Publié le 29/08/2018
La thrombolyse par voie intraveineuse (TIV) est devenue la pierre angulaire du traitement de l’AVC ischémique à la phase aiguë. Encore faut-il que l’heure de ce dernier puisse être déterminée avec une certaine précision puisque, selon les données actuelles, elle doit être accomplie en règle moins de 4,5 heures après la survenue des signes ou symptômes inauguraux. Or et c’est là où le bât blesse, dans 14 à 27 % des cas, selon les séries, il est impossible de connaître l’heure de l’AVC, ce qui conduit à des dilemmes thérapeutiques véritablement cornéliens. C’est particulièrement le cas des AVC du réveil qui illustrent à merveille la problématique : le plus souvent, dans l’ignorance, le malade est injustement récusé et la remarque vaut aussi pour les indications de la thrombectomie mécanique. Dans la mesure où l’évènement survient dans les dernières heures du sommeil, il y a tout lieu de penser qu’il se situe dans l’intervalle de temps exigé pour entreprendre la TIV. C’est là que l’IRM sans injection de produit de contraste peut intervenir pour rendre au malade toutes ses chances, au travers de la confrontation des données fournies par deux séquences, respectivement diffusion et FLAIR (fluid-attenuated inversion recovery) qui donnent accès au mismatch.
Rappel sur le mismatch et le FLAIR de l’IRM
Toute baisse même modérée du débit sanguin cérébral (DSC) peut aboutir à une ischémie plus ou moins symptomatique, voire une olighémie asymptomatique. La pénombre ischémique se définit par un état transitoire, potentiellement réversible, entre olighémie (ou ischémie) et nécrose. La restauration du DSC permet d’éviter cette dernière et de limiter le déficit neurologique quand il existe. C’est d’ailleurs à la phase aiguë de l’AVC que le concept prend tout son sens : son évaluation donne une idée du volume cérébral potentiellement récupérable lors de la recanalisation de l’artère occluse par TIV ou thrombectomie mécanique. L’IRM en permet une bonne approche, grâce à la séquence de diffusion qui donne accès à la nécrose irréversible et à la séquence de perfusion qui permet d’estimer le DSC. Le territoire qui est le siège d’une hypoperfusion sans signe de nécrose (sans hypersignal sur la séquence FLAIR) est celui de la pénombre ischémique, caractérisée par un mismatch dont l’existence est a priori de bon pronostic quand une revascularisation est effectuée en urgence. C’est un signe qui témoigne du caractère récent de l’AVC, en règle moins de 4,5 heures, ce qui autorise la reperfusion par TIV ou thrombectomie mécanique, en fonction du tableau clinique et de la topographie des lésions vasculaires coupables.
WAKE-UP : des résultats attendus
Dans le cadre de l’essai randomisé multicentrique, mené contre placebo et connu sous le nom de WAKE-UP (Efficacy and Safety of MRI-Based Thrombolysis in Wake-Up Stroke: A Randomized, Double blind, Placebo-Controlled Trial), l’intérêt pronostique et thérapeutique de la sémiologie IRM précédemment décrite a fait l’objet d’une évaluation spécifique. Cet essai avait déjà abouti à des résultats intéressants publiés l’année dernière dans Stroke (1) qui témoignaient du bien-fondé de cette stratégie.
Tous les participants avaient été victimes d’un AVC dont l’heure de survenue était inconnue- ce fut le critère d’inclusion- car le plus souvent (plus de 80 % des cas) ce dernier était la surprise du réveil. Deux groupes -altéplase IV versus placebo- ont été constitués par tirage au sort. Dans tous les cas, les patients avaient bénéficié d’une IRM qui révélait un mismatch diffusion/FLAIR témoignant d’un AVC datant en principe de moins de 4,5 heures. L’indication d’une thrombectomie mécanique faisait partie des principaux critères d’exclusion. Pour mémoire, le critère de jugement primaire avait été défini comme un résultat neurologique favorable au 90ème jour de l’évolution, correspondant à un score de 0 ou de 1 sur l’échelle de Rankin modifiée (qui comporte 6 niveaux, de 0 [absence de symptômes] à 6 [décès]). Un critère secondaire a été introduit : c’est la probabilité que la TIV par altéplase conduise à des scores ordinaux plus faibles que le placebo sur l’échelle précédente.
Des résultats éloquents
L’essai WAKE-UP devait inclure au total 800 patients. Il a été interrompu prématurément en raison de problèmes triviaux de financement, de sorte qu’il n’a inclus que 503 participants, soit respectivement 254 dans le groupe TIV et 249 dans le groupe placebo. Au 90ème jour, une issue favorable a concerné 53,2 % (131/246) des patients du groupe TIV, versus 41,8 % (102/244) dans l’autre groupe, ce qui conduit à un odds ratio ajusté (ORA) de 1,61 (intervalle de confiance à 95 % [IC] 1,09 à 2,36 ; p=0,02). Toujours à J90, le score médian dans le groupe traité a été estimé à 1, versus 2 dans le groupe placebo, soit un ORA de 1,62 (IC, 1,17 à 2,23 ; p = 0,003). Dix décès ont été déplorés (4,1 %) dans le groupe traité, versus 3 (1,2 %) dans l’autre groupe, soit un OR de 3,38 (IC, 0,92 à 12,52; p = 0,07). La fréquence des hémorragies cérébrales symptomatiques dans les 2 groupes précédents a été respectivement de 2,0 % et de 0,4 %, soit un OR de 4,95 (IC, 0,57 à 42,87 ; p = 0,15).
L’essai WAKE-UP est concluant : chez les patients victimes d’un AVC ischémique aigu, diagnostiquée le plus souvent au réveil, le recours à l’IRM sans injection de produit de contraste guide efficacement les indications de la TIV. L’existence d’un mismatch entre les séquences de diffusion et FLAIR signe la présence de tissu cérébral ischémique récupérable et le caractère récent de l’AVC (en règle< 4,5 heures, mais ce délai devient à l’évidence théorique à la lueur des informations physiologiques a priori plus exactes…). La TIV est alors autorisée, alors qu’elle était récusée auparavant : elle permet d’améliorer significativement le pronostic fonctionnel à J90, au prix d’un risque d’hémorragie cérébrale supérieur à celui constaté dans le groupe placebo. La confirmation de ces résultats par d’autres études reste cependant nécessaire avant qu’ils ne se concrétisent par la révision des stratégies thérapeutiques en vigueur dans le monde réel, sauf avis contraire des sociétés savantes ou des décideurs des divers systèmes de santé. Il faut enfin souligner que, dans bon nombre de centres spécialisés, c’est le scanner de perfusion qui est préféré à l’IRM, car plus rapide à réaliser, avec la possibilité également de détecter la présence de tissu cérébral ischémique récupérable, toutefois selon des critères sémiologiques différents. Les résultats de WAKE-UP ne s’appliquent qu’à la TIV et non aux thérapies endovasculaires, de sorte que l’optimisme qu’ils peuvent susciter se doit de rester raisonnable…
Dr Peter Stratford
RÉFÉRENCES
Thomalla G et coll. MRI-Guided Thrombolysis for Stroke with Unknown Time of Onset. N Engl J Med., 2018 ; 379: 611-622.
(1) Thomalla G et coll. : Stroke With Unknown Time of Symptom Onset: Baseline Clinical and Magnetic Resonance Imaging Data of the First Thousand Patients in WAKE-UP (Efficacy and Safety of MRI-Based Thrombolysis in Wake-Up Stroke: A Randomized, Double blind, Placebo-Controlled Trial). Stroke 2017; 48 :770-773.
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