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Stéphanie Lavaud  – AUTEURS ET DÉCLARATIONS  16 novembre 2018

Chicago, États-Unis — L’étude REDUCE-IT (Reduction of Cardiovascular Events with Icosapent Ethyl–Intervention Trial) – à l’acronyme prémonitoire – a enfin réussi là où les autres avaient échoué avant elle, mais il faut dire que les investigateurs ont mis la dose. Néanmoins, le résultat est là : chez des sujets avec une pathologie cardiovasculaire ou à haut risque cardiovasculaire et hyperglycéridémiques, l’ajout de 4g par jour d’huile de poisson purifiée (acide eicosapentaénoïque, EPA) permet une diminution du risque relatif de pathologies cardiovasculaires de 25%. Présentés au congrès de l’AHA[1]et publiés simultanément dans le NEJM[2], ces nouvelles données viennent confirmer l’annonce faite par le sponsor de l’étude, Amarin, il y a quelques semaines déjà [3].

Interrogé par notre consœur de theheart.org | Medscape Cardiology le DrDeepak L. Bhatt (Brigham and Women’s Hospital, Boston, Massachusetts), principal investigateur, s’est montré très enthousiaste lors de la présentation des résultats : « la réduction de 25% du critère primaire, révélée précédemment, était déjà très impressionnante en soi, mais les résultats plus en détail que nous rapportons aujourd’hui, montrent des diminutions importantes et cohérentes sur beaucoup d’autres critères et ces résultats sont extrêmement significatifs et solides ». Et pour cause, « le critère primaire a une valeur de p de 0,00000001 — c’est-à-dire 7 zéros après la virgule » a-t-il ajouté. « Ce sont des niveaux de significativité que je n’avais jamais obtenus durant toutes mes années à réaliser des essais cliniques, personne ne pourra dire que c’est un hasard ».

Avant de conclure : « C’est un super résultat pour les patients qui va clairement faire avancer d’un cran les pratiques cliniques ».

C’est un super résultat pour les patients qui va clairement faire avancer d’un cran les pratiques cliniques Dr Deepak L. Bhatt

Du Groenland à REDUCE-IT

Le contexte de REDUCE-IT est le même que celui de l’étude ASCEND ou de VITAL dont les résultats négatifs avec de faibles doses d’oméga-3 ont été présentés cet été au congrès de l’ ESC2018 et de l’ AHA2018 , respectivement. Toutes ces dernières années, les chercheurs ont cherché à reproduire dans un essai clinique ce que des études observationnelles menées chez différentes populations (notamment les eskimos du Groenland) ont montré, à savoir les bénéfices de la consommation de poisson sur la réduction des pathologies cardiovasculaires. Jusqu’à présent, les essais ont été décevants.

Pourquoi le résultat de REDUCE-IT est-il différent ? Alors que les études précédentes ont focalisé sur le cholestérol et testé des doses relativement faibles d’oméga3 de différents types, les investigateurs de REDUCE-IT ont préférer miser sur les triglycérides (TG), une anomalie lipidique particulièrement sensibles aux oméga-3 de type EPA (voir encadré en fin d’article) – qui est justement l’huile de poisson utilisée dans l’essai japonais JELIS datant de 2007 [4]. Dans cette étude, où 18645 patients japonais avec une hypercholestérolémie ont reçu de l’EPA à raison de 1,8 g par jour plus une statine à faible dose ou une statine seule (pas de groupe placebo), le risque d’événements coronaires majeurs a été réduit significativement de 19% dans le groupe EPA. Une étude post-hoc a, en outre, montré que les patients avec un taux élevé de TG étaient ceux qui avaient tiré le plus grand bénéfice de l’EPA. Des constats qui ont inspiré les investigateurs quand il s’est agi de bâtir le protocole de l’étude de REDUCE-IT.

EPA pure

L’étude multicentrique, randomisée, double-aveugle versus placebo, de phase 3b, a inclus 8179 patients issus de 11 pays différents (Amérique, Europe, Asie) entre 2011 et 2016. Parmi ces 8179 participants, 70,7% étaient en prévention cardiovasculaire secondaire, tandis que 29,3% présentaient un diabète et au moins un autre facteur de risque, tous étaient sous statine. L’âge médian était de 64 ans, et 29% étaient des femmes. A l’inclusion, les participants avaient une triglycéridémie à jeun entre 1,35 et 5 g/L (2,16 g en moyenne) et un LDL-C entre 0,4 et 1 g/L (0,75 g en moyenne). Après randomisation, un groupe de patients a reçu de l’EPA pure (à raison de 2 grammes 2 fois par jour) à prendre avec de la nourriture, tandis que l’autre groupe prenait un placebo contenant de l’huile minérale (sans autre précision si ce n’est qu’elle mimait l’EPA en couleur et en consistance).

25% de réduction du risque CV

Après un suivi médian de 4,9 ans, le critère primaire – qui consistait en la survenue d’un événement cardiovasculaire d’importance (décès cardiovasculaires, infarctus du myocarde ou AVC non fatals, revascularisation, hospitalisation pour angor instable) a été noté chez 17, 2% des patients du groupe EPA contre 22% des patients du groupe placebo, soit une réduction du risque relatif de 25% (HR : 0,75 ; IC95% : 0,68 – 0,83 ; P<0,001). Ce qui a porté le nombre de patients à traiter pour éviter un événement du critère primaire à 21 (IC95% : 15-33). Tous les critères secondaires pré-spécifiés, pris individuellement ou de façon composite, ont été meilleurs dans le groupe EPA (voir tableau), à l’exception du critère « décès toute cause » de 6,7% dans le groupe EPA versus 7,6% dans le groupe placebo (le dernier dans la hiérarchie des critères secondaires).

Tableau. Principaux résultats de REDUCE-IT

Critères EPA (%) Placebo (%) Hazard Ratio (IC95%) P
Mortalité CV, infarctus du myocarde, AVC, revascularisation coronaire, ou angor instable (critère primaire) 17,2 22,0 0,75 (0,68 – 0,83) <0,001
Mortalité CV, infarctus du myocarde ou AVC (critère secondaire) 11,2 14,8 0,74 (0,65 – 0,83) <0,001
Mortalité cardiovasculaire 4,3 5,2 0,80 (0,66 – 0,98) 0,03

Mais un peu plus de saignement sévères et de FA

En termes d’effets indésirables, aucune différence significative n’est apparue entre les deux groupes si ce n’est un taux de fibrillation auriculaire (FA) plus important dans le groupe EPA que dans le groupe placebo (5,3% vs. 3,9%), se traduisant par un taux plus élevé d’hospitalisation pour FA dans le groupe EPA (3,1% vs. 2,1%, P=0,004). De même, il a été observé un taux plus élevé de saignements sévères dans le groupe EPA (2,7% vs. 2,1%, P=0,06, respectivement).

Un effet inédit, des mécanismes inconnus

Après sa présentation à l’AHA, REDUCE-IT a suscité de nombreux commentaires des auteurs de l’étude eux-mêmes et des cardiologues présents pour expliquer cet indéniable bénéfice des oméga 3. Il faut bien dire que les résultats obtenus ici tranchent très nettement avec ceux des études précédentes menées avec des agents ayant aussi un effet connu sur le taux de cholestérol, qu’ils s’agissent d’autres oméga-3, de la niacine LP, des fénofibrates ou des inhibiteurs de CETP. « Impossible de dire si l’échec était dû aux faibles doses utilisés jusqu’à présent, ou à un ratio EPA sur acide docosahexaénoïque (DHA), tant la dose (élevée) d’oméga-3 et la pureté utilisées dans cette étude sont inédites » reconnaissent les investigateurs tout en prévenant toute généralisation hâtive : « les résultats de cette étude ne peuvent donc pas être étendus à d’autres préparations à base d’oméga-3 – notamment celles que l’on trouve sous forme de compléments alimentaires, hétérogènes et non contrôlés, qui n’ont pas fait la preuve de leur bénéfice clinique » écrivent-ils.

Quels sont donc les mécanismes responsables des bénéfices cardiovasculaires de l’EPA dans REDUCE-IT ? Difficile à dire, reconnaissent les auteurs. Sachant que ces derniers ont été observés quel que soit le taux de TG à l’inclusion ou à 1 an après le début de l’étude, tout au plus, peuvent-ils suggérer que les bénéfices observés relèvent d’effets métaboliques autres que ceux dus à la réduction des taux de TG. Ils évoquent ainsi un possible effet anti-thrombotique, stabilisateur des membranes cellulaires et une régression de la plaque athérothrombotique. Un niveau abaissé de protéine-C réactive, suggérant un effet anti-inflammatoire, est lui aussi envisagé.

Les résultats de cette étude ne peuvent donc pas être étendus à d’autres préparations à base d’oméga-3 – notamment celles que l’on trouve sous forme de compléments alimentaires, hétérogènes et non contrôlés – Les auteurs

La mauvaise cible

Au vu des résultats de REDUCE-IT, les commentateurs se sont aussi interrogés sur le choix de la cible lipidique pour abaisser le risque cardiovasculaire. « On a grandi avec l’idée que le bénéfice cardiovasculaire se mesurait à l’aune de la baisse du LDL cholestérol, mais on dispose désormais d’une nouvelle approche passionnante pour réduire le risque CV des patients avec des TG élevés » a considéré le Dr Carl Orringer (University of Miami, Florida) lors de la présentation de la session. Un changement de paradigme partagé aussi par le Dr Jane Armitage (Oxford University Hospital NHS Trust, Royaume-Uni), investigatrice de l’étude ASCEND. Interviewé par le Dr John Mandrola pour l’édition US de Medscape, elle a affirmé : « les gens ont cru pendant des années que c’était le HDL-cholestérol qui était important plutôt que les TG, mais il y a aujourd’hui une émergence de preuves – en provenance de la génétique et d’autres sources – qui montrent que nous focalisions peut-être sur la mauvaise cible. »

Placebo actif ?

Si les commentateurs se sont montrés très enthousiastes, certains ont tout de même tiqué sur la pertinence du placebo utilisé, à l’instar du Dr Steve Nissen (Cleveland Clinic, Ohio), qui est par ailleurs l’un des investigateurs de l’étude concurrente STRENGTH (voir encadré sur les autres études en cours), ou du Dr Jane Armitage. Tous deux se sont inquiétés du choix d’une huile minérale – dont on ne sait pas grand-chose – mais qui pourrait ne pas être totalement inerte et avoir affecté l’absorption des statines. Une limite admise par les auteurs dans l’article mais repoussée au prétexte que les faibles écarts entre les niveaux de LDL-cholestérol chez les patients des deux groupes ne peuvent expliquer à eux-seuls la réduction de risque de 25% du groupe EPA[2], objectant aussi que dans l’étude JELIS, en ouvert, sans placebo, l’écart de risque a tout de même été de 19% [4].

Beaucoup d’enthousiasme en dépit des limites

En dépit de ces limites – un mécanisme d’action largement inconnu et un placebo peut-être pas totalement neutre – l’étude a soulevé l’enthousiasme. « On voit rarement de telles réductions de risque et ces résultats sont révélateurs que l’intervention a été très efficace » a ainsi commenté le Dr Orringer, évoquant « une étude phare » qui « donne à penser ».

Et même si l’essai a été largement chapotée par le sponsor – le fournisseur d’EPA, Amarin,  y compris en termes d’analyse des résultats – et que l’utilisation de la gélule d’oméga-3 a entrainé une élévation du risque de fibrillation auriculaire – étonnamment peu discutée par les auteurs –, les acteurs de la cardiologie se sont tous montrés séduits par l’effet enfin révélé au grand jour de cet oméga-3, en termes de prévention cardiovasculaire, chez les patients à haut risque et à TG élevé. Une réduction du risque, qui, rappelons-le tout de même, peut être obtenu par des modifications de l’hygiène de vie.

On peut déjà gager que les résultats des autres études en cours (encadré ci-dessous) vont être guettés avec impatience. A noter pour ceux qui voudraient dès à présent l’intégrer dans leur pratique clinique que l’EPA (Vascepa®, Amarin) utilisé dans REDUCE-IT est déjà approuvé aux États-Unis pour les patients avec un taux de TG supérieur à 500 mg/dL. Amarin a prévu de demander une extension d’indication à la FDA en lien avec les résultats de REDUCE-IT début 2019.

Les études à venir

D’autres études en cours, comme STRENGTHRESPECT-EPA et EVAPORATE qui visent à évaluer l’action des omégas-3 à forte dose sur les événements cardiovasculaires chez des patients présentant une hyper-triglycéridémie et traités par statine, devraient permettre d’éclaircir le mécanisme d’action de ces acides gras.

En savoir plus sur l’acide eicosapentaénoïque (EPA)

Acide gras polyinsaturé à longue chaîne, de la famille oméga 3, l’EPA est synthétisé par l’organisme à partir de l’acide alpha-linolénique (ALA) ou est apporté par la consommation de poissons gras (thon, saumon, hareng, etc…). Précurseurs de molécules de la famille des eicosanoïdes – dont la prostaglandines (PGE3) et le thromboxane (TXA3) –, les oméga 3, et en particulier l’EPA, ont un effet favorable sur les pathologies cardiovasculaires chroniques : arythmie (prévention), fibrillation, thrombose (inhibition de la formation), pression artérielle (diminution), taux lipidiques (diminution des TG sériques), formation et stabilité de plaque athéromateuse (retardement)

Ces effets, favorables à la santé cardiovasculaire, sont à l’origine des conseils alimentaires qui visent à accroître la consommation de poissons gras. Pour mémoire, les recommandations en acides gras de l’ANSES de 2011 chez l’adulte (en bonne santé) consommant 2000 kcal par jour sont de 250 mg d’EPA quotidien [5]. Dans les faits, les apports en EPA + DHA chez les adultes dans différents pays d’Europe varient de 80mg /jour à 420 mg /jour. Ils sont donc également inférieurs aux recommandations de 500 mg/jour. En France, les apports sont de 350 mg /jour pour les femmes et 420 mg/jour pour les hommes (soit 0,17% de l’AE en moyenne) [6].

L’étude a été financée et supervisée par Amarin Pharma. Les nombreux liens d’intérêt des auteurs sont consultables ici.

Liens

Références

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Citer cet article: REDUCE-IT : les oméga-3 en prévention cardiovasculaire font enfin de l’effet – Medscape – 16 nov 2018.