468 participants) et en 2007 (489 participants).
Moins de 5 % des enfants sans infection
Dans la cohorte de 755 sujets, il y avait 371 garçons (49,1 %). L’âge lors de la première visite se situait à 8,07 ans (2,00). Les enfants qui présentaient une maladie parodontale étaient, comparativement à ceux indemnes, plus âgés, avec un IMC et une pression artérielle plus élevés. Il en allait de même pour ceux porteurs de caries qui vivaient, globalement, dans des familles avec un bas revenu financier. On détecta un saignement gingival chez 511 d’entre eux (67,7 %), des caries chez 650 (86,9 %), des obturations chez 621 (82,3 %), sans différence notable entre les deux sexes. Des poches parodontales, de faible volume, furent découvertes chez 391 participants (53,9 %), plus fréquentes chez les garçons que chez les filles (59,9 vs 48,9 %).
Globalement, seuls 33 enfants ne présentaient aucun signe d’infection orale (4,5 %). 41 en avaient un (5 ,6 %) ; 127 deux (17,4 %) ; 278 trois (38, 3 %) et 284 quatre (34,4 %). Ce nombre était, en moyenne, égal chez les garçons et chez les filles (2,97 vs 2,87). Il est à noter que la grande majorité des enfants (91,2 %) affirmait qu’ils se brossaient les dents quotidiennement.
L’IMC et la pression artérielle
Durant le suivi, on constata des différences statistiquement significatives de la pression artérielle et de l’IMC selon la présence ou non de signes d’infection bucco-dentaire. Ceux indemnes d’anomalies présentaient une pression artérielle systolique plus basse (différence de 8,1 mm Hg ; p < 0,001). Il en allait de même pour la pression diastolique (6,5 mm Hg ; p = 0,01) comparativement aux enfants avec 4 signes d’infection à l’examen buccodentaire. L’HDL cholestérol et la glycémie étaient aussi plus bas mais le LDL- cholestérol ou les triglycérides n’étaient pas différents. Le nombre moyen de facteurs de risque présents chez les adultes augmentait en parallèle avec le nombre de signes infectieux oraux décelés chez l’enfant.
L’épaisseur carotidienne aussi
L’épaisseur carotidienne, mesurée en 2001 et 2007, variaient également suivant le nombre d’infections orales décelées durant l’enfance. On releva une différence moyenne (SD) de 0,056 mm (0,019) en 2001 et de 0,051 mm (0,017) en 2007 entre les participants qui n’avaient souffert d’aucun signe infectieux buccodentaire vs ceux qui en avaient présenté quatre. En régression linéaire, avec exposition cumulative, les caries, obturations, saignements et le nombre total d’infections apparurent directement associés à l’épaisseur intimale mesurée, en 2017, au niveau de la carotide interne.
La présence d’un quelconque des signes d’infection orale durant l’enfance a été associée à une augmentation du risque d’épaississement pariétal (3° tercile vs terciles 1 et 2), le risque relatif étant de 1,87 (intervalle de confiance à 95 % [IC95] de 1,25 à 2,79) et de 1,95 (IC95 de 1,28 à 3,00) quand étaient présents 4 signes d’infection infantiles. En présence d’une maladie parodontale, l’estimation correspondante était de 1,69 (IC95 de 1,21 à 2,36) ; elle se situait à 1,46 (IC95 de 1,04 à 2,05) en présence de caries et culminait à 2,25 (IC 95 de 1,30 à 3,89) quand 4 signes d’infection orale étaient notés. Cette association était plus nette chez les garçons. Elle était indépendante de la présence de facteurs de risque CV. Une tendance identique fut aussi constatée en 2007.
Au total, la présence d’infections bucco dentaires dans l’enfance est associée au développement, 27 ans plus tard, à l’âge moyen de la vie, d’une athérosclérose carotidienne infra clinique, se traduisant par une augmentation de l’épaisseur intimale de l’artère. Elle est aussi associée à une élévation tensionnelle et à une hausse de l’IMC. Il s’agit donc là de facteurs de risque potentiellement modifiables des maladies CV de l’adulte. Ces infections, en effet, entrainent une dysbiose de la cavité buccale, affaiblissent les défenses et peuvent jouer un rôle dans l’inflammation systémique et l’insulinorésistance.
On peut supposer que ces infections résultent d’une mauvaise hygiène buccodentaire car, dans ce travail, seuls 5,6 % des filles et 12,2 % des garçons signalaient se brosser les dents quotidiennement. A côté de différences environnementales et comportementales peuvent aussi intervenir des différences liées au sexe.
Ce travail a en sa défaveur d’avoir inclus un nombre limité de participants. L’examen de la cavité buccale a été initial, mais n’a pas été répété lors du suivi. Il n’y a pas eu non plus de précisions sur les traitements éventuellement pratiqués, ni sur le régime alimentaire des participants, ni, a fortiori, sur le profil microbiologique buccal.
En conclusion, cette étude suggère donc que les infections orales de l’enfance sont associées à une athérosclérose infraclinique à l’âge adulte.
Dr Pierre Margent
RÉFÉRENCE : Pussinen P et coll.: Association of Childhood Oral Infections with Cardiovascular Risk Factors and Subclinical Atherosclerosis in Adulthood. JAMA Network Open. 2019 ; 2(4) : e192523.
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