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Saildrone, premier voilier inhabité à réaliser le tour de l’Antarctique

Le SD-1020 qui vient de boucler le tour de l’Antarctique est l’un des nombreux exemplaires de Saildrone, drone à voile ayant fait ses preuves au grand large depuis plus de six ans. | SAILDRONE

Olivier CHAPUIS. Publié le 30/08/2019 à 11h40

Saildrone – en l’occurrence l’unité SD-1020 de cette série de voiliers sans skipper de 7 mètres de long -, a bouclé un tour de l’Antarctique, le 3 août 2019. En 196 jours sur 11 879 milles, cette grande première d’un voilier autonome a été réalisée pour partie durant l’hiver austral, dans des conditions extrêmes. Les multiples données transmises en temps réel n’en intéressent que plus les scientifiques. La société de Richard Jenkins confirme ainsi qu’elle est un leader mondial du drone à voile.

Il avait quitté Bluff, sur l’île du Sud de la Nouvelle-Zélande, le 19 janvier 2019. Saildroney est revenu le 3 août dernier, en plein hiver austral, au terme d’une circumnavigation de l’Antarctique de 11 879 milles, réalisée en 196 jours, en partie au-delà de 60° Sud ! Sa vitesse moyenne de 2.53 noeuds n’est guère élevée mais elle est conforme au cahier des charges de ces drones à voile à visées scientifiques, capables dans des conditions optimales de dépasser les 8 noeuds.

À titre de comparaison, la première traversée de l’Atlantique Nord réussie par un” voilier bouée” du Microtransat Challenge – beaucoup moins cher qu’un voilier autonome comme Saildrone, lequel est nettement plus profilé et sophistiqué, – avait été effectuée du 7 juin au 26 août 2018 par le SailBuoy SB Met (2 mètres de long, développé par la société norvégienne Offshore Sensing), entre Terre-Neuve et l’Irlande. Il avait ainsi couvert 2 754 milles en 80 jours, à une vitesse moyenne de 1.44 noeuds.

Pour affronter le gros temps hivernal de l’océan Austral, le Saildrone 1020 était propulsé par une petite aile carrée.

La vitesse n’est pas l’objectif premier de Saildrone dont j’avais narré, dès février 2014, comment des pointures du monde de la science et de la voile de compétition – Coupe de l’America et Volvo Ocean Race -, étaient impliquées dans cet énorme projet imaginé par le Britannique Richard Jenkins. Ce voilier autonome, sans skipper, de 7 mètres de long par moins d’un mètre de large, affiche désormais un tirant d’eau de 2.50 mètres et un déplacement en charge de 750 kilos. Pour affronter le gros temps hivernal de l’océan Austral, le Saildrone 1020 était propulsé par une petite aile carrée, rigide et autorotative, de quelques mètres carrés seulement. Celle-ci remplaçait l’aile profilée de 5 mètres de haut habituellement déployée.

Comme le confirme cette image, SD-1020 a logiquement rencontré bien du gros temps autour de l’Antarctique, pour partie en plein hiver ! | SAILDRONE

En effet, l’aile à élancement standard n’avait pas résisté aux tentatives de 2015 et 2017 autour de l’Antarctique, pas plus en janvier 2019 où elle avait de nouveau subi des avaries. Elle offre pourtant l’avantage d’être apte à remonter au vent ce qui n’est pas le cas de l’aile carrée. Cette dernière est cependant conçue pour résister à des chavirages complets dans les déferlantes. Les unités SD-1022 et SD-1023 en ont ainsi été équipées en mai dernier et elles sont en train – elles aussi – d’effectuer la circumnavigation de l’Antarctique, après avoir franchi le passage de Drake en plein hiver (leur progression peut être suivie ici).

70 noeuds de vent et des vagues de 15 mètres

Du gros temps, SD-1020 en a rencontré à foison durant ces six mois et demi, avec des vents jusqu’à 70 noeuds, des vagues de 15 mètres et des températures proches de 0°C. Une collision avec un iceberg, ayant endommagé plusieurs de ses capteurs, a même failli mettre un terme à la tentative. Lesdits capteurs sont fort nombreux sur cette plateforme plus rapide et surtout beaucoup plus mobile qu’une bouée météo ou océanographique puisqu’elle est capable de suivre une trajectoire autre que celle résultant d’une dérive passive, due à l’effet conjugué du vent et du courant. Saildrone rallie des waypoints grâce aux consignes envoyées par satellite à son pilote automatique. Même avec l’aile carrée utilisée dans le Grand Sud, il le fait à des angles de vent plus serrés qu’une bouée dérivante.

Intégrée au sommet de l’aile de SD-1020, la caméra montre ici l’extrême finesse de la coque de 7 mètres. | SAILDRONE

Quelle que soit sa forme, l’aile est dotée d’instruments météorologiques (vent, température de l’air, humidité…) et atmosphériques (irradiation, radiations…). La coque n’a rien à lui envier avec moult capteurs océanographiques (températures, salinité, acidité, oxygène, biomasse, direction des vagues, hauteur et période, écoute des cétacés…). L’ensemble est alimenté en énergie par des panneaux solaires, exclusivement. De même pour les moyens de positionnement et de télécommunication ou le courantomètre Doppler qui a été embarqué sur SD-1020.

Une saison où très peu de monde navigue à ces hautes latitudes, pour ne pas dire personne.

Enregistrées et transmises en temps réel, les données intéressent d’autant plus les chercheurs qu’elles ont été collectées à une saison où très peu de monde navigue à ces hautes latitudes, pour ne pas dire personne. Les plus grandes institutions travaillent en conséquence avec Saildrone, à l’instar de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) des États-Unis qui a fourni l’instrumentation nécessaire aux mesures de l’absorption du dioxyde de carbone dans l’océan Austral. Une mesure d’autant plus essentielle que celui-ci capterait une part considérable du gaz carbonique et de la chaleur absorbés par les océans.

La coque de Saildrone est de type perce vagues et très largement submersible. | SAILDRONE

Grâce au financement d’une fondation privée, la Li Ka Shing Foundation basée à Hong Kong – elle serait la deuxième plus riche de la planète derrière celle de Bill Gates -, les données Saildrone sont disponibles à tous ici (encore en version bêta… ce site ne fonctionne pas toujours très bien…). Celles provenant de cette circumnavigation de l’Antarctique s’ajoutent à toutes les autres, collectées depuis avril 2015 par 35 Saildrone ayant parcouru plus de 500 000 milles sur la plupart des océans du globe.

Soutenu depuis le début par Eric Schmidt qui était alors le président exécutif d’Alphabet, holding chapeautant Google dont il avait été le PDG, Richard Jenkins en rêvait il y a plus de six ans. Il a d’ores et déjà réussi son pari puisqu’il est devenu un leader mondial du drone à voile (en France, Sea Proven propose Sphyrna, une plateforme nettement plus grande dont la propulsion vélique n’est qu’un appoint). L’Anglais de Lymington, né de parents australiens, envisage de faire tourner en permanence autour de l’Antarctique entre dix et vingt exemplaires de Saildrone. À cet effet et pour toutes les autres missions menées là où ses engins sont plus efficaces que des bouées dérivantes, il développe une flotte impressionnante dans son usine d’Alameda, sur la baie de San Francisco. À quelques encablures de la Silicon Valley, bien sûr.

O.C.

L’aile plus élancée des SD-1022 et SD-1023 n’a pas résisté aux premières tentatives. Notez les quilles profondes et le message : « Véhicule scientifique inhabité, rester à l’écart ». | SAILDRONE

P.S. Mon blog Route fond continue sur cette page Olivier Chapuis . Celle-ci héberge non seulement les nouveaux articles mais aussi tous ceux publiés sur Route fond depuis le premier, mis en ligne le 1er décembre 2008.