Prendre des risques pour mieux apprendre
ISABELLE MORIN La Presse Publié le 22 mai 2017
Vouloir mettre son enfant en garde en lui énumérant tous les dangers potentiels est non seulement insuffisant, mais contre-productif. L’enfant a besoin d’expérimenter par lui-même. PHOTO THINKSTOCK
Vouloir mettre ses enfants à l’abri des dangers pourrait avoir des conséquences plus néfastes à long terme que de les laisser prendre des risques raisonnables, comme grimper aux arbres, explorer le quartier ou jouer avec des outils « dangereux ». Même si cela doit se faire au prix de quelques mauvaises expériences…
Le périmètre de jeu des enfants est de plus en plus restreint, si on le compare à celui des générations précédentes. En surprotégeant nos enfants, nous serions toutefois en train de générer d’autres problèmes, dont les répercussions à long terme sont plus graves pour leur santé et leur développement que quelques écorchures ou membres fracturés, pensent certains spécialistes de l’enfance.
« Un enfant qui ne prend jamais de risques raisonnables a de fortes chances de ne pas savoir reconnaître ou faire face à des menaces plus importantes en vieillissant », a expliqué en entrevue Richard Louv, auteur de Last Child in the Woods, un ouvrage qui a contribué à l’essor d’un mouvement international visant à favoriser le contact des enfants avec la nature. Car l’enfant trouverait, en milieu naturel, des conditions propices à l’exploration de petits dangers et à de nombreux apprentissages.
« Il y a bien sûr des risques à jouer dehors, à franchir la porte du domicile et à rencontrer des inconnus, mais les conséquences d’élever une génération d’enfants dans des environnements trop contrôlés sont énormes », soutient Richard Louv en pointant entre autres l’obésité infantile. Les pédiatres voient de moins en moins de cas de fractures, mais ils voient poindre des maladies plus graves, souligne-t-il, en invitant les parents à revoir leur notion du danger.
DES INTENTIONS CONTRADICTOIRES
Il y a des contradictions dans nos façons de voir l’éducation, constate la psychologue de l’enfance et de la famille Diane Dulude. « D’un côté, nous voulons protéger nos enfants de tout risque, et de l’autre, nous leur demandons d’être performants et de savoir s’organiser. On ne peut pas à la fois encadrer toutes leurs activités et vouloir qu’ils soient autonomes », fait-elle observer.
Certains facteurs contribuent à exacerber les peurs des parents d’aujourd’hui et à faire en sorte qu’ils protègent leur progéniture à l’excès, croit l’intervenante auprès des enfants et de la famille. Le fait d’être constamment bombardé d’informations crée une impression que le danger est à nos portes. Par ailleurs, pour pouvoir accompagner son enfant dans l’exploration du risque, il faut avoir du temps. Or, il est souvent plus facile de structurer les activités à la maison, où l’environnement est contrôlé, que de surveiller à distance.
« Un enfant qui apprend que tout est dangereux a de fortes chances de ne pas avoir le jugement nécessaire pour évaluer les dangers. »
– Diane Dulude
Il risque alors de s’en remettre à certains réflexes, en plongeant tête première dans une situation, en fuyant les problèmes, ou encore en s’attendant à ce que quelqu’un intervienne à sa place.
UN INSTINCT NATUREL POUR LE DANGER
Vouloir mettre son enfant en garde en lui énumérant tous les dangers potentiels est non seulement insuffisant, mais contre-productif. L’enfant a besoin d’expérimenter par lui-même. Deux éléments entrent en jeu quand il est question d’apprendre et d’explorer, explique la psychologue : le plaisir et l’anxiété. Le premier pousse à l’action et à la découverte, tandis que la peur met le corps et la tête en alerte pour la protection et, ultimement, la survie.
Les enfants trouvent donc une stimulation dans le risque. « Dans ce genre de contexte, ils sont plus attentifs et plus investis dans les activités, remarque la directrice de l’organisme Child and Nature Alliance of Canada, Marlene Power. Lorsqu’on les prive de toute notion de risque dans les jeux, et du défi que cela représente, ils perdent l’intérêt ou s’engagent dans des risques plus grands en quête d’excitation. »
Il y a de nombreux bénéfices à adopter une approche plus souple par rapport à de petits dangers, croit-elle. « Les enfants développent leur jugement, cherchent des solutions, puisent dans leurs propres ressources ou celles qui les entourent. Ils apprennent ainsi à devenir indépendants et ils ont un sentiment d’accomplissement quand ils surmontent de petites épreuves par leurs propres moyens. »
LE RISQUE « RAISONNABLE »
Comme le souligne Richard Louv, le risque de se blesser, d’avoir l’air fou, de faire de mauvaises rencontres est présent tout au long de la vie, et ce, dès qu’on apprend à marcher. En y étant confronté à petites doses durant l’enfance, on a, selon lui, autant d’occasions d’acquérir des compétences qui seront utiles plus tard.
Mais comment savoir si un risque est raisonnable ou non ? « Un vrai danger peut occasionner des blessures permanentes ou la mort, répond Richard Louv, en convenant cependant que la notion de danger varie d’un individu à l’autre. Il ne s’agit pas de discréditer les parents, mais d’amorcer une réflexion. Lorsqu’on est tenté d’interdire et de vouloir tout prévenir, on peut d’abord se poser cette question : le degré de risque associé à une activité est-il plus grand que ce que mon enfant peut en retirer comme apprentissage ou bénéfices ? »
Un risque raisonnable pour un jeune enfant pourrait être d’explorer le pourtour d’un étang, par exemple, d’utiliser un couteau pour sculpter un bout de bois ou d’escalader un petit rocher. « Plutôt que de couper les arbres, apprenons aux enfants à grimper, résume Richard Louv. Je pense que c’est une belle métaphore pour la vie ! »
«À survoler les activités de nos enfants comme des hélicoptères, nous les privons d’une expérience essentielle. Donnons-leur l’espace pour explorer.»
Richard Louv auteur de Last Child in the Wood et cofondateur du Children and Nature Network