Observatoire de la prévention 12 novembre 2019

Quantité d’exercice et longévité https://observatoireprevention.org/wp-content/authors/Dr%20Martin%20Juneau-1.jpgDr Martin Juneau, M.D., FRCPCardiologue et Directeur de la prévention, Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l’Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

L’exercice pour vivre plus longtemps
L’activité physique a des effets bénéfiques nombreux et variés sur les facteurs de risque cardiovasculaire, incluant une baisse de la pression artérielle et du rythme cardiaque au repos, une amélioration de la glycémie et de la lipidémie, une normalisation de l’indice de masse corporelle, une amélioration du sommeil et une réduction du stress.

Selon plusieurs études épidémiologiques à long terme, l’activité physique pratiquée régulièrement est l’une des habitudes de vie parmi les plus efficaces pour augmenter l’espérance de vie, jusqu’à 6 années.

Faire trop d’exercice peut-il être nuisible pour la longévité ?
C’est une question qui fait l’objet de débats à cause des données contradictoires publiées jusqu’à aujourd’hui. Une méta-analyse publiée en octobre 2019 arrive à la conclusion que des quantités élevées d’exercices (jusqu’à 8 fois la quantité d’exercice recommandée selon les directives publiques) ne réduisent pas la longévité.

Cette méta-analyse incluait 48 études prospectives, dont une comprenait 6 cohortes distinctes et une autre 9 cohortes distinctes. Comparé avec le niveau d’activité physique recommandé (150 minutes d’exercice modéré à intense par semaine), le risque de mortalité était moindre pour les personnes qui faisaient davantage d’exercice, au moins jusqu’à 10 heures de course à pied par semaine (Figure 1). Cela vaut pour la mortalité de toutes causes, et encore un peu plus pour la mortalité causée par une maladie cardiovasculaire, incluant la maladie coronarienne.

Il est à noter que la diminution du risque de mortalité semble directement proportionnelle à la quantité d’exercice jusqu’à environ 2 heures de course par semaine et que plus de 4 heures de courses à pied ou l’équivalent ne font guère diminuer le risque davantage.

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Figure 1. Relation dose-effet entre la quantité d’exercice physique et la mortalité de toutes causes, ou la mortalité due à une maladie cardiovasculaire, ou la mortalité due à une maladie coronarienne. La quantité d’exercice recommandée dans les directives publiques (1 h 30 d’exercice modéré à intense par semaine) a servi de référence. Adapté de Blond et coll., Br. J. Sports Med., 2019.

Certaines études avaient suggéré qu’une très grande quantité d’exercice pouvait diminuer la longévité. Par exemple, une étude d’une durée de 15 ans auprès de 55 137 participants (dont 13 016 joggers) indiquait que la course diminue d’environ 30 % le risque de mortalité de toutes causes et de 45 % le risque de mortalité de cause cardiovasculaire, avec une hausse de l’espérance de vie de 3 ans.

Une analyse plus fine des résultats a été faite par les auteurs afin de tenter de répondre à la question « est-ce que plus d’exercice est meilleur pour l’espérance de vie ? ». Les résultats montrent une courbe dite en « U » (Figure 2) où les très grands coureurs (>49 MET-h/sem) semblaient avoir moins de bienfaits que les coureurs légers ou modérés, mais cette différence n’était pas statistiquement significative (P>0,05). Un MET (Metabolic Equivalent of Task, équivalent métabolique en français) correspond à la quantité d’énergie dépensée au repos, pour la marche c’est 3,5 MET et pour la course c’est approximativement 7-8 MET.

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Figure 2. Risque de mortalité en fonction de la quantité de course à pied. Adapté de Lee et coll., Mayo Clinic Proc, 2016.

Il faut noter qu’il s’agit ici d’une seule étude, que les personnes qui faisaient >49 MET-h/sem ne représentaient que 1,6 % des participants à l’étude, et que l’écart sur les données recueillies était élevé. Au contraire, l’étude décrite plus haut, où de très grandes quantités d’exercices n’avaient pas d’effet défavorable sur la longévité, est une méta-analyse de 48 études avec un nombre total de participants beaucoup plus élevé.

Cet exemple illustre bien pourquoi les méta-analyses sont si utiles en épidémiologie : elles permettent d’obtenir des résultats plus précis (plus grande puissance statistique) et de tirer des conclusions globales à partir d’un grand nombre d’études et de données.

Capacité cardio-respiratoire et le risque de mortalité
Une étude récente a évalué l’association entre la capacité cardio-respiratoire et la mortalité, toutes causes confondues. La population étudiée était composée de 122 007 patients qui ont été suivis durant 8,4 années en moyenne, période durant laquelle 13 637 patients sont morts. Au début de l’étude, tous les patients ont fait une épreuve d’effort sur tapis roulant (limitée par les symptômes), pour évaluer leur capacité cardio-respiratoire (CCR).

Pour l’analyse les participants ont été répartis en 5 groupes, selon le niveau de leur CCR : faible (<25ecentile), en dessous de la moyenne (25-49e centile), au-dessus de la moyenne (50-74e centile), élevée (75e-97,6 e centile) et « Élite » (≥97,7 e centile). Les résultats (Figure 3) indiquent clairement qu’une baisse de la mortalité est associée à une plus grande CCR et que les patients qui avaient une très grande CCR (groupe « Élite ») avaient le risque de mortalité le plus bas.

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Figure 3. Risque de mortalité en fonction de la capacité cardio-respiratoire. Adapté de Mandsager et coll., JAMA Network Open, 2018.

Pas de courbe en « U » dans cette étude, mais il faut réaliser que les patients du groupe « Élite » ne sont pas des athlètes et qu’on ne sait pas s’ils faisaient ou non de l’exercice régulièrement. La capacité cardio-respiratoire maximale du groupe « Élite » était en moyenne de 13,8 METs, ce qui est considéré comme une excellente capacité fonctionnelle, mais légèrement sous le niveau des athlètes d’élite (marathoniens, triathloniens, coureurs cyclistes) dont la capacité cardio-respiratoire maximale est d’environ 17 à 20 METs.

Il n’en demeure pas moins que la capacité cardio-respiratoire est un indicateur modifiable de la mortalité à long terme et que les professionnels de la santé devraient encourager leurs patients à atteindre et maintenir un niveau élevé de condition physique.

Courir un marathon impose un effort important sur le cœur des coureurs amateurs
Selon une étude espagnole publiée dans Circulation, les coureurs amateurs qui complètent une épreuve de marathon (42,2 km) voient leurs niveaux de marqueurs de dommages cardiaques augmenter significativement. Les marqueurs cardiaques [troponines cardiaques I et T (TnIc et TnTc), forme tronquée en N-terminal du peptide cérébral natriurétique (NT-proBNP), créatines kinases (CK-MB et CK-MM), myoglobine] sont des protéines qui sont libérées dans le sang lorsque le muscle cardiaque est endommagé.

Par contre, chez les coureurs de demi-marathon (21,1 km) et de courses de 10 km il n’y a pas eu de hausse importante des marqueurs de dommages cardiaques. Une augmentation subite des marqueurs cardiaques après l’exercice est généralement considérée comme bénigne parce que les valeurs normales de ces marqueurs sont rétablies après quelques jours. Les auteurs de l’étude notent que bien que le relargage de troponines cardiaques dans le sang ne soit pas un indicateur d’un mauvais fonctionnement du cœur, les concentrations plus élevées après un marathon reflètent un plus grand stress cardiaque que pour les courses plus courtes. L’incidence d’arrêts cardiaques durant les marathons est un phénomène assez rare soit 1 sur 50 000 coureurs qui complètent la course, mais ces accidents sont très médiatisés.

Les arrêts cardiorespiratoires durant les marathons surviennent particulièrement chez les hommes âgés de 35 ans et plus et sont causés par une maladie coronarienne (obstruction d’une des artères coronaires qui irrigue le muscle cardiaque). Lorsque l’arrêt cardiorespiratoire survient chez un jeune de moins de 35 ans, la cause est habituellement une maladie cardiaque d’origine congénitale. Étant donné la popularité croissante des marathons et le manque d’expérience et de préparation adéquate de certains coureurs amateurs, cette étude suggère que des courses plus courtes (demi-marathon par exemple) seraient plus adaptées pour réduire le stress imposé sur le cœur de ces coureurs.

Pas de courbes en « U » pour l’exercice d’intensité légère à modérée.
L’étude « Copenhagen City Heart Study » a rapporté récemment que l’activité physique durant les loisirs réduit à la fois la mortalité de toutes causes et la mortalité causée par la maladie coronarienne. Comparés aux participants sédentaires, les gains en espérance de vie étaient de : 2,8 années pour ceux qui faisaient une activité physique d’intensité légère, 4,5 années pour une activité physique d’intensité modérée et 5,5 années pour une activité physique à haute intensité. Pas de courbe en « U » dans cette étude, mais il faut réaliser que les participants qui faisaient de l’exercice intense (4 h par semaine ou plusieurs heures par semaine d’un sport compétitif) dans cette étude en faisaient tout de même moins que ceux des autres études citées plus haut.

Dans plusieurs autres études sur l’exercice d’intensité légère à modérée fait durant les loisirs, une relation en « U » n’a pas été observée. En d’autres mots, il ne semble pas possible de faire trop d’activité physique d’intensité légère à modérée, tels la marche, les tâches ménagères, le jardinage, le baseball ou le softball, le jeu de quilles, le volley-ball, le golf, le tennis en double (et autres sports de raquette) et la danse.

L’être humain s’est adapté à faire beaucoup d’activité physique durant la vie. Une étude récente sur la tribu moderne de chasseurs-cueilleurs Hazda de la Tanzanie du Nord montre qu’en moyenne ces personnes font 14 fois plus d’activité physique d’intensité légère à modérée que les Nord-Américains. Les membres de la tribu Hazda ont peu de facteurs de risque cardiovasculaire (faible prévalence d’hypertension durant toute la vie, niveaux optimaux pour les biomarqueurs de la santé cardiovasculaire). Les Chimanes, un peuple aborigène d’Amazonie bolivienne qui a un mode de vie de subsistance basé sur la chasse, la pêche, la cueillette, et l’agriculture, a aussi une excellente santé cardiovasculaire.

Les Chimanes sont très actifs, ils peuvent parcourir jusqu’à 18 km par jour et l’on estime que moins de 10 % des heures d’éveil sont consacrées à des activités sédentaires, comparativement à plus de 60 % en Amérique du Nord.

Au contraire, les Nord-Américains adultes restent aujourd’hui en moyenne assis environ 10 heures par jour sur 16 heures d’éveil. L’exercice physique sur une base régulière est donc nécessaire pour maintenir une bonne capacité cardiorespiratoire, une bonne santé cardiovasculaire et pouvoir vivre plus longtemps en santé.