SCIENCES ET AVENIR SANTÉ CERVEAU ET PSY Par Camille Gaubert le 21.08.2018
Sous anesthésie générale, notre cerveau perd la flexibilité et la richesse de ses connexions, source de notre conscience. Grâce à l’IRM, des chercheurs ont ainsi publié la toute première signature cérébrale universelle de l’anesthésie générale.
C’est la richesse et la flexibilité des connexions qui sont altérées sous anesthésie générale.
RHR / SCIENCE PHOTO LIBRARY / AFP
Comment nos connexions cérébrales donnent-elles naissance à notre conscience ? Question corollaire : pourquoi perd-on cette conscience sous anesthésie générale ? Des chercheurs se sont penchés sur cette question et ont décrit, pour la première fois, une signature universelle de l’activité cérébrale sous anesthésie générale grâce à l’Imagerie par Résonance Magnétique (IRM). Les scientifiques ont ainsi pu déterminer que si nous perdons conscience pendant une anesthésie générale, c’est en raison d’une « rigidification » des voies de transmission des informations dans le cerveau. Ces travaux ont notamment été réalisés par le Commissariat à l’Energie Atomique (CEA) et l’Inserm, et ont été publiés dans la revue Anesthesiology.
5 SINGES, 3 PRODUITS, 1 IRM. Afin d’élucider le mystère des pertes de consciences sous anesthésie générale, les connexions cérébrales de 5 singes ont été examinées par les scientifiques grâce à une machine à IRM. Par groupes de 3 (tous n’ont pas reçu tous les produits), ils ont été examinés éveillés ou après qu’on leur a administré un produit anesthésiant parmi 3 des plus utilisés : le propofol, la ketamine, ou le sévoflurane. Les chercheurs ont alors découvert que la circulation des informations est radicalement modifiée par l’anesthésie, quel que soit le produit utilisé, et donc indépendamment de leurs modes d’action moléculaires respectifs.
Les anesthésiants suppriment la flexibilité de la circulation des informations dans le cerveau
Pour mieux comprendre, le neurochirurgien américain George Mashour propose dans un éditorial rédigé dans Anesthesiology de se référer à une analogie simple entre le cerveau et le réseau routier. Dans cette métaphore, les voitures sont les impulsions électriques transmises de neurone en neurone afin d’acheminer l’information, figurée par les passager. Les axes autoroutiers représentent les connexions anatomiques, physiques, directes entre différentes zones du cerveau ainsi qu’avec le reste du corps. Enfin, les bretelles et routes secondaires figurent des voies annexes permettant une transmission flexible, dynamique et synchronisée des informations à plusieurs zones du cerveau. « Exactement comme dans le système autoroutier, le trafic peut être dynamique (comme lorsque l’on est éveillé) ou les rues être complètement vides (comme dans un état de mort cérébrale) », explique le Pr Mashour.
Or, selon les observations des chercheurs sur les singes, l’anesthésie générale ne permet plus d’utiliser que les autoroutes, c’est-à-dire les connexions anatomiques ! L’activité du cerveau est alors fortement conditionnée par son anatomie et perd sa flexibilité. Vu par IRM, cela se traduit par des images monotones et très peu variées par rapport à l’état de conscience, dont les rendus sont bien plus riches. Cette limitation du trafic « ne permet ni une bonne flexibilité, ni une bonne répartition du flux, générant en quelque sorte des embouteillages« , explique Béchir Jaraya, qui a co-dirigé ces travaux. « Ces données suggèrent que contraindre le flux d’informations à emprunter des voies moins flexibles – les autoroutes cérébrales – pourrait être une des principales raisons pour lesquelles les anesthésiants suppriment la conscience« , conclut le Pr Mashour. En somme, l’anesthésie générale ne supprime pas notre activité cérébrale mais en « rigidifie » le fonctionnement en limitant le cheminement de l’information au sein du cerveau. Elle est alors cantonnée aux connexions anatomiques et n’a plus la possibilité d’emprunter des trajets flexibles, ce qui supprime notre conscience.
Signature cérébrale d’un cerveau conscient (en haut) et d’un cerveau sous anesthésie générale (en dessous), établie par les chercheurs. Les observations montrent une activité riche et flexible dans l’état « conscient » : différentes aires du cerveau peuvent être activées en phase, reliées ou non par une connexion anatomique. Si l’anesthésie générale ne supprime pas cette activité, elle se trouve « rigidifiée » : seules les aires connectées anatomiquement peuvent s’activer en phase. @American Society of Anesthesiologists, 2018
SIGNATURE CEREBRALE UNIVERSELLE. C’est donc la première signature cérébrale universelle établie de l’anesthésie générale. « Des travaux futurs devront sonder si cette signature se généralise également à d’autres états tels que le coma, l’état végétatif ou l’épilepsie« , concluent les auteurs de la publication. En attendant, cette découverte pourrait impacter significativement la manière dont on surveille et ajuste une anesthésie générale chez les patients devant être opérés ou chez les patients comateux qui reçoivent une sédation en réanimation.