Accueil Spécialités Cancérologie – PAR DR IRÈNE DROGOU – PUBLIÉ LE 20/09/2019
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Environ la moitié des essais cliniques randomisés ayant justifié l’autorisation de mise sur le marché (AMM) de médicaments anticancéreux entre 2014 et 2016 sont à haut risque de biais en raison de leur design, de leur déroulement ou de leur analyse, est-il rapporté dans le « BMJ ».
La problématique des autorisations accélérées en cancérologie n’est pas un sujet nouveau de préoccupation pour la communauté scientifique et le faible niveau de preuve mis en lumière dans l’étude n’est pas pour clore le débat.
S’il s’agit de risques de biais potentiels, et non avérés pour l’instant, nuancent les auteurs, et qu’il est tout à fait envisageable de retomber sur des résultats inchangés avec une approche plus rigoureuse, les enjeux médicaux et économiques pèsent lourd. En 2017, plus d’un quart des AMM européennes concernaient des médicaments contre le cancer.
La survie globale trop peu utilisée
Dans ce travail, l’équipe internationale dirigée par Huseyin Naci a évalué les 32 nouveaux anticancéreux approuvés sur la base de 54 études pivots au cours des 3 années considérées. Parmi ces études, 41 (76 %) étaient des essais randomisés contrôlés, dont 39 étaient disponibles en publication.
Seulement un quart des essais randomisés (n = 10) avait comme critère primaire de jugement la survie globale. Tous les autres (n = 29, 74 %) reposaient sur la mesure d’un critère de substitution tel que la survie sans progression ou la réponse au traitement, ces derniers ayant une corrélation faible ou modeste avec la survie globale.
De plus, les investigateurs ont pointé du doigt des manques supplémentaires pour 10 molécules (31 %), concernant la magnitude du bénéfice clinique, des comparateurs inappropriés et des critères de jugement non privilégiés. Les auteurs regrettent notamment que la qualité de vie des patients ne soit pas assez prise en compte.
Une efficacité incertaine, des pertes de chances possibles, des prix élevés
Si l’objectif sous-tendant les AMM accélérées est de disposer de molécules pouvant « sauver des vies dès que possible, en particulier pour ceux avec des cancers rares ou avec des maladies menaçant le pronostic vital sans traitement existant », est-il expliqué dans l’éditorial signé par deux Australiennes, cela se fait à des « prix élevés » sans avoir l’assurance d’un réel bénéfice.
Les patients sont exposés à des effets secondaires potentiellement graves sans bénéfice certain, ou peuvent passer à côté d’un traitement plus efficace et plus sûr. Le phénomène peut « encourager de faux espoirs » et détourner « des soins palliatifs nécessaires », poursuivent les deux spécialistes de Sydney et d’Adélaïde.
Les auteurs formulent des recommandations pour améliorer la qualité des études, parmi lesquelles figurent en premier lieu le fait de requérir la survie globale comme critère primaire de jugement et l’importance d’évaluer la qualité de vie.
Si certains biais sont inévitables en raison de la complexité des essais oncologiques, concèdent-ils, ce constat doit sensibiliser les décideurs politiques, les investigateurs et les cliniciens « à examiner soigneusement les risques de biais dans les essais pivots qui appuient les décisions réglementaires et dans quelle mesure les nouveaux anticancéreux garantissent un bénéfice significatif aux patients », est-il écrit.
Source : lequotidiendumedecin.fr