https://www.jim.fr/e-docs/00/02/AC/08/carac_photo_1.jpeg Publié le 08/12/2018

Paris, le samedi 8 décembre 2018 – Il n’y a rien de mieux que la peur pour vendre du papier (et faire cliquer les internautes) et pour dissuader les jeunes gens et les jeunes filles de se livrer à des plaisirs que la morale réprouve. La constatation ne date pas d’hier. Les fakenews et la participation de certains « experts » à leur diffusion sont loin d’être un phénomène né avec Twitter et autre Facebook. Le docteur Laurent Alexandre dans l’Express et le docteur Laurent Vercoustre sur son blog hébergé par le Quotidien du médecin l’ont récemment rappelé en évoquant tous deux les mythes qui entouraient la masturbation au XIXème siècle et la façon dont les médecins ont longtemps entretenu l’idée que cette pratique était potentiellement à l’origine des pires maux.

« En 1870, le chirurgien américain Lewis Sayre affirme que cette dernière entraîne des maladies graves. Le célèbre Dr John Harvey Kellogg – inventeur des corn flakes – écrivait en 1888 : « Un remède contre la masturbation presque toujours efficace chez les jeunes garçons est la circoncision. L’opération doit être faite sans anesthésique, car la douleur aura un effet salutaire sur l’esprit, surtout si elle est associée à l’idée de punition. La douleur qui continue pendant plusieurs semaines interrompt la masturbation. »  (…) En réduisant la masturbation, la circoncision était supposée éviter l’épilepsie, l’asthme, les pieds bots, la scoliose, les hernies, le strabisme, la cécité, la surdité, la tuberculose et le cancer… Soyons plus rationnels que les médecins du XIXe siècle. Les déclarations du délégué général de LREM, Christophe Castaner, expliquant que les maladies médiatisées comme celle de l’Argentin Fabian Tomasi sont dues au glyphosate, sont dangereuses » observait ainsi Laurent Alexandre dans un éditorial publié il y a quelques semaines.

Laurent Vercoustre lui faisait écho : « Dans les livres de médecine de l’époque, on rapporte à la masturbation tout le champ du pathologique des maladies des nerfs, des maladies des os, du cœur, des yeux. (…)  La masturbation devient le principe causal universel et inépuisable de toutes les maladies. À l’époque même où se développait l’anatomie pathologique qui allait fonder la grande médecine clinique et positive du 19e siècle se développait tout ce délire antimasturbatoire. Cette histoire témoigne que les fake news ne naissent pas toujours à l’extérieure du système, autrement dit de la médecine accréditée par la faculté » remarque le praticien.

L’information sereine mise en échec

Si le phénomène n’est nullement nouveau et notamment la volonté de faire peur, il n’est pas inutile de se demander d’une part si les sujets concernant la santé ne se prêtent pas à une transmission particulière de l’information et si d’autre part les réseaux sociaux ne contribuent pas à une amplification délétère de certaines tendances séculaires. Dans une note récente, le néphrologue auteur du blog Perruche en automne remarque combien la « santé » paraît l’objet dans les médias d’un traitement particulier. Evoquant l’émission de France Culture Superfail, programme court proposé par Guillaume Erner, qu’il juge intéressant, consistant à analyser les mécanismes d’un échec, le praticien signale « Sur une grosse soixantaine d’émissions, le superfail médical avait été peu abordé, une seule fois avec une émission sur le vaccin contre la dengue de Sanofi. (…) Il y a trois semaines un superfail « dépistage du cancer de la prostate ».  Je me demandais bien qui serait invité comme expert. Surprise, il y eut deux intervenants, un anti-dépistage et un pro-dépistage. L’émission n’était pas très bonne, peut-être parce que je connais un peu le sujet, avec pas mal d’approximations des deux côtés. Je rappelle qu’aucune autorité sanitaire ne conseille un dépistage systématique de ce cancer très masculin. (…) Ce qui me surprend ? La différence de traitement de ce sujet par rapport aux autres. Pourquoi inviter un pro et un anti ? Aujourd’hui, c’était sur les déchets nucléaires avec un anti, pourquoi pas un tenant de cette énergie comme contradicteur ? Les invités sont toujours des personnes qui ont une vision plutôt négative de l’échec qui est analysé. (…) Il fallait un spécialiste pour expliquer pourquoi le dépistage de ce cancer ne peut être qu’un échec. C’est moins sexy que des gens, honorables, au demeurant qui viennent raconter les histoires des pauvres patients maltraités ou pas dépistés et faire de l’épidémiologie à la petite semaine. J’en conclus que la santé est un sujet à part pour les journalistes, en particulier la santé publique. Elle mérite mieux que ce genre d’émissions qui n’apporte que confusion car les définitions ne sont pas bien posées au départ. (…) Je suis très souvent déçu par la façon dont les médias mainstream traitent la santé. Nous allons de la déférence absolue comme si la parole du médecin était celle du bon dieu à la recherche systématique du scandale, comme si le médecin était un nouveau Satan. J’aimerai bien qu’on sorte de cette dichotomie un peu ridicule. La recherche du scandale, du scoop qui fera le buzz ne sied pas à ces sujets qui sont graves et importants pour toutes personnes malades. Je comprends qu’il est dur de faire rêver en expliquant de la complexité, en répétant encore et encore que association n’est pas causalité, que nous devons prendre des décisions en utilisant des études bien faites méthodologiquement qui prennent du temps. Le rythme de la recherche n’est pas celui du scoop », remarque-t-il.

Les dégâts d’internet pas assez anticipés ?

Alors que cette démonstration rappelle bien les problématiques spécifiques de la transmission des informations dans le domaine de la santé, elle permet également de mesurer combien les réseaux sociaux peuvent dans ce domaine plus encore que dans d’autres favoriser la confusion. Ce rôle (ou cet anti-rôle) joué par les nouveaux modes de communication est de plus en plus largement analysé. Le médecin blogueur Hervé Maisonneuve rapportait ainsi récemment comment deux « points de vue courts ont été publiés en novembre 2018 dans le JAMA » sur ce thème. « Le premier concerne la désinformation en santé propagée par les réseaux sociaux. La cacophonie des informations, mélangeant le bon et l’ivraie, et la quantité des informations doivent nous inquiéter. Par exemple, lors de l’épidémie Ebola, les réseaux sociaux ont engendré des hostilités envers des professionnels de santé. (…) Le second évoque la protection des valeurs de la science face aux ‘fake news’. Il cite d’abord une étude montrant une mortalité plus élevée chez des cancéreux utilisant les médecines complémentaires par rapport à ceux qui ne les utilisent pas. (…)  Les facteurs contribuant à cette situation sont : la diminution rapide des coûts liés à la diffusion de l’information ; une sélectivité de l’information qui est ‘entendue’(…) ; les fausses alarmes perpétuelles, comme par exemple lors de la pandémie Zika, car les vraies informations ont été débordées par les fake news » résume Hervé Maisonneuve qui s’interroge en guise de conclusion : « Ces deux points de vue sont bien écrits et posent plus de questions que de solutions. Avons-nous perçu tous les dégâts futurs engendrés par notre engouement pour les nouveaux modes de communication ? ».

Mieux connaître le mal pour mieux le combattre

Le diagnostic est depuis assez longtemps bien posé et assez largement partagé, mais comme le suggère Hervé Maisonneuve les solutions manquent. Pourtant, les articles cités par ce dernier font quelques suggestions, probablement pas assez concrètes et sans doute difficiles à mettre en œuvre, mais qui elles aussi constituent des points de vue fréquemment soutenus. « Des actions de recherche : 1) déterminer la prévalence des fausses informations, par exemple dans des domaines comme les vaccins, la e-cigarette, et les cures miracles diverses ; il nous faut des méthodes innovantes pour cela ; 2) comprendre comment la désinformation est partagée entre les acteurs ; des réseaux intra et interpersonnels existent ; 3) évaluer l’influence de la désinformation en santé ; 4) développer et tester des méthodes pour contribuer à une meilleure information fondée sur les preuves ; les réseaux sociaux ont des responsabilités et devraient valider les informations sur leurs plateformes. Tout cela est souhaitable, mais sera très long à mettre en œuvre » énumère ainsi Hervé Maisonneuve avant de poursuivre soulevant une légère contradiction : « Les scientifiques doivent plus s’engager dans les réseaux sociaux, mais dans le même temps, les auteurs regrettent que des scientifiques s’occupent plus de leur image sur les réseaux sociaux que de leurs publications ».

Combattre le mal par le mal

Pour Laurent Alexandre, qui s’est déjà exprimé dans ce sens à plusieurs reprises, les responsables politiques doivent également prendre leurs responsabilités. « Quand la Fondation Jean-Jaurès nous apprend que 9 % des Français pensent que la Terre est plate ; 30 %, que le sida a été fabriqué pour tuer des Africains ; et 55 %, qu’Agnès Buzyn est de mèche avec l’industrie pour cacher les dangers des vaccins, la classe politique ne doit pas alimenter le complotisme, l’anti¬science et les craintes apocalyptiques par démagogie » insiste-t-il. Enfin, dans le Point le professeur Didier Raoult, spécialiste des maladies infectieuses tropicales émergentes préconise des méthodes plus draconiennes contre les marchands de la peur. « Dans un pays qui doute de lui-même et qui consomme énormément d’anxiolytiques, pourquoi effrayer la population avec des peurs, souvent fantasmées ? (…) Notre société est terriblement anxiogène. Les peurs maniées par les puritains et par une certaine presse ajoutent à l’angoisse généralisée. Certains ont tellement été marqués par ces peurs et par les notions de l’absence de seuil à l’exposition, comme pour l’amiante, qu’ils ont porté plainte maintenant pour délit de création d’anxiété. Pourtant le risque de contracter un cancer en passant dans une pièce où il y a de l’amiante à cause de cette exposition est nul. (…) Tous les jours, de fausses alertes, propagées par des scientifiques approximatifs, des angoisses écologiques, ou des peurs d’épidémies, ont leur lot d’inquiétudes propagées à la vitesse d’Internet, sans jamais recevoir de vérification. (…) En pratique, il est temps de créer une loi pour poursuivre ceux qui ont suscité une angoisse caractérisée sans avoir les éléments pour pouvoir le faire, car ceci a des conséquences sur la santé publique bien plus importantes que les causes sur lesquelles on attire notre attention » écrit-il.

Si une telle méthode pourrait être considérée comme une façon assez peu pédagogique de combattre le mal, ce diagnostic sur la fabrique de la peur et ses enjeux ne manqueront pas d’intéresser et d’inciter à lire :
La tribune de Laurent Alexandre : https://www.lexpress.fr/actualite/societe/sante/le-glyphosate-et-la-masturbation_2037673.html
Le blog de Laurent Vercoustre : https://blog.laurentvercoustre.lequotidiendumedecin.fr/2018/10/16/la-fake-news-la-plus-extravagante-de-lhistoire-de-la-medecine/
Le blog de Perruche en Automne : http://perruchenautomne.eu/wordpress/?p=5901
Le blog d’Hervé Maisonneuve : https://www.redactionmedicale.fr/2018/11/s%C3%A9parons-la-science-de-la-science-fiction-des-risques-%C3%A0-venir-en-sant%C3%A9-.html%20/

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