http://www.jim.fr/e-docs/00/02/B1/4F/carac_photo_1.jpg Publié le 05/03/2019

Paris, le mardi 5 mars 2019 – A l’occasion de la journée internationale de lutte pour les droits des femmes, ce vendredi, l’association Osez le féminisme lancera une campagne d’information sur les discriminations qui seraient subies par les femmes confrontées au milieu médical. Cette opération de communication devrait notamment s’appuyer sur des témoignages, qui s’ils ont toujours une portée émotionnelle forte, imposent néanmoins une certaine distance. Osez le féminisme devrait également présenter les résultats d’une enquête conduite en ligne auprès de 2 286 femmes de 18 à 80 ans, dont les éléments les plus marquants ont déjà été dévoilés.

Selon ce sondage, 88 % des femmes affirment avoir déjà été gênées au moins une fois par le comportement d’un ou une professionnel(le) de santé, 66 % assurent avoir déjà eu le sentiment de ne pas être crues lorsqu’elles ont évoqué leur douleur et 70 % d’avoir été culpabilisées par un soignant (des chiffres dont il faudrait bien sûr pouvoir mesurer l’équivalent chez les hommes, tant le rapport médecin/malade demeure encore empreint d’une part d’infantilisation et de défiance qui peut toucher les deux sexes). On relèvera encore qu’un quart des femmes ayant répondu au sondage ont indiqué avoir déjà subi un geste ou des paroles à connotation sexuelle lors d’une consultation médicale et une patiente sur dix avoir été l’objet d’une pénétration sexuelle contre son gré.

Outre que ces chiffres sont difficiles à interpréter en raison de la méthodologie du sondage (puisque les répondeurs sont volontaires ce qui constitue à l’évidence un biais) et qu’ils ne reflètent pas la réalité connue en ce qui concerne les délits sexuels (même s’ils existent et même si une sous déclaration est certaine), on voit bien que la campagne d’Osez le féminisme se place sur le terrain de la dénonciation (stigmatisation ?) des médecins et du rapport de force.

Une prise de conscience tardive mais antérieure aux réseaux sociaux

Si une telle approche pourrait être regrettée par beaucoup tant elle apparaît éloignée de la très grande majorité des rapports entre les médecins et leurs malades femmes, la question du genre dans la relation médecin/patient et dans la prise en charge est cruciale. Elle est d’ailleurs loin d’être un sujet inédit. La réflexion est née bien avant les réseaux sociaux et les hahstags de recueil de témoignages (tel le hasthag Mydocteursaid qui aux États-Unis l’année dernière cumulait les déclarations de femmes estimant que leurs douleurs avaient été minimisées).

« C’est d’abord aux États-Unis, entre la fin des années 1980 et le début des années 1990 qu’une prise de conscience a pris forme, autour de la nécessité d’intégrer la dimension du genre pour repenser la médecine et la recherche. Déjà sensibilisés à la question par les recherches en sciences sociales, un certain nombre de membres féminins du Congrès ont fait évoluer la législation américaine : elles ont imposé à la structure gouvernementale de recherche publique en santé, le National Health Institute (NIH), d’adapter sa politique de recherche pour prendre plus équitablement en compte la notion de sexe et de genre dans ses travaux (ainsi que celle des minorités ethniques). (…)

A la même époque, la Food and Drug administration (FDA), en charge de l’homologation des médicaments, a fait évoluer les critères de qualité des essais cliniques devant être conduit en recherche thérapeutique, en y incluant désormais la représentation des femmes. Suite à ces premières initiatives nord-américaines, l’OMS a adopté en 2002 une approche politique sur les questions d’équité entre les sexes et selon les genres » rappelait l’INSERM dans un dossier consacré au sujet en 2016 et qui remarquait qu’en Europe, « la prise de conscience a été plus tardive. (…) A partir du début des années 2000, plusieurs organismes de recherche français ont commencé à se saisir de la question, comme l’Institut national d’études démographiques (INED), le CNRS ou l’Inserm.

En 2013, le Comité d’Ethique de l’Inserm a créé un groupe de travail sur le thème « Genre et recherche en santé ». Son but est de sensibiliser les chercheurs et les médecins de l’institut à la question des inégalités de santé liées au sexe et au genre et à prendre en compte ces spécificités dans la clinique et la recherche » développe l’INSERM. Cette prise de conscience était essentielle tant notamment les « codes sociaux de la féminité (…) et de la masculinité (…) jouent un rôle dans l’expression des symptômes, le rapport au corps et le recours aux soins ». Les recherches en sciences sociales ont de la même manière « montré que ces stéréotypes influencent la façon dont les professionnels de santé dépistent et prennent en charge certaines maladies ».

Infarctus du myocarde, autisme, douleurs : où sont les femmes ?

Les réflexions engagées sur l’influence du genre dans la prise en charge médicale ont conduit à des évolutions qui n’ont pas encore parfaitement abouti. Elles ont notamment concerné l’évaluation des médicaments, qui depuis plus de quinze ans en Europe inclut obligatoirement les deux sexes. Elles concernent plus timidement la formation des professionnels de santé, qui longtemps auraient appris les bases de la physiologie et de la physiopathologie en se référant uniquement aux hommes.

Sans doute ces changements devraient permettre de faire reculer les différences et retards de diagnostic que l’on constate dans de multiples domaines. Plusieurs travaux ont ainsi pu mettre en évidence les différences de prise en charge (aux dépens des femmes) concernant l’infarctus du myocarde, défauts liés à une mauvaise connaissance de la fréquence de la maladie coronarienne chez les femmes (aujourd’hui) et de sa présentation particulière chez ces dernières. Des observations plus récentes signalent également un possible sous diagnostic de l’autisme chez les filles et les femmes, alors que longtemps ces troubles ont été considérés comme concernant principalement les garçons.

Les réflexions sur la minimisation de la douleur, qui est régulièrement l’objet de dénonciation sur les réseaux sociaux, sont plus complexes à mettre en œuvre, notamment parce que les comparaisons entre hommes et femmes sont mal aisées quand il s’agit de souffrances gynécologiques ! Cependant, les spécialistes n’excluent pas que face à certaines situations, associées à des représentations sociales complexes, une minimisation existe (douleurs de l’IVG par exemple à propos desquelles deux praticiens s’étaient exprimés sur le JIM).

L’homme est une femme comme les autres

Au-delà de ces exemples qui confirment la nécessité de travaux et de prises de conscience dans le domaine, une meilleure réponse aux attentes et spécificités des femmes permettrait sans doute de faire progresser d’une manière générale l’accès aux soins. Les femmes restent en effet encore le plus souvent les référentes familiales en ce qui concerne la santé et mieux les « accueillir » contribuerait sans doute à renforcer les liens entre le milieu médical et les populations.

La plus grande représentation des femmes dans les cabinets médicaux (en tant que patientes et désormais aussi souvent praticiens) rappelle d’ailleurs que les inégalités de genre face à la médecine ne s’observent pas toujours dans le sens que l’on entend. Parallèlement à une sur représentation du modèle masculin dans les études et essais médicaux et à une possible minimisation sexiste de certains symptômes (notamment ceux touchant uniquement les femmes), il existe très certainement chez certains hommes une réticence plus grande à consulter (les femmes ont plus facilement recours aux soins et s’inquiètent plus facilement de certains symptômes comme le mettent régulièrement en évidence les enquêtes sur le sujet). D’ailleurs, le fait que la longévité des femmes soit supérieure à celle des hommes n’est sans doute pas uniquement liée à des différences biologiques mais également peut-être aussi à un souci de leur santé plus grand et à une attention les concernant au moins aussi marquée des professionnels de santé en ce qui concerne les pathologies les plus graves.

Aurélie Haroche

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