L’unité SD-1021 de la série Saildrone – voiliers sans skipper de 7 mètres -, a achevé, le 22 octobre 2019, sa transat d’Est en Ouest, de Lymington (Angleterre) à Newport (États-Unis), en 68 jours par la route Nord. Elle succède à une traversée d’Ouest en Est de l’Atlantique, entre les Bermudes et le Solent, réalisée le 7 août en 75 jours. Après le tour de l’Antarctique, bouclé le 3 août 2019, les voiliers autonomes de Richard Jenkins confirment leur leadership sur le drone à voile.

Le 7 août 2019, SD-1021 entre dans le Solent par les Needles, au terme de 75 jours de traversée depuis les Bermudes où il a dû effectuer une escale forcée, après son départ de Newport.

Le 7 août 2019, SD-1021 entre dans le Solent par les Needles, au terme de 75 jours de traversée depuis les Bermudes où il a dû effectuer une escale forcée, après son départ de Newport. | SAILDRONE

Olivier CHAPUIS Publié le 19/11/2019

Le 22 octobre 2019, s’est conclue en beauté la troisième campagne du SD-1021, l’un des nombreux exemplaires du drone à voile que la société Saildrone de Richard Jenkins développe depuis plus de six ans. Le récit de cette mission commence le 31 janvier 2019, au départ de Newport (Rhode-Island), sur la côte Est des États-Unis. Pendant un mois, SD-1021 doit sillonner le Gulf Stream pour y mesurer les échanges de température et de dioxyde de carbone entre la surface de la mer et l’atmosphère, particulièrement actifs à cette saison.

Saildrone affronte ainsi des conditions météorologiques hivernales qui seraient fort délicates pour un navire embarquant des scientifiques. J’ai déjà évoqué cet avantage majeur du drone, le 30 août 2019, à propos de l’extraordinaire tour de l’Antarctique bouclé par SD-1020, son frère aîné dans la série Saildrone. Début février 2019, le cadet est frappé à son tour par une descente d’air polaire faisant chuter la température de l’atmosphère en surface à… -8 °C, au-dessus du courant “chaud” qu’est le Gulf Stream ! Des données que SD-1021 transmet à terre comme toutes celles qui suivent.

Les rafales atteignent 62 noeuds et les vagues dépassent 12 mètres, lorsqu’une déferlante roule SD-1021 et brise son aile en carbone.

Trois semaines durant, le vent soutenu est régulièrement mesuré à plus de 40 noeuds. Le 26 février, les rafales atteignent 62 noeuds et les vagues dépassent 12 mètres, lorsqu’une déferlante roule SD-1021 et brise son aile en carbone de cinq mètres de hauteur (voir ci-dessous à propos de celle-ci). Le voilier autonome rallie alors Hamilton, aux Bermudes, où son gréement est remplacé. Le 25 mai 2019, il appareille à destination de l’Angleterre.

D’Ouest en Est, il faudra 75 jours à SD-1021 pour gagner Lymington (ville d’origine de Richard Jenkins), le 7 août, après 3 000 milles parcourus. Rapportée aux 2 951 milles de la route directe sur l’orthodromie, sa moyenne est de 1.64 noeud. Le retour vers Newport se fera depuis le Solent – du 15 août au 22 octobre 2019 -, en 68 jours, à la moyenne de 1.78 noeud rapportée aux 2 904 milles de la route directe sur l’orthodromie. Sa moyenne réelle est alors de 2.08 noeuds sur les 3 402 milles couverts sur le fond.

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En rose, la trajectoire de SD-1021 entre Newport et les Bermudes (mission Gulf Stream) ; en vert, la route suivie de Hamilton (Bermudes) à Lymington (Angleterre) et en rouge, le retour vers Newport. | SAILDRONE

Cette vitesse n’est guère élevée en apparence. Cependant, elle est proche des 2.53 noeuds réalisés sur la circumnavigation de l’Antarctique (11 879 milles en 196 jours) et conforme au cahier des charges de ces drones à voile, capables de dépasser les 8 noeuds dans des conditions optimales. Ils sont surtout aptes à suivre des routes prédéfinies avec précision, y compris au louvoyage, pour les besoins des mesures scientifiques qui sont leur principal objet.

Une première contre les vents et courants dominants

SD-1021 devient ainsi le premier drone à voile à réussir une traversée de l’Atlantique Nord dans les deux sens. Cette navigation transatlantique d’Est en Ouest – qui plus est sur la route Nord, face aux vents et courants dominants -, est une grande nouveauté pour un voilier autonome sans équipage.

Ce n’est pas le cas entre l’Amérique et l’Europe. Du 7 juin au 26 août 2018, SB Met avait réussi une telle traversée entre Terre-Neuve et l’Irlande. Ce ”voilier bouée” du Microtransat Challenge avait couvert 2 754 milles en 80 jours, à une moyenne sur le fond de 1.44 noeuds. Mesurant 2 mètres de long, le SailBuoy – développé par la société norvégienne Offshore Sensing – est beaucoup moins complexe et appareillé.

Nettement plus profilé et sophistiqué, Saildrone est un véritable voilier autonome, sans skipper, ce que les Anglo-saxons appellent Unmanned surface vehicle (USV), un véhicule de surface inhabité. Il est long de 7 mètres, pour moins d’un mètre de large et un tirant d’eau de 2.50 mètres, avec un déplacement en charge de 750 kilos.

Contrairement à SD-1020, doté d’une petite aile carrée dans le gros temps hivernal de l’océan Austral, le Saildrone 1021 était propulsé – avant et après l’avarie du Gulf Stream -, par l’aile profilée standard de 5 mètres de haut, rigide et autorotative, qui équipe la plupart des exemplaires de la série. Elle lui permet de remonter au vent et d’effectuer une route précise et maîtrisée, quand un voilier bouée ne peut guère évoluer en avant du vent de travers, pour contrôler tant bien que mal sa dérive.

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SD-1021 aux Bermudes après qu’une déferlante a brisé son aile en fibre de carbone. Le Saildrone a été capable de rallier les parages d’Hamilton avant d’être pris en remorque. | SAILDRONE

Comme tous les bateaux de la flotte, SD-1021 est équipé de capteurs météorologiques et océanographiques mesurant en surface la direction et la vitesse du vent, la température de l’air et de la mer, la pression atmosphérique, la direction, la hauteur et la période des vagues, la salinité et l’acidité de l’océan, la teneur en dioxyde de carbone et bien d’autres données atmosphériques (irradiation, radiations…), intéressant notamment le réchauffement climatique. Un courantomètre Doppler enregistre aussi la direction et la vitesse des courants. Toutes ces données sont transmises aux chercheurs, en temps quasi réel, grâce aux moyens de transmission alimentés en énergie par les panneaux solaires.

Saildrone prévoit plus de cinquante unités naviguant sur les océans du monde en 2020 !

SD-1021 est l’un des quatre voiliers autonomes qui, durant les trois mois de l’été 2018, avaient sillonné l’océan Arctique afin d’y étudier conjointement les taux de dioxyde de carbone et les concentrations de morue, pour le compte du Pacific Marine Environmental Laboratory, l’une des nombreuses collaborations de Saildrone avec la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA). Depuis son lancement et jusqu’à cet aller-retour sur l’Atlantique inclus, cette unité a ainsi parcouru 14 969 milles.

En attendant de voir aboutir des projets de drones à voile plus grands – ceux qui existent déjà, notamment en France, avec Sea Proven de Sphyrna, n’utilisent la propulsion vélique que comme un appoint -, Saildrone est bel et bien la référence en matière de drone à voile, d’autant plus qu’il s’agit d’une véritable flotte imaginée dès le départ. On peut relire, à cet égard, mon article de février 2014 qui raconte comment le Britannique Richard Jenkins a su réunir des compétences de la science et de la voile de compétition autour de cet énorme projet.

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Comme le montre sa caméra, la glace recouvre SD-1021, au début de sa traversée, lorsqu’il est frappé par une descente d’air arctique, avec des températures négatives enregistrées à bord. | SAILDRONE

Ainsi, Saildrone prévoit plus de cinquante unités naviguant sur les océans du monde en 2020 ! À l’instar de SD-1030 et SD-1053 qui effectuent en ce moment la mission ATL2MED, du Cap Vert à Trieste, via Gibraltar. Longeant les côtes, ils suivent une route complexe, à proximité des dangers et du trafic maritime. Autant dire qu’il faut s’attendre à croiser de plus en plus souvent ces navires autonomes. Il faudra s’en écarter avec la même prudence que l’on doit observer vis-à-vis des bâtiments marchands. Au moins sont-ils plus visibles que les innombrables bouées océanographiques, plus ou moins immergées, dont il y a fort à craindre qu’elles constituent une partie des objets flottants non identifiés (OFNI), destructeurs de voiliers, à côté des fûts métalliques, billes de bois, et autres conteneurs régulièrement à la une. Et je n’oublie pas les carambaleinages que j’évoquais dans notre magazine voici… trente et un ans. Une histoire sans fin qui fait d’abord mal aux cétacés.

O.C.

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Croisant devant Hurst Castle, le 15 août 2019, SD-1021 quitte le Solent, cap sur Newport qu’il atteindra en 68 jours, au terme d’une route remarquablement rectiligne. | SAILDRONE

P.S. Mon blog Route fond continue sur cette page Olivier Chapuis. Celle-ci héberge non seulement les nouveaux articles mais aussi tous ceux publiés sur Route fond depuis le premier, mis en ligne le 1er décembre 2008.