Accueil Course au large Route du Rhum
Si la Route du Rhum s’arrête à Pointe-à-Pitre et que l’on a comme dernière image des bateaux, leur arrivée au ponton du mémorial ACTe, pour eux, l’année n’est pas terminée.
Qu’ils soient démontés et placés sur des cargos, préparés en vitesse pour une traversée retour par les flots ou bien laissés sur place en prévision des courses locales, le programme des voiliers diffère grandement d’un team à l’autre.
Question de fatigue, de responsabilité, de budget et de conscience écologique.
Les flottes Class40 et Rhum, rassemblées dans le bassin Vauban, à Saint-Malo, avant le départ de la Route du Rhum 2022. | THOMAS BRÉGARDIS / OUEST-France
Fabien PASSARD. Modifié le 01/12/2022 à 18h14
« Plus pratique, plus écologique, plus économique mais plus dangereux, on continue l’aventure jusqu’au bout ! »
Voilà l’équation résolue en quelques mots par Matéo Lavauzelle, fidèle technicien de l’équipe Les P’tits Doudous qui, à l’heure où vous lirez ces lignes, sera déjà sur l’Ocean Fifty d’Armel Tripon, qu’il est chargé de convoyer.
En bonne compagnie, puisque le vainqueur de l’édition 2018 lui-même en est également, ainsi que la jeune navigatrice Pamela Lee.
« Ça n’enchante pas Armel plus que ça de faire le retour, mais il n’a pas vraiment le choix, car il n’a pas réussi à trouver quelqu’un d’autre.
Avec ces bateaux où le risque de retournement est important, peu de gens veulent prendre cette responsabilité », explique Matéo, joint par téléphone en pleine préparation du bateau, deux jours avant le départ de Pointe-à-Pitre.
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Pour mener notre tour des pontons méthodiquement, attachons-nous à décortiquer les quatre adjectifs employés par le convoyeur en préambule de cet article.
Ramener le bateau par la mer, plus pratique ? Oui, s’accordent à dire les skippers.
Nul besoin de réserver une place sur un cargo des semaines en avance (avec le risque d’y laisser des plumes en cas d’avarie empêchant de terminer la course), de démonter les appendices (mât, quille, foils…), étape à laquelle dérogent les Class40, ni de s’adapter au planning contraignant de ces mastodontes de métal, qui n’auront cure de ne décharger les petits bateaux que début 2023.
Plus écologique ? Cela semble évident.
« Si le transport maritime était un pays, il se classerait parmi les dix plus grands émetteurs mondiaux », ont ainsi illustré les gouvernements américain et norvégien lors de la toute dernière conférence mondiale pour le climat (COP27), qui s’est tenue en Égypte en ce mois de novembre.
Des cargos responsables de 3 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, mais aussi émetteurs de particules de soufre, très dangereuses pour la santé humaine.
Les retours de bateaux en décembre, ce n’est jamais anodin, car ils ont été beaucoup sollicités à l’aller et ce sont des conditions compliquées
Louis Duc, qui s’est classé 27e pour sa première Route du Rhum en IMOCA, aurait pourtant pu choisir cette option, lui qui a chaviré et perdu son Class40 au retour de la transat Jacques Vabre 2019, puis dont le bateau a démâté il y a un an, lors du convoyage de la dernière : « Les retours de bateaux, ça ne m’a pas toujours réussi, préfère-t-il en rire aujourd’hui.
Ce n’est jamais anodin, car ils ont été beaucoup sollicités à l’aller, et le retour se fait en décembre, dans des conditions compliquées.
Mais les IMOCA sont des gros bateaux, ça ne devrait pas poser de problèmes, quasiment tous rentrent par la mer. »
Skipper attitré à bord ou non, c’est ce qui diffère dans cette classe.
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Ainsi, à l’instar de la concurrente qu’il précède au classement, Samantha Davies, le skipper normand veut rentrer sur son bateau, question de « responsabilité », et pour « n’avoir aucun regret : « C’est délicat de mettre son projet entre les mains d’autres personnes, ça a des conséquences importantes si ça se passe mal ».
La navigatrice d’Initiatives Cœur a plutôt en tête de profiter de cette occasion d’enfiler des miles, à la barre d’un bateau qu’elle ne connaît pas encore bien.
Peu importe la raison, ces retours maritimes des skippers ont un autre bienfait écologique, celui d’éviter un retour en avion, alors que le secteur de l’aviation contribue à hauteur de 5 % au réchauffement climatique mondial (gaz à effet de serre et condensation).
Autre cas de figure en IMOCA, les concurrents inscrits à The Ocean Race (Kevin Escoffier, Paul Meilhat, Benjamin Dutreux et Boris Herrmann) ont laissé leur monocoque de 60 pieds entre les mains de leurs futurs équipiers.
Cap pour eux sur l’Espagne et Alicante, d’où le départ de cette course autour du monde sera donné le 15 janvier prochain.
Louis Duc (Fives-Lantana Environnement), sera du trio de convoyeurs pour ramener son IMOCA en Normandie. | BERNARD LE BARS
Troisième et dernier bienfait de la mer par rapport au cargo, le coût.
Il convient d’avoir quelques chiffres en tête pour s’en rendre compte.
Pour poser un Imoca sur le pont d’un cargo, il faut débourser au bas mot 45 000 €, pour un trimaran de 50 pieds, c’est 70 000, et pour un Class40, comptez 25 000 €.
Dans la classe Ultim, la question ne se pose même pas.
« La mer est une évidence, nos bateaux sont faits pour naviguer.
Ils traversent en une semaine alors que les cargos, il faut les attendre », balaie Tiphaine Combot Seta, responsable communication du Gitana Team .
Et l’écurie du vainqueur de la Route du Rhum 2022 n’a pas ce luxe, elle qui souhaite mettre son bateau en stand-by le plus tôt possible pour le Trophée Jules Verne , à l’instar de Sodebo . Arthur Le Vaillant, 6e sur Mieux, est le seul de cette catégorie à être rentré à bord de son trimaran, assisté de cinq équipiers, tandis que Romain Pilliard (Use It Again by Extia) reste en Guadeloupe pour le moment.
Mais pourquoi donc s’acharner alors à vouloir poser sa coque sur un géant des mers ?
En fait, la question se pose surtout pour les monocoques de 40 pieds.
En effet, comme sa grande sœur Ultim, la classe Ocean Fifty rentre à l’unisson par les flots.
Ainsi, une vraie flottille de cinq de ces trimarans s’est élancée pour la « manche retour » dimanche dernier, quelques heures après la remise des trophées.
Outre Armel Tripon, le jeune Quentin Vlamynck, dauphin de cette Route du Rhum, reste également à bord de sa machine volante pour le retour.
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En catégorie Rhum, les histoires et projets des uns et des autres sont tellement divers qu’il est compliqué de dresser une tendance générale.
Ce qui est sûr, c’est que nombre d’entre eux vont laisser leur destrier aux Antilles un moment, que ce soit pour le remettre en état et le ramener au printemps, pour s’aligner sur des régates locales ou bien simplement refaire la caisse de bord en organisant des sorties touristiques.
Le temps presse moins pour ces projets construits généralement autour de la seule Route du Rhum, et rend la prise de risque « inutile », rappelle Amande Salas Rivera, qui entoure Fabrice Payen dans le team Vent debout.
« Fabrice ne voulait pas mettre en danger l’équipage, lui-même et le bateau, dont il est propriétaire.
Et puis on a quelques actions à mener ici en Guadeloupe avec nos partenaires. »
En Class40, trois solutions : cargo, convoyage ou Défi Atlantique
La donne est bien différente en Class40.
La traversée retour, périlleuse sur ces plus petits voiliers, rebute la plupart des concurrents, qui optent généralement soit pour le cargo soit pour un bail prolongé de quelques mois aux Antilles, où le calendrier leur permet d’enchaîner avec plusieurs courses dès le début d’année prochaine.
Ainsi du team IBSA, dont le flambant bateau bleu et jaune mené par Alberto Bona est arrivé 8e : « On voulait continuer la saison ici, avec la Caribbean 600 en février, puis le Défi Atlantique en avril, une transat retour qui nous permet d’éviter le cargo ».
Le skipper italien et son équipe reviennent passer les fêtes chez eux, puis seront de retour dès janvier pour préparer le bateau.
A contrario, l’option cargo a été privilégiée pour le bateau de Yoann Richomme, vainqueur de la catégorie.
« On ne voulait pas prendre le risque de le ramener par la mer, car il est déjà vendu.
Même si les coûts ont beaucoup augmenté en cargo, déplore Romain Ménard, directeur du team Paprec-Arkéa.
D’autant plus qu’avec un bateau neuf, on doit rajouter un petit billet en plus pour l’assurer à une valeur supérieure aux 250 000 € de base. »
Par la mer, la facture ne dépasse généralement pas les 10 000 €, incluant paiement des convoyeurs, avitaillement et éventuelle escale aux Açores selon la situation dans le golfe de Gascogne.
Le Class40 Paprec-Arkéa, sur lequel Yoann Richomme a remporté sa deuxième Route du Rhum, repartira de Guadeloupe en cargo mi-décembre, et n’arrivera que début janvier en métropole. | ALEXIS COURCOUX – RDR 2022
Pour cette raison ou par conviction écologique, certaines équipes Class40 ont ainsi fait le choix de ramener leurs bateaux contre vents et marées.
C’est le cas de Redman, dont le skipper Antoine Carpentier a franchi la ligne d’arrivée en 5e position.
« Le bateau rentre avec une petite équipe de convoyeurs qui est déjà sur zone, ce sont deux potes qui ont déjà bossé dessus.
Je n’ai jamais été fan de l’idée de ramener des bateaux par cargo.
On a quand même des bateaux faits pour ça !
En naviguant prudemment et en prenant le temps de regarder la bonne fenêtre météo, ça devrait le faire », assure Carpentier.
Lui rentre en avion pour cette fois : « Enchaîner course et convoyage, je le faisais beaucoup au début du projet, mais c’est usant à force. »
Route du Rhum convoyage Transport maritime Les P’tits Doudous Paprec Arkéa Fives-Lantana Environnement