Publié le 19/09/2018
La maladie rénale chronique définie par une diminution du débit de filtration glomérulaire (DFG) ou par une augmentation de l’albuminurie est associée à un risque accru de comorbidités cérébro-vasculaires. La prévalence des accidents vasculaires cérébraux (AVC) est par exemple 5 fois plus élevée que dans une population contrôle appariée pour l’âge et le sexe. Cette incidence accrue est observée même pour des baisses modérées du DFG ou des augmentations peu importantes de l’albuminurie.
Cette corrélation ou interaction rein-cerveau concerne également les atteintes cérébrales infra cliniques détectées par l’imagerie. Une étude islandaise publiée en septembre 2018 a cherché à savoir, à partir d’une population caucasienne sans maladie rénale chronique, si la vitesse de diminution du DFG, constante avec l’âge mais variable selon les individus, ou l’apparition d’une albuminurie était associée à des lésions cérébrales infra-cliniques (1). Les participants au nombre de 2 671 proviennent d’une étude épidémiologique islandaise. L’âge moyen était de 75 ans et aucun participant à l’entrée dans l’étude n’avait une insuffisance rénale chronique ou une albuminurie accrue.
Le DFG est calculé selon la formule CKD-EPI, l’albuminurie par le rapport albuminurie/créatininurie. L’IRM est utilisée pour analyser les lésions cérébrales : hyper intensité du signal dans la substance blanche, infarctus corticaux et sous-corticaux, et micro-saignements profonds. Les examens ont été faits à l’entrée dans l’étude et 5 ans plus tard.
Les participants avec une perte de plus de 3ml/mn/1,73m2 par an du DFG ont une incidence accrue d’environ 50 % d’infarctus sous-corticaux (odds ratio 1,53 ; intervalle de confiance à 95 % : 1,05-2,22) et une progression plus rapide des foyers d’hyper intensité de la substance blanche (différence : 8 % ; intervalle de confiance à 95 % : 4 %-12 %) comparée aux patients avec un moindre déclin. Cette différence persiste après ajustement pour les facteurs de risque cardiovasculaire. Néanmoins, la corrélation est plus forte chez les patients ayant une HTA à l’inclusion. Il n’y avait pas de corrélation entre la vitesse de dégradation du DFG et la survenue d’infarctus corticaux ou de saignement.
Des foyers d’hyper intensité des signaux de la substance blanche sont plus souvent retrouvés en cas d’albuminurie
Les participants qui développent une albuminurie ont 21 % (intervalle de confiance à 95 % ; 14 %-29 %) plus de risque d’avoir une augmentation des foyers d’hyper intensité des signaux de la substance blanche que ceux qui n’ont pas développé d’albuminurie. Ils ont également près de 2 fois plus de risque de développer des micro saignements (odds ratio1 86 ; intervalle de confiance à 95 % ; 1,16-2,98). Cette corrélation est indépendante des facteurs de risque cardiovasculaire traditionnels, mais là encore la corrélation est plus importante chez les patients hypertendus.
Il est intéressant de noter que la vitesse de déclin du DFG et la survenue d’une albuminurie sont associés à des infarctus sous corticaux, à une augmentation des hypersignaux de la substance blanche et à des micro saignements profonds mais pas, pour autant que le recul soit suffisant, à des infarctus corticaux. Les infarctus corticaux sont en général liés à des embolies artérielles tandis que les infarctus sous corticaux, les hyper signaux de la substance blanche et les micro hémorragies sont liés à des anomalies de la micro circulation. Les interactions rein-cerveau portent donc sur la microcirculation. Il faut rappeler que l’albuminurie est un signe précoce d’atteinte vasculaire de la micro circulation et les artérioles perforantes cérébrales ont la même structure que les artérioles afférentes rénales. Il y a d’autres similitudes entre les 2 organes notamment d’ordre hémodynamique. Ils sont tous deux soumis à un flux sanguin très important et des pressions élevées de perfusion peuvent altérer l’endothélium vasculaire. Une autre explication pour expliquer ce lien est l’état pro-inflammatoire et l’important stress oxydatif observés à un stade précoce du déclin de la fonction rénale qui pourraient accélérer les lésions micro vasculaires, altérer la barrière hémato cérébrale et entrainer des lésions neuronales.
Cette étude est intéressante à au moins 2 points de vue. Elle suggère une grande similitude entre les facteurs altérant la microcirculation au niveau cérébral et au niveau rénal avec des expressions concordantes dans le temps de manifestations relevant de la même physiopathologie. Elle démontre qu’avant même le stade d’insuffisance rénale chronique, la diminution du DFG est associée à des lésions cérébrales et que la survenue d’une micro albuminurie aggrave les lésions cérébrales. A ce stade de nos connaissances, ces données ne permettent pas d’envisager de thérapeutique spécifique, mais elles incitent malgré tout à corriger au mieux et précocement l’ensemble des facteurs de risque cardio-vasculaires, et notamment l’HTA qui dans cette étude est un facteur aggravant des lésions cérébrales.
Pr Philippe Lang
RÉFÉRENCE
Sedaghat S et coll. : The AGES-Reykjavik Study suggests that change in kidney measures is associated with subclinical brain pathology in older community-dwelling persons. Kidney Int. 2018; 94: 608-615.
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