La Presse , dimanche 10 novembre 2024 Montréal La Presse Santé

S  Pourquoi tant de cancers chez les quarantenaires ? Une image contenant croquis, dessin, texte, illustration

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Judith Lachapelle – ILLUSTRATION JUDITH LACHAPELLE, LA PRESSE

« Il y a des choses qu’on ne comprend pas » | La Presse

Partout en Occident, le même phénomène est observé : les cas de cancer chez les quarantenaires sont en augmentation, sans qu’on puisse en expliquer la cause.

Que s’est-il passé dans la vie des X et des milléniaux pour qu’ils soient davantage frappés que les générations précédentes ?

« Il y a des choses qu’on ne comprend pas »

Sur le coup, je n’ai pas réalisé ce que ma chirurgienne me disait.

C’était la veille de l’opération où elle devait retirer cette « masse de nature inconnue » dans mes intestins, révélée quelques semaines plus tôt par une coloscopie.

Au téléphone, ma médecin venait de s’assurer que j’avais bien pris les médicaments requis avant le bistouri, quand elle a lâché : « En fait, à la lumière des tests préopératoires, je m’apprête à vous retirer une tumeur cancéreuse. »

Je me souviens d’avoir pensé… à rien. J’avais effleuré cette possibilité, mais elle n’avait aucun sens pour moi.

Une rapide recherche m’avait révélé les quatre facteurs de risque les plus communs du cancer colorectal : homme, plus de 50 ans, obèse, sédentaire.

J’étais une femme de 44 ans en pleine forme – j’avais couru mon troisième demi-marathon quelques mois plus tôt.

Alors, non, ça ne pouvait pas être « ça ».

Le lendemain, une fois émergée des vapes de l’anesthésie, ma chirurgienne me confirmait pourtant son diagnostic : une belle tumeur de la taille d’une boule de billard avait été retirée de mon côlon.

J’ai eu de la chance : pas de métastases, pas eu besoin de chimio.

Quelques semaines de convalescence, et hop, j’étais de retour au programme habituel.

J’ai eu beaucoup de chance. Je n’ai pas eu le temps de réaliser que j’avais un cancer qu’il avait déjà disparu.

J’en ai même fait un sujet de blagues. « Tu ne sais pas ce qui m’est arrivé ? J’ai eu le cancer pendant 24 heures ! »

Mais la rémission psychologique a été beaucoup plus longue.

Le cancer est resté là, d’une certaine façon, dans ma tête.

Pourquoi moi ? Qu’est-ce que j’avais fait de « mal » ?

Les médecins et spécialistes haussaient les épaules. « Ça arrive », répondaient-ils.

En fait, oui, c’est vrai, « ça arrive ».

Mais le problème, c’est qu’un cancer à 40 ans, « ça arrive » de plus en plus souvent.

« Honnêtement, ça nous effraie »

Au début de sa pratique, il y a à peine une dizaine d’années, le DFrançois Letarte, spécialiste de la chirurgie gastro-intestinale du CHU de Québec, voyait rarement passer des cas de tumeurs cancéreuses chez les quarantenaires.

Plus maintenant. « Ça nous choque encore, mais on est un peu plus habitués », dit-il.

Les cas de cancer chez les moins de 50 ans ne représentent que 10 % des cas diagnostiqués chaque année au Canada.

Mais de plus en plus de données publiées en Occident montrent que, pour certains cancers, le nombre de cas augmente maintenant de façon disproportionnée chez ceux que les chercheurs désignent comme les « jeunes adultes ».

Autrement dit, les membres des générations X et milléniale souffrent plus souvent du cancer que leurs aînés quand ils avaient le même âge.

C’est notamment le cas pour le cancer colorectal, l’un des quatre cancers les plus souvent diagnostiqués au Canada, et l’un de ceux, avec le cancer du sein, pour lesquels la hausse des cas chez les jeunes adultes est le plus remarquée.

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Le DFrançois Letarte, spécialiste de la chirurgie gastro-intestinale du CHU de Québec

Au début des années 2000, les cas de cancers colorectaux chez les moins de 50 ans représentaient 5 % des cas.

En 2030, selon les données américaines, on prévoit qu’ils représenteront autour de 30 à 40 % des cas.

C’est assez épeurant.

 Le DFrançois Letarte, spécialiste de la chirurgie gastro-intestinale du CHU de Québec

Sur la quinzaine de cas examinés chaque semaine par le groupe de chirurgiens auquel appartient le DLetarte, au moins un ou deux concernent désormais des patients de moins de 50 ans.

« Et on en voit beaucoup aussi chez des patients dans la trentaine, et même dans la vingtaine. »

Un phénomène observé partout en Occident.

Au Centre de recherche du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), à Montréal, les préoccupations du DLetarte trouvent écho chez la Dre Saima Hassan, chirurgienne oncologue et spécialiste du cancer du sein.

Elle aussi a remarqué que le nombre de ses jeunes patientes dans la vingtaine, la trentaine ou la quarantaine est en augmentation.

Dans la dernière année, le phénomène l’a particulièrement frappée, elle et son équipe.

« Honnêtement, ça nous effraie. »

Dans une étude canadienne parue en avril dernier, les chercheurs ont évalué que les cas de cancer du sein dans la vingtaine ont augmenté de 45 %.

« C’est beaucoup », dit la Dre Hassan.

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La Dre Saima Hassan, chirurgienne oncologue et spécialiste du cancer du sein au CHUM

Il y a quelque chose qu’on ne comprend pas assez bien. La Dre Saima Hassan, chirurgienne oncologue et spécialiste du cancer du sein au CHUM

Bon nombre de ces cas de cancer peuvent être associés aux facteurs de risque, notamment l’hérédité et la génétique.

« Mais il y a aussi des choses qu’on ne comprend pas », renchérit le DLetarte.

« Quand je regarde les derniers patients que j’ai opérés et qui étaient début trentaine, ou début quarantaine, ce n’était pas nécessairement des gens inactifs ou avec de mauvaises habitudes de vie.

Clairement, il y a eu des changements au niveau de l’environnement. »

De quels changements parle-t-on ? Des aliments qu’on mange ? De l’air qu’on respire ?

Du stress, de la couche d’ozone, des OGM, des pluies acides, des composés organiques volatils et du bisphénol A ?

« On a beaucoup d’hypothèses, mais pas de réponses claires », doit admettre le médecin François Letarte devant ses jeunes patients.

« Ça génère parfois beaucoup de frustration, surtout chez les jeunes. »

17 cancers en hausse chez les X et les milléniaux

Selon l’American Cancer Society, sur 34 types de cancers les plus courants aux États-Unis, 17 sont en augmentation parmi les cohortes des générations X (personnes nées entre 1965 et 1980) et milléniale (1981-1996).

Cancer du sein

Cancer du pancréas

Cancers du système digestif (estomac, vésicule biliaire, intestin grêle, colorectal…)

Cancer du foie

Cancers de l’utérus et de l’ovaire

Cancers de l’anus et des testicules

Certains cancers du rein et du sang (myélome)

Les milléniaux nés dans la décennie 1990 ont des taux d’incidence de certains cancers (pancréas, du rein et de l’intestin grêle) de deux à trois fois plus élevés que les baby-boomers nés en 1955.

En savoir plus

+ 80 %

Hausse des cas de cancer chez les moins de 50 ans depuis 1990

Source : BMJ Oncology, 2023