Coach du team australien après avoir coaché les Américains de la Coupe de l’America, le Français Philippe Presti suit aussi de très près la progression du team France. | CHRISTOPHE FAVREAU
Christophe FAVREAU et Didier RAVON.Publié le 11/08/2019 à 11h30
Les régates de dimanche à Cowes pour la quatrième étape du circuit Sail GP s’annoncent musclées, avec des vents de 15 à 20 nœuds ou plus. Le Français Philippe Presti, coach des Américains lors des Coupe de l’America 2013 et 2017 et en charge cette saison des Australiens ( deuxièmes du classement provisoire ), revient pour Voiles et Voiliers sur les entraînements en eaux anglaises. Trois des catas ont passé la barre symbolique des 50 nœuds. C’est dire !
Voiles et Voiliers : Philippe, comment se sont passés ces quelques jours d’entraînement ?
Philippe Presti : C’était un peu frustrant car, faisant partie des favoris, nous n’avons été autorisés à nous entraîner que tardivement. Je comprends la volonté de l’organisation de vouloir rééquilibrer les différences de niveau entre les équipages, en donnant plus de temps d’entraînement à ceux qui en ont le plus besoin, mais cela commence à rendre les choses compliquées pour nous.
Cela nous oblige à naviguer dans des conditions difficiles, voir limites comme mercredi où nous avons fini par casser du matériel (aile rigide abîmée. N.D.L.R.). Du coup, nous n’avons pas pu faire la régate d’entraînement.
C’est le jeu mais vis-à-vis de Nathan Outteridge, le skipper de l’équipage japonais, nous avons un déficit de temps de navigation sur des bateaux de ce type et sur lesquels il a déjà passé beaucoup de temps, notamment pendant la dernière Coupe de l’America avec Artemis. Il a une énorme expérience en tant que barreur. Tom Slingsby, notre barreur, était lui à la tactique, ce qui n’a rien à voir.
Retrouvez ici l’autopsie en images d’un chavirage en Sail GP.
L’équipage Australien, détenteur du record absolu de vitesse de la flotte avec 51,24 nœuds, a cassé son aile après cet excès de vitesse. | SAM GREENFIELD / SAIL GP
Voiles et Voiliers : Cette casse vous a amené à naviguer sur le bateau des Français, non ?
Philippe Presti : Oui ! Après le bris de notre aile, les Français ont eu la gentillesse de nous laisser naviguer sur leur bateau le lendemain matin. En échange, nous avons fait un peu de partage d’expérience avec eux.
Je suis resté sur le chase-boat toute la journée avec cette idée de leur donner un petit coup de main… D’ailleurs, l’équipage australien a beaucoup aimé naviguer sur le bateau français. Nous n’avons noté que d’infimes différences. Bref, c’était une expérience très sympa pour moi, d’autant plus que je suis les performances de l’équipage français de près !
Retrouvez ici un reportage au cœur du Team France.
Voiles et Voiliers : Les Anglais ont l’air très en forme ?
Philippe Presti : Clairement. D’abord, ils sont très motivés par le fait d’être à « la maison ». Ils ont vraiment très bien navigué lors des régates d’entraînement qui se sont déroulées dans un vent relativement léger, aux alentours des 8 nœuds.
Même en partant loin derrière, ils ont rattrapé tout le monde, passé tous leurs foil-tacks. Ils allaient nettement plus vite. Ils n’ont quasiment pas commis d’erreur. Cela prouve que l’entraînement paye.
Les équipages plus expérimentés vont être favorisés
L’équipage anglais navigue ici depuis dix jours et tous ses membres régatent à très haut niveau entre les épreuves, et donc arrivent à Cowes super-affûtés. Ils font clairement partie des favoris.
Les Anglais montrent une sérieuse maîtrise depuis San Francisco, même si le chavirage à New York les a rendus ensuite un peu timides sur cette étape américaine. Maintenant, il faut voir quelle sera la météo. S’il y a beaucoup de brise, ce sera un autre monde et ce sont vraiment les équipages les plus expérimentés qui vont être avantagés.
Retrouvez ici nos meilleures vidéos d’entraînements à bord de F50.
Sur cette photo, nous constatons une angulation différente des deux safrans, négative au vent et positive sous le vent. La différence d’angle entre les deux s’appelle le différentiel. | SAM GREENFIELD / SAIL GP
Voiles et Voiliers : En parlant de « brise », que penses-tu du fait que trois bateaux aient passé la barre des 50 nœuds ?
Philippe Presti : L’histoire des 50 nœuds est avant tout technique. Sur ces bateaux, il existe à bord un dispositif, appelé « rudder differential », qui permet de gérer le safran à ailettes au vent et celui sous le vent.
Celui sous le vent va pousser le bateau vers le haut pendant que celui au vent empêche le bateau de trop gîter en « compensant », en quelque sorte. Pour l’instant, le système est réglé sur une différence d’angle entre les deux rudders (safrans. N.D.L.R.) de 6 degrés. Lorsque l’on accélère, le safran au vent ne pousse plus mais au contraire, tire vers le bas, il rajoute du couple de redressement, comme s’il y avait plus de gens au rappel.
Plus le bateau accélère, plus cette force augmente. Du coup, ça évite la casse, comme cela a pu se produire sur la dernière Coupe de l’America aux Bermudes où des appendices ont été arrachés à cause d’erreurs de réglages d’angles à fortes vitesses.
Poussé plus finement dans ses limites
Bref, pour éviter de casser la structure, les F50 disposent du rudder differential qui est un système électronique disposant d’un algorithme réduisant ce différentiel à mesure que la vitesse augmente.
Jusqu’à présent, cet algorithme n’était plus efficace au-delà de 45 nœuds, ne permettant plus de créer du couple de redressement mais au contraire de la gîte. Cet algorithme vient d’être changé et permet de conserver du couple au-delà de 50 nœuds. À cette vitesse, ce nouvel algorithme permet de générer encore 300 kilos de poussée vers le bas. Le bateau n’a pas changé, il est donc juste poussé plus finement dans ses limites.
Voiles et Voiliers : Il est « débridé », en quelque sorte !
Philippe Presti : C’est exactement cela et l’augmentation des performances vient de là ; c’est comme si l’on mettait plus d’équipiers au rappel. Un autre fait intéressant est que, lorsque l’on met comme je l’ai fait lors de notre record à 51,24 nœuds, des GPS indépendants qui ne prennent pas en compte, comme ceux de la centrale électronique du bateau, les accélérations ou les prédictions de courants – qui peuvent monter à 3 ou 4 nœuds sur le plan d’eau de Cowes – on peut constater des vitesses bien supérieures.
Un de mes GPS m’a indiqué une vitesse par rapport au fond supérieure à 57 nœuds ! Parce qu’il ne prenait pas en compte ni le courant, ni le fait qu’il était placé sur la coque au vent, plus rapide que celle sous le vent en cas d’abattée. C’est un peu comme si l’on était aussi rapide en courant sur une piste de 400 mètres, à l’intérieur ou à l’extérieur de la piste.
À 50 nœuds, ils commencent à caviter
Tout ça pour dire que les F50 peuvent sûrement aller encore plus vite si l’on décide de modifier de nouveau l’algorithme pour charger davantage le bateau.
300 kilos de rappel à 50 nœuds, ce n’est pas beaucoup. On doit pouvoir monter jusqu’à 800 sans solliciter dangereusement la structure. Après, si l’on veut aller encore plus vite, il faudra travailler sur les foils, même si ceux utilisés sont déjà bluffants. Ce n’est qu’à 50 nœuds qu’ils commencent à caviter… Ils sont donc déjà très aboutis.
Voiles et Voiliers : Est-ce que ce nouvel algorithme va changer l’approche de la régate ?
Philippe Presti : Franchement je ne pense pas. Nous allons aller aux mêmes vitesses au vent arrière, peut-être un tout petit peu plus vite, mais la différence va surtout se faire au reaching et à l’abattée. Là, les vitesses risquent vraiment d’êtres supérieures. Cela va permettre également plus d’aisance je pense pour les skippers car ils vont pouvoir pousser encore un peu plus les bateaux et augmenter sensiblement leur zone de contrôle.
Aux côtés de Billy Besson, Marie Riou constitue l’ossature du Team France Sail GP. | DR / SAIL GP
Voiles et Voiliers : Et pour finir, un mot sur le plan d’eau ?
Philippe Presti : C’est un plan d’eau mythique où se sont disputées durant des années l’Admiral’s Cup et ce qui est devenu la Coupe de l’America. Il y a aussi la Semaine de Cowes, le départ du Fastnet, etc.
Il est très proche des terres et il peut y avoir jusqu’à trois nœuds de courant. Le vent devrait venir du même sens que ce courant pendant les régates prévues dimanche, ce qui devrait laisser le plan d’eau relativement plat.
Les parcours devraient être similaires en longueur à ceux de San Francisco et le temps de course devrait se situer comme d’habitude entre 15 et 20 minutes… mais cela devrait souffler fort. Il va forcément y avoir du spectacle, sûrement trois manches en flotte et une finale de match-race, comme prévu initialement pour satisfaire aux exigences télévisuelles.