Le Monde ÉDITION GLOBALE ▾ 17 mai 2018, par Marc Gozlan
Posture Marichyasana (vue de côté et de haut). Moriarity A, et al. BMJ Case Rep. 2015 Oct 9;2015.
Méthode de relaxation basée sur une combinaison entre des postures du corps et la méditation, le yoga a tout pour plaire. Cette pratique indienne millénaire procure une sensation de bien-être et de détente. Les seniors manifestent un intérêt particulier pour cette activité physique. Sauf dans que dans certains cas, heureusement rares, celle-ci peut avoir de fâcheuses conséquences sur la santé. Des spécialistes américains en endocrinologie et médecine physique et de rééducation rapportent dans un article paru en ligne le 24 avril 2018 dans l’European Journal of Physical and Rehabilitation Medicine que certaines postures peuvent augmenter le risque de fracture vertébrale chez des personnes prédisposées.
Le Dr Jad Sfeir et ses collègues de la Mayo Clinic de Rochester (Minnesota) décrivent le cas de 9 personnes, dont 8 femmes, âgées de 53 à 87 ans, qui ont eu à souffrir d’une fracture par compression de la colonne vertébrale un à six ans après avoir commencé à pratiquer des exercices de flexion du dos lors de séances de yoga. Six de ces 9 personnes avaient elles-mêmes décidé de pratiquer le yoga.
Dans les fractures par compression de la colonne vertébrale, encore appelées tassements vertébraux, le corps d’une vertèbre s’effondre, généralement en raison d’une trop grande pression mécanique. Ces fractures correspondent à la fracture du corps de la vertèbre avec perte de hauteur. Elles peuvent toucher une partie de la vertèbre ou la totalité de celle-ci.
Chez ces sujets adeptes du yoga, ces tassements vertébraux ont entraîné une douleur aiguë dans le dos. Les fractures sont survenues au niveau de la colonne thoracique (6 cas), lombaire (4 cas) et cervical (1 cas). Deux patientes présentaient chacune deux fractures vertébrales.
Radiographies de la colonne vertébrale d’une patiente avant de commencer à suivre des séances de yoga et un an après après avoir eu une fracture vertébrale par compression (ou tassement vertébral). Le corps d’une vertèbre s’effondre (la flèche montre une perte de plusieurs centimètres de hauteur). Cliché aimablement communiqué par le Dr Jad Sfeir.
Quatre patients souffraient d’ostéoporose, pathologie caractérisée par une réduction de la densité des os, ce qui les fragilise et les rend plus sujets aux fractures. Deux autres présentaient une ostéopénie, caractérisée par une diminution de la densité minérale de l’os mais avec maintien de l’architecture osseuse. Chez ces 9 patients, l’ostéodensitométrie, examen permettant d’évaluer la densité minérale osseuse, a montré que la déminéralisation des os était plus importante au niveau de la colonne vertébrale.
Chez ces patients à risque fracturaire élevé, les exercices de flexion lors des séances de yoga, en générant des pressions et des torsions élevées sur le corps de vertèbres, ont provoqué des fractures de compression.Celles-ci ne sont pas les seuls accidents associés à la pratique du yoga. Une rupture de ligament, une lésion articulaire, un déplacement de disque intervertébral peuvent également survenir.
Des lésions musculo-squelettiques de plus en plus fréquentes
Aux Etats-Unis, 21 % des personnes qui pratiquent le yoga ont plus de 60 ans. Entre 2001 et 2014, on a dénombré plus de 29 500 consultations aux urgences en rapport à des accidents associés à la pratique du yoga. Dans 13 % des cas, les accidents sont survenus chez des personnes âgées de 65 ans ou plus. Une fracture a été observée dans 5 % des cas. Une importante augmentation des lésions liées au yoga a été observée aux Etats-Unis ces dernières années chez les personnes âgées. On comptait 6,9 lésions pour 100 000 participants en 2001 contre 57,9 pour 100 000 participants en 2014. Elles siègent principalement au niveau du tronc.
L’étude conduite par les spécialistes de la Mayo Clinic est observationnelle, les médecins ayant tiré des conclusions sur l’effet délétère possible de la pratique d’une activité sur des participants. Par définition, elle ne permet pas d’établir une relation claire de causalité entre les exercices de yoga et la survenue de fractures vertébrales par compression. Néanmoins, elle repose sur des données provenant de dossiers médicaux montrant que tous les sujets présentaient un risque fracturaire. Enfin, selon les auteurs, même si le lien de causalité ne peut être affirmé avec certitude, le fait que ces patients aient ressenti une douleur aiguë du dos durant des séances de yoga est fortement en faveur d’une telle association.
Selon les auteurs, leur étude souligne la nécessité d’informer des dangers du yoga pour certaines populations présentant un risque de fracture accru, d’autant que « la presse continue de faire la publicité du yoga en tant qu’activité uniquement protectrice pour les os ». Ils estiment que la prévention des fractures associées au yoga passe par une sélection adéquate des participants et la pratique de postures appropriées.
Positions à éviter selon le Dr Jad Sfeir : extrêmes flexions et extensions de la colonne vertébrale, extrêmes contraintes sur le rachis cervico-thoracique, pressions importantes exercées sur la partie inférieure du dos et la hanche.
Luxation de prothèse de hanche
Très récemment, en mars 2018, des chirurgiens orthopédistes américains (New Haven, Connecticut) ont décrit le cas de deux femmes, âgées de 43 et 90 ans, ayant présenté une luxation de leur prothèse totale de hanche au cours d’une séance de yoga. Leur opération de la hanche remontait à 17 ans pour la quadragénaire, à 9 ans pour la nonagénaire. La première a rapidement arrêté les cours de pilates (gymnastique douce), puis le yoga six mois plus tard. La vieille dame, à qui il avait été également demandé de limiter les mouvements extrêmes de la hanche pour ne pas risquer une nouvelle luxation, ne respecta pas à la lettre ces consignes. Elle fit deux récidives de luxation de hanche, alors qu’elle enfilait ses chaussettes et faisait ses lacets de chaussures. Elle dut être réopérée.
Fracture du fémur
La plupart des accidents de yoga sont des luxations, des entorses, des lésions musculaires et tendineuses, des fractures (vertèbres, tibia, gros orteil).
En 2015, des chirurgiens orthopédistes irlandais ont décrit un cas exceptionnel, celui d’un homme ayant eu une fracture du fémur au moment où il réalisait lors d’une séance matinale de yoga la posture Marichyasana, qui implique une flexion de la hanche et du genou (photo d’ouverture de ce billet). C’est alors qu’il entendit un craquement sourd et ressentit une intense douleur.
Aux urgences du St James’s Hospital du Dublin, on lui administra de la morphine par voie intraveineuse. Les radiographies montrèrent une fracture de la partie moyenne (diaphyse) du fémur gauche. Ce type de fracture s’observe habituellement en cas de traumatisme à haute énergie, comme lors d’accidents de la route à grande vitesse. Le patient fut opéré. L’intervention consista, pour unir les deux fragments osseux, à enfoncer dans le fémur un long clou dans la cavité médullaire contenant la moelle osseuse.
Fracture spiralée du tiers distal de la diaphyse du fémur gauche. Moriarity A, et al. BMJ Case Rep. 2015 Oct 9;2015.
Le patient eut une ostéosynthèse par long clou centromédullaire (38 x 1 cm) et vis. Moriarity A, et al. BMJ Case Rep. 2015 Oct 9;2015.
Les examens biologiques sanguins standard ne montrèrent aucune anomalie chez ce patient, par ailleurs végétarien et qui ne prenait aucun médicament. Deux semaines avant sa fracture, il avait ressenti une douleur à la cuisse qu’il pensait être une lésion musculaire. Traité par un kinésithérapeute pour une élongation du muscle quadriceps, il avait repris le yoga.
L’analyse au microscope de fragments du canal médullaire du fémur, prélevés lors de la phase d’alésage avant implantation du clou, révéla l’existence d’anciennes micro-fractures qui s’étaient consolidées en formant des micro-cals. Ce patient avait donc sans doute ressenti les premiers signes d’une fracture de fatigue, liée à la sollicitation répétée et excessive du squelette. Ce type de fracture est par ailleurs favorisé par une réduction de la densité osseuse. De fait, l’ostéodensitométrie décela chez ce patient une ostéopénie. Il lui fut conseillé de rééquilibrer son alimentation.
Cinq mois plus tard, le patient marchait presque sans douleur et reprenait le yoga. Il s’abstenait cependant de réaliser des postures éprouvantes. Les radiographies montraient une consolidation de la fracture et un alignement satisfaisant des fragments osseux.
Cette observation de fracture de la diaphyse du fémur, liée à un traumatisme de faible énergie chez un individu sain pratiquant le yoga, reste unique à ce jour.
Marc Gozlan
Pour en savoir plus :
Sfeir JG, Drake MT, Sonawane VJ, Sinaki M. Vertebral compression fractures associated with yoga: a case series. Eur J Phys Rehabil Med. 2018 Apr 24. doi: 10.23736/S1973-9087.18.05034-7
Adrados M, Myhre LA, Rubin LE. Late total hip arthroplasty dislocation due to yoga. Arthroplasty Today. Available online 21 March 2018.
Moriarity A, Ellanti P, Hogan N. A low-energy femoral shaft fracture from performing a yoga posture. BMJ Case Rep. 2015 Oct 9;2015. pii: bcr2015212444. doi: 10.1136/bcr-2015-212444
Cramer H, Krucoff C, Dobos G. Adverse events associated with yoga: a systematic review of published case reports and case series. PLoS One. 2013 Oct 16;8(10):e75515. doi: 10.1371/journal.pone.0075515
Sinaki M. Yoga spinal flexion positions and vertebral compression fracture in osteopenia or osteoporosis of spine: case series. Pain Pract. 2013 Jan;13(1):68-75. doi: 10.1111/j.1533-2500.2012.00545.x
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Bianchi, G., Cavenago, C. & Marchese, M. Can the practice of yoga be dangerous? Considerations over a case of epiphyseal separation of the distal tibia in a teenager. J Orthopaed Traumatol. 2004;5:188. doi: 10.1007/s10195-004-0069-y