JEAN-FRANCOIS CLICHE

On ne sait pas trop pourquoi les femmes ont une plus grande espérance de vie à la naissance que les hommes, mais une nouvelle étude jette un éclairage neuf sur ce mystère.

 JEAN-FRANÇOIS CLICHE 04-09-2020

Au Québec, l’espérance de vie à la naissance est de 80,6 ans chez les hommes et de 84,5 ans chez les femmes. Et personne ne s’en émeut, puisque c’est comme ça dans toutes les sociétés du monde, à divers degrés − et même chez beaucoup d’autres mammifères. On ne sait pas trop pourquoi, d’ailleurs, mais un très bel article paru au printemps dans la revue savante Proceedings of the National Academy of Sciences a jeté un éclairage neuf sur cette question.

L’étude, dirigée par Jean-François Lemaître, de l’Université Claude Bernard Lyon 1, en France, a d’abord permis de confirmer qu’il s’agit d’une tendance générale chez les mammifères. Dans les 134 populations observées et appartenant à 101 espèces, les femelles ont une espérance de vie, une fois la maturité atteinte, de 11 % supérieure en moyenne.

Sauf que M. Lemaître et son équipe ont aussi noté d’énormes variations d’une espèce à l’autre, au point de mettre à mal certaines des théories classiques sur les différences sexuelles de longévité. L’une d’elles, par exemple, veut que les mitochondries (structures microscopiques qui fournissent l’énergie à nos cellules) soient plus adaptées aux femelles.

Puisque c’est la mère qui lègue ses mitochondries à sa progéniture, une fonction de la sélection naturelle aurait ajusté les mitochondries au métabolisme féminin, au détriment des mâles. Une autre thèse « blâme » quant à elle le chromosome Y, qui détermine le sexe masculin et prive les mâles d’une copie de secours de certains gènes, augmentant ainsi leur vulnérabilité aux tares et maladies génétiques.

Ces explications sont certainement valides, mais si elles justifiaient l’écart de longévité, on n’observerait pas une diversité interespèce aussi grande que celle que l’équipe française a constatée. Chez certains mammifères, l’écart de longévité adulte est presque nul alors que chez d’autres (épaulards, lions, certaines populations de cerfs, etc.) il avoisine les 60 % ! Imaginez si l’on transposait cela à l’être humain d’une société industrialisée : les femmes, une fois passé le cap des 20 ans, pourraient espérer atteindre 81 ans alors que les hommes ne se rendraient en moyenne qu’à 44 ans !

Une autre théorie veut que ce soit la spécialisation sexuelle des rôles chez les mammifères qui mène les mâles vers un style de vie plus dangereux. Ils se battent, ils sont davantage portés à prendre des risques à cause de niveaux élevés de testostérone et ils sont plus facilement repérables par les prédateurs en raison de leurs couleurs plus vives leur servant à séduire les femelles. Si c’était bien le cas, alors l’écart de longévité serait à son maximum chez les espèces au fort dimorphisme sexuel. Jean-François Lemaître l’a mesuré en regardant l’écart de poids entre les mâles et les femelles, ainsi que le système « marital » des espèces (harem, monogamie, etc.). Mais ces facteurs, a-t-il trouvé, n’ont qu’un très faible effet.

Tout un mélange

Qu’est-ce qu’il nous reste pour comprendre pourquoi les femelles et les femmes vivent plus longtemps ? Un mélange de génétique et de facteurs environnementaux, conclut l’article. Les mâles ne seraient pas programmés pour avoir une vie plus courte, mais ils auraient tout de même certaines vulnérabilités. On sait ainsi que des taux élevés de testostérone peuvent nuire au système immunitaire. En outre, la taille et les atours typiques des mâles représentent un « coût » : il faut trouver plus de nourriture pour entretenir tout cela.

Mais c’est seulement dans certaines circonstances dictées par l’environnement, comme en temps de famine, que ces vulnérabilités auraient une véritable incidence.

Les auteurs de l’étude ont d’ailleurs pu l’observer sur des populations de mouflons réparties à différents endroits.

Dans le sanctuaire du National Bison Range, au Montana, où les mouflons ont continuellement de quoi se nourrir, l’écart de longévité est d’environ 20 % en faveur des femelles. Mais dans les Rocheuses canadiennes, les bêtes font face à des conditions hivernales plus rudes, avec des températures descendant jusqu’à – 40 °C et des chutes de neige de novembre à mai. Dans cette population, les femelles qui parviennent jusqu’à l’âge adulte vivent presque deux fois plus longtemps que les mâles !

La même règle semble prévaloir chez l’humain : les données de l’équipe de Jean-François Lemaître montrent un écart de longévité d’environ 5 % dans les sociétés industrialisées (Suède, États-Unis, Japon), mais de 17,5 % chez les Achés, une peuplade de chasseurs-cueilleurs du Paraguay. Il faudra attendre de voir si d’autres résultats vont dans le même sens que cette étude, mais pour l’heure, le phénomène a gagné une nouvelle couche de complexité !

Illustration: Vigg