Paris, le mercredi 12 mai 2021 –
La quarantaine des personnes infectées puis très vite le confinement se sont imposés comme des armes majeures contre la pandémie de Covid dans quasiment tous les pays du monde, suivant l’exemple de la Chine.
Certains n’ont pas manqué de regretter que les nouvelles technologies ne permettent pas d’éviter le recours à des méthodes pouvant être considérées comme archaïques.
Cependant, la pénurie d’équipements de protection dans un premier temps et surtout la limitation des capacités hospitalières ont contraint beaucoup de gouvernements à se résoudre à ce choix.
Par ailleurs, même dans les pays qui pouvaient s’appuyer sur des organisations hospitalières plus robustes et sur des équipements plus disponibles, le confinement a pu être souvent jugé comme la meilleure des solutions pour limiter la circulation du virus et ainsi réduire la mortalité.
60 à 100 000 morts évitées…
L’efficacité de ces confinements est très difficile à évaluer.
Les comparaisons entre les pays sont en effet complexes, compte tenu des multiples différences qu’elles soient démographiques, sanitaires, sociologiques ou encore climatiques.
Il ne fait cependant aucun doute que la limitation des contacts entraîne automatiquement une réduction de la transmission et qu’au-delà de la part de l’évolution de l’épidémie qui échappe à l’influence des comportements humains, les confinements ont contribué à diminuer la mortalité liée à la Covid.
Dans quelle proportion ?
Des modélisations ont tenté de proposer des estimations.
Elles sont nécessairement grevées de biais, notamment quand les responsables de ces travaux sont précisément ceux qui avaient affirmé que l’absence de confinement entraînerait la pire des hécatombes, telle la célèbre équipe britannique de Neil Fergusson.
Par ailleurs, comme le remarquent Henri Leleu, Kevin Brookes, docteur en sciences politiques et Maxime Sbaihi, économiste pour le Think Tank Générations Libres, qui vient de consacrer un rapport à l’analyse du rapport coûts/bénéfices des confinements, ces extrapolations ne tiennent pas toujours compte du fait que même sans mesure aussi stricte, les comportements se seraient néanmoins adaptés à la circulation du virus (et qu’une épidémie n’est jamais une exponentielle infinie !).
Aussi, « à partir d’un « modèle d’agent » de la COVID-19 développé pour la France, nous avons estimé que les confinements auraient permis d’éviter entre 60 000 et 100 000 décès par rapport à d’autres mesures, comme le port du masque généralisé, la réduction des contacts sociaux (8 à 16 %) et un recours accru au télétravail (augmentation de 30 à 45 %).
Ce modèle est fondé sur un taux de mortalité de 0,70 % qui a été estimé pour la France en juillet 2020, et qui pourrait néanmoins surestimer la mortalité de la COVID-19 comparée aux estimations récentes de l’OMS.
Le modèle prend aussi en compte la saturation des hôpitaux ».
En retenant l’estimation haute de ce « modèle » et alors que l’espérance de vie des personnes « sauvées » est en moyenne de cinq ans, le Think Tank relève que l’on peut considérer que 500 000 années de vie ont été épargnées.
…et 1,2 millions d’années de vie perdues
Comment dès lors évaluer les coûts humains et les années de vie perdues du fait des confinements ?
L’exercice est également très difficile.
Les différences sociologiques et démographiques ont également une influence, ainsi que les mesures de sauvegarde économiques mises en place qui ont été en France parmi les plus généreuses au monde.
La limite tient également à l’incertitude sur les conséquences à moyen ou long terme du recul économique provoqué par les confinements et ce d’autant plus que comme le remarque Générations Libres que ce sont quasiment exclusivement les jeunes qui ont pâti économiquement de la crise.
Il n’est ainsi pas impossible que des dommages bien réels puissent être finalement totalement corrigés, permettant ainsi d’éviter la diminution d’espérance de vie liée à la perte des revenus.
Cependant, en se basant sur les données démographiques et statistiques de l’INSEE (qui permettent de déterminer les corrélations entre espérance de vie et niveau de vie), en rappelant que les observations signalent la persistance de la pauvreté (qui s’est accrue depuis la crise économique de 2008), le modèle développé par le Think Tank évalue à 380 000 le nombre d’années de vie perdues des nouveaux pauvres et à 830 000 celles des déclassés, soit au total 1 210 000.
Dès lors, avec ce critère, le rapport coûts/bénéfices apparaît en défaveur des confinements.
Le groupe de réflexion indique que cette évaluation ne tient pas contre de l’ensemble des conséquences sur la santé physique (retards de diagnostic, accroissement de la sédentarité…) et psychologique des confinements en termes d’années de vie perdues.
La réflexion ne peut également pas mesurer les effets liés aux perturbations scolaires et étudiantes.
Un « éclairage indispensable »
Le Think Tank se garde cependant bien de conclure qu’il aurait fallu ne pas confiner et n’ignore pas que de telles analyses ne peuvent être conduites qu’a posteriori, notamment parce qu’au printemps 2020 il était impossible d’être assuré de la réelle létalité de la Covid.
Cependant, il souhaite que cette approche encourage à davantage mesurer l’ensemble des impacts du confinement, tandis qu’il attire l’attention sur les données qui suggèrent l’absence de corrélation entre la dureté des mesures et leur efficacité.
« Ces premiers éléments de chiffrage ne sauraient être interprétés de manière définitive (ils appellent d’autres évaluations, avec d’autres méthodologies), mais fournissent un éclairage indispensable au débat public.
Pour pouvoir tirer un bilan global de la gestion de la crise sanitaire en France, nos choix collectifs ne peuvent qu’être jugés sur leurs conséquences collectives », résument ainsi les trois auteurs.
Le débat est loin d’être clos.
Car il est pratiquement illusoire de vouloir comparer une estimation des morts immédiates évitées (basée sur des variables incertaines et fluctuantes comme la létalité de l’affection, l’efficacité de la réanimation et des mesures barrières, le taux de transmission du virus…) et une évaluation des conséquences directes et indirectes à court, moyen ou long terme des confinements (sur la santé psychique et physique des populations, sur la qualité de l’éducation des enfants et adolescents, sur le niveau de vie général…).
Aurélie Haroche
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