Publié le 09/10/2019
Le suicide représente un problème de santé publique majeur qui ne cesse de s’aggraver. Le taux national aux USA s’est accru de 30 % entre 2000 et 2016. Une étude récente a révélé que les idées suicidaires ainsi que les stratégies et tentatives de suicide ont nettement augmenté ces 10 dernières années, en particulier chez les personnes jeunes âgées de 18 à 25 ans, de façon parallèle à la hausse de la prévalence des troubles mentaux et de la toxicomanie au long cours.
Actualisant une précédente publication de 2013, une revue systématique a été récemment publiée dans les Annals of Internal Medecine. Elle a passé en revue les bénéfices et les risques des différentes interventions non pharmacologiques et pharmacologiques visant à prévenir les suicides et à diminuer les comportements suicidaires. Ses sources sont les principales banques de données informatiques (MEDLINE, EMBASE, PsycINFO…) enregistrées de Novembre 2011 à Mai 2018. Un enquêteur a analysé la qualité des publications et le risque de biais (ROB) tandis qu’un second, indépendant, en appréciait la précision et l’exactitude.
La population cible est celle des adultes de plus de 18 ans. Les interventions non pharmacologiques consistent en des psychothérapies, une planification des réponses aux crises et des programmes de soutien communautaires. Les actions pharmacologiques sont des prescriptions d’anti dépresseurs, de médicaments contre l’anxiété, de lithium, d’antipsychotiques, de kétamine et de naloxone. La comparaison se fait avec l’absence de traitement ou avec d’autres types de traitement non pharmacologiques.
Les paramètres étudiés sont le nombre de tentatives et de suicides, l’évolution, après prise en charge, des idées suicidaires, les préjudices possibles, les overdoses et le sentiment de désespoir. Seules ont été analysées dans cette revue les publications de langue anglaise. Plutôt que de mener une nouvelle méta analyse, les auteurs se sont efforcés de préciser si les résultats des nouveaux travaux cadraient avec ceux antérieurement publiés et avaient le même niveau de preuve.
TCC et TCD réduisent les idées suicidaires mais pas le nombre de suicides
Sur 5 410 articles identifiés dans la littérature médicale des 6 années concernées, seuls 23 ont été inclus dans la revue systématique. Parmi eux, 5 revues et 12 essais cliniques randomisés (ECR) portent sur l’impact des interventions non pharmacologiques en prévention du suicide.
Ces dernières, individuelles, en petit groupe ou communautaires sont effectuées en règle via internet ou téléphone mobile. La qualité des 5 revues et de 2 ECR sur les 12 est jugée bonne, celle de 6 autres ECR étant classée comme moyenne et celle de 2 jugée de faible qualité.
Quatre revues et 1 ECR analysent l’effet des thérapies cognitives et comportementales (TCC) vs un traitement standard. La moyenne d’âge des participants à l’ECR était de 25 ans et, dans le groupe actif, les séances étaient au nombre de 4 par semaine, d’une durée de 30 minutes chacune. Il est démontré que les TCC réduisent la fréquence des tentatives de suicide (Risk ratio, HR : 0,47 ; intervalle de confiance à 95 % IC : 0,30- 0,73 ; p = 0,0009), des idées suicidaires (différence moyenne de – 0,24 ; IC : -0,41à -0,07) et des sentiments de désespoir (différence : -0,31 ; IC : -0,51 à -0,10). Mais les TCC ne parviennent pas à réduire le nombre de suicides réels et on doit noter que le niveau de preuve de ces résultats est, dans l’ensemble, plutôt faible.
Les thérapies comportementales dialectiques (TCD) regroupent des TCC, des stratégies et exercices de pleine conscience. Elles visent à aider les personnes borderline dans leur contrôle émotionnel, leur efficience interpersonnelle et leur tolérance à l’angoisse. Une revue systématique ayant inclus 5 ECR (n = 222) a démontré l’efficacité de ce type d’approches chez les patients borderline à haut risque suicidaire. Les résultats d’un ECR suggèrent que les TCD sont surtout utiles pour combattre les idées suicidaires (avec un niveau de preuve faible) mais moins les impressions anxieuses et les tentatives de suicide. En comparaison avec des témoins, les sujets ayant bénéficié d’interventions brèves, par contacts téléphoniques présentent une incidence de suicide réduite (Odds Ratio OR : 0,20 ; IC : 0,09-0,42 ; p< 0,001). L’efficacité a été aussi démontrée en cas de planification de réponse aux crises ou d’intervention de groupes.
Efficacité de la kétamine IV et du lithium
Trois revues systématiques et 3 ECR portent sur l’action de diverses pharmacothérapies chez des adultes suicidaires. Une méta analyse (n = 167) montre qu’une injection de kétamine intraveineuse, à la posologie de 0,50 mg/kg administrée en 40 minutes, comparativement à un placebo ou au midazolam (à des doses comprises entre 0,02 et 0,05 mg/kg), diminuait les idées suicidaires, au prix, dans une étude, d’une élévation transitoire de la pression artérielle.
Une vaste revue (n = 6674) porte sur le lithium en cas de troubles de l’humeur uni ou bipolaires. Elle conclut que le taux de suicide est significativement abaissé sous lithium vs placebo (OR : 0,13 ; IC : 0,03- 0,66) mais qu’il n’y a pas de différence nette avec d’autres traitements actifs tels que amitriptyline, carbamazépine, lamotrigine ou olanzapine. Quant aux antidépresseurs de nouvelle génération (miansérine, nomifensine, paroxétine), aucune différence significative n’a pu être observée vs placebo (OR : 0,32 ; IC : 0,01- 8,04) sur le taux de suicide ou le sentiment de désespoir.
Ce travail confirme donc, avec un niveau de preuves modéré, que les TTC, délivrées directement ou via internet, réduisent, comparativement aux traitements de base, les idées et tentatives de suicide et diminuent les sentiments de désespoir mais leur efficacité semble moindre pour faire baisser le nombre de suicides (niveau de preuve faible). Il en est de même pour les TCD. Concernant les médicaments, avec là encore un niveau de preuves modéré, il apparait que l’utilisation à court terme de la kétamine IV réduit les idées suicidaires et que le lithium est aussi efficace, leurs effets secondaires étant toutefois rarement rapportés dans les publications.
Il faut toutefois signaler qu’avaient été exclus de l’analyse les sujets toxicomanes ou avec une pathologie psychiatrique, limitant, de fait, toute généralisation possible de ces résultats aux personnes à haut risque et que, enfin, les données ont été réduites concernant d’autres interventions potentielles,non pharmacologiques ou pharmacologiques.
Dr Pierre Margent
RÉFÉRENCE : D’Anci K E et coll. : Treatments for the Prevention and Management of Suicide/ a systematic Review. Ann Intern Med, 2019 ; 171: 334-342. doi: 10.7326/M19-0869.
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