Juin 2017
Quelques pistes pour éviter les blessures
Cet article expose notre propos lors de la table ronde du 28 janvier 2017organisée par l’Union Sportive d’Ivry, auxquelles ont assisté une cinquantaine de personnes. La commande qui nous était adressée portait sur : « Comment éviter les blessures ? »
Deux préalables : Visite médicale et tests sportifs
Rappelons que si légalement la validité de la visite médicale est portée à trois ans, elle garde un rôle préventif de blessures diverses, d’accident cardiaque voire de mort subite. Pour cela, elle ne peut pas être réduite à une signature apposée à un certificat de non-contre-indication, mais doit comprendre un vrai diagnostic (Ziane, 2016a) visant à mettre au jour d’éventuelles anomalies (test de Flack, test de Ruffier…) : « Ces différents tests peuvent être utiles à la fois pour dépister des contre-indications à la pratique du sport, mais également pour surveiller la bonne forme d’un sportif, en vérifiant le résultat d’un entraînement adapté » Bacquaert (2013).
Les résultats de ces tests doivent conduire, si nécessaire, à réaliser des examens plus approfondis (échographie, électrocardiogramme, test d’effort).
Fig. extraite de : irbms.com
Sur le terrain de la pratique sportive, l’entraîneur devra réaliser des tests dont les résultats doivent permettre de positionner le pratiquant dans un groupe de niveau, de lui faire un programme et de mettre en évidence des progrès ou au contraire des régressions. Il s’agira donc de mesurer des capacités, des manques ou ressources faisant défaut, des déséquilibres, de définir des objectifs réalistes et réalisables, de définir un projet d’entraînement comprenant une progression et des exercices prophylactiques.
Place et rôles de la préparation physique
Rappelons, que de notre point de vue, la préparation physique n’est ni de l’athlétisme ni de l’haltérophilie. Il s’agit d’une démarche au sein de laquelle la dimension prophylactique doit prendre toute sa place :
- Analyse de l’activité pratiquée et ses contraintes
- Observer et comprendre le sportif à l’entraînement et en compétition (ce qui lui fait défaut)
- Définir des enjeux, objectifs et des sous-objectifs, de performance, de prévention et de condition physique
- Identifier et formaliser une problématique fondée sur ces objectifs et sous-objectifs
- Définir les moyens ou ressources nécessaires, disponibles et manquantes
- Planifier l’entraînement en définissant des phases, des étapes, des séances, des exercices à partir du calendrier des compétitions et des dates d’objectifs et de sous-objectifs.
- Interpréter des résultats et en tirer des enseignements pour réajuster le projet d’entraînement.
Elasticité, plasticité, rupture
L’élasticité est la « propriété que certains matériaux ont de reprendre leur forme initiale dès que cessent de s’exercer sur eux des contraintes mécaniques » (Basquin, 1977). Les déformations sont alors réversibles. Par exemple : Etirements, compression des disques vertébraux ou des cartilages, vasodilatation. Au-delà, lorsque les contraintes dépassent les limites d’élasticité des matériaux, c’est la plasticité.
La plasticité est la « propriété d’une matière modelable » (Op. Cit.) ; une part des déformations est alors résiduelle ou permanente. Par exemple : assouplissements, protrusion discale, hypertrophie musculaire, varices, distension de ligament… connexions de neurones (synapses). Certains de ces effets peuvent être recherchés, d’autres au contraire sont à éviter. Au-delà des limites de résistances des matériaux, c’est la rupture.
En médecine, la rupture désigne une « solution de continuité (1) » survenant brusquement dans un organe ». Par exemple : Fracture osseuse et fracture de fatigue, claquage, section partielle ou totale du muscle, tendinite ou rupture totale de tendon, rupture partielle ou totale de ligament.
Déclencher certaines adaptations en évitant d’induire des blessures, tel est le challenge de tout préparateur physique.
(1)C’est-à-dire un arrachement, une séparation ou une interruption.
Pistes, ordres de grandeur et signes
Trois pistes sont suggérées pour diminuer les risques de rupture :
- L’échauffement approfondi, car il permet de stimuler la proprioception, d’abaisser la viscosité des tissus, d’augmenter de la compliance des muscles.
- La progressivité sur toutes les échelles de temps, concernant la reprise de l’entraînement et l’augmentation des charges.
- La récupération qui permet la restauration des tissus
Augmenter la charge d’entraînement implique de construire des ordres de grandeur, c’est-à-dire une idée approximative mais cohérente d’une échelle de valeurs :
- des capacités du ou des sportifs pris en charge, en termes d’intensité et de durée d’efforts réalisables, donc prescriptibles
- d’augmentation possible de la charge à programmer (progressivité), donc de progrès réalisables
- des contraintes supportables (résistance des tissus : muscles, tendons, ligaments, cartilages, os
Pour autant, l’entraîneur au-delà de sa logique ne saurait ignorer les signes à prendre en compte :
- des douleurs anormales, annonciatrices de blessure
- des postures de compensation
Ces signes doivent induire une diminution de l’intensité voire un arrêt de l’exercice.
Le principe de progressivité
« L’augmentation de la charge d’entraînement doit être progressive »
En pratique, il s’agit de laisser à l’organisme le temps de s’adapter. En effet, précipiter l’augmentation de la charge d’entraînement, en durée ou en intensité, n’a, à plus ou moins court terme, que pour effet d’empêcher de progresser et peut même conduire à la blessure.
La progressivité doit donc être présente sur toutes les échelles de temps : cycle annuel, macro-cycle, méso-cycle, micro-cycle, cycle, séances, séries, répétitions. Elle doit ainsi concerner la reprise de l’effort ou de l’entraînement, la réduction du repos et des récupérations, la surcharge en termes de durée d’intensité des efforts à fournir, mais aussi la fréquence des séances et la complexité de la tâche.
Place et rôles du renforcement musculaire
Si au sens large, le renforcement musculaire fait référence à l’ensemble des exercices de musculation aux poids et haltères, sur machines et/ou au poids de corps, au sens restreint, il désigne l’ensemble des méthodes d’amélioration de la force, pour s’opposer dans ses limites voire les repousser et diminuer les risques de blessure.
Triangulation selon Weineck (1990)
Le renforcement musculaire peut trouver sa place dans une démarche de prévention des blessures, notamment en permettant un meilleur maintien des articulations. Si les muscles superficiels peuvent être développés en ce sens, ce sont surtout les muscles profonds, plus proches des articulations, ceux de l’ajustement tonique qui sont les plus concernés. Il s’agira alors de privilégier un travail proprioceptif.
Place et rôles de la proprioception
Développer la proprioception c’est :
- chercher à déclencher ou à améliorer des réflexes d’ajustements posturaux
- stimuler la stabilité statique et dynamique des articulations dans différentes positions. En pratique, l’entraîneur cherchera à stimuler la proprioception par :
– des exercices d’amplitude et de vitesse progressivement croissantes.
– dans des situations de déséquilibre variées.
Pour le sportif, la difficulté est alors de se servir de la mobilité d’une zone pour en stabiliser une autre.
En pratique, l’entraîneur peut planifier une progression en trois phases :
- Acquisition d’un registre de techniques gestuelles simples… de la reproduction de la forme du mouvement vers des ajustements (exemples : katas en karaté, partie de chorégraphie en danse, éléments combinés en gymnastique au sol)
- Introduction de contraintes de vitesse d’exécution puis de puissance.
- Application de ces techniques dans un environnement de plus en plus riche en incertitudes, auxquelles s’ajoutent des contraintes d’équilibre voire de prise de risques acrobatiques.
Cependant, deux réserves sont à prendre en considération :
- L’exécution lente de techniques gestuelles est parfois sans rapport avec leur expression dans la pratique sportive (surf, planche à voile…).
- Certaines activités physiques ne peuvent être pratiquées qu’en situation de déséquilibre (vélo, roller, kayak, motocross) ou avec des vitesses élevées (chasse sous-marine, ball-trap, hockey sur glace, sports de raquette).
Conclusion
Au-delà de la visite médicale et de l’évaluation sportive, la prévention des blessures consiste d’abord en une préparation rigoureuse et en une planification progressive en durée, en intensité et en complexité de la tâche. Ceci implique que l’entraîneur ait intégré des ordres de grandeur de la charge d’entraînement supportable par le sportif.
Au plan articulaire, le renforcement musculaire et plus encore le travail de la proprioception, pour muscler sans totalement verrouiller, permettra d’éviter de nombreux traumatismes liés à l’instabilité tout en conservant la mobilité nécessaire à la pratique.
Quoiqu’il en soit, la première prévention consistera à ne pas prendre de risques démesurés.
Rachid ZIANE
Références
- Amicale des kinésithérapeutes du Bourbonnais. (2000). Proprioception ou reprogrammation neuro-musculaire de la cheville.
- Bacquaert, P. (2013). Tests médico-sportifs : pour quoi faire ? IRBMS
- Basquin, R. (1977). Mécanique. Delagrave éditeur
- Berthoz, A. 1997). Le sens du mouvement. Editions Odile Jacob
- Broussal, A. (2012). Les tests de terrain. 4 Trainer éditions
- Cazorla, G. (1989). Les bases de l’entraînement. In Manuel de l’éducateur sportif. Edition Vigot
- Di Costanzo, G. (2004). Proprioceptif. In Encyclopedia Universalis. Mérignac
- Famose, J.-P. (1993). Cognition et performance. Collection INSEP
- Giffard, D. & Huguet. (1985). Le schéma corporel
- Gillot, C. & Peltier, A-P. (2004). Proprioceptif. In Encyclopedia Universalis. Mérignac
- Lemaître, J. (2004). Résistance des matériaux. In Encyclopedia Universalis. Mérignac
- Paillard, J. (1974). Le traitement des informations spatiales. In De l’espace corporel à l’espace écologique. PUF
- Weineck, J. (1990). Manuel d’entraînement. Editions Vigot
- Ziane, R. (2004). La proprioception, fonction d’un « sixième sens ». Sport, santé et préparation physique. Rev. 9 : 6-7.
- Ziane, R. (2006). Elasticité, plasticité, rupture. In Sport, Santé et Préparation Physique. Editions Amphora
- Ziane, R. (2016a). Tests de reprise & de visite médicale : « Exigez le programme ! » In 200 clés pour optimiser l’entraînement. Editions 4 Trainer
- Ziane, R. (2016b). De l’adaptation optimale à la blessure : Comment éviter de passer de l’une à l’autre ? In 200 clés pour optimiser l’entraînement. Editions 4 Trainer
- Ziane, R. (2016c). Stimuler la proprioception autrement… In 200 clés pour optimiser l’entraînement. Editions 4 Trainer
- Ziane, R. (2016b). Tests de reprise & de visite médicale : « Exigez le programme ! » In 200 clés pour optimiser l’entraînement. Editions 4 Trainer