Publié le 29/06/2019
Paris le samedi 29 juin 2019 – « Un jugement historique qui pourrait faire jurisprudence ». Lorsque cette formule accompagne le commentaire d’une décision de justice, elle doit souvent être accueillie avec une certaine méfiance…
A lire le communiqué de presse publié par le Tribunal Administratif de Montreuil, le jugement rendu le 25 juin 2019 constitue une grande victoire pour les défenseurs de l’environnement. Oui, « le Tribunal administratif retient que l’État a commis une faute ».
Il n’en fallait pas plus pour que certaines dépêches de presse qualifient la décision « d’historique » dans un contexte où les actions engagées contre l’État sur la question de la pollution atmosphérique et de « l’inaction climatique » se multiplient.
Pourtant, à y regarder de plus près, les commentateurs glosent sur une décision de justice qui a abouti pourtant… au rejet d’une demande. En effet, prouver l’existence d’une faute est une chose, mettre en cause la responsabilité de l’Etat en est une autre.
Une action en responsabilité
Tout d’abord, un rappel des faits s’impose. Le Tribunal administratif de Montreuil avait été saisi par une femme agissant en son nom propre et au nom de sa fille mineure. Ces dernières ont habité pendant plusieurs années à Saint-Ouen à proximité du périphérique parisien.
La plaignante estime que les bronchites dont elle est atteinte, ainsi que les crises d’asthme de sa fille, étaient imputables aux épisodes de pollution atmosphérique qui sont survenus en Ile de France entre 2012 et la fin de l’année 2016. Or, d’après la plaignante, les épisodes en question sont la conséquence d’une double faute qui aurait été commise par l’État.
Pas de « carence du pouvoir règlementaire »
Plus particulièrement, la plaignante a souhaité engager la responsabilité de l’État en raison d’une prétendue « carence du pouvoir règlementaire ».
En clair, il était reproché à l’État (et donc plus particulièrement au gouvernement) de ne pas avoir pas pris l’ensemble des mesures nécessaires pour lutter contre la pollution, alors même que les seuils légaux de pollution fixés par le Code de l’Environnement et la Directive 2008/50/CE du 21 mai 2008 étaient dépassés.
Sur cette question, le Tribunal a estimé que sur le terrain règlementaire, le nécessaire a été fait pour lutter contre la pollution, même si « les mesures successivement adoptées n’ont pas encore permis d’empêcher tout dépassement des seuils ».
En clair, l’État a respecté ses obligations en mettant en œuvre un certain nombre de mesures contraignantes (circulation alternée, interdiction de l’utilisation du bois de chauffage individuel, restriction de l’utilisation de groupes électrogènes…).
Pire (ou mieux) la décision donne même un satisfecit à l’État, en rappelant que « les efforts fournis ont toutefois permis une amélioration constante de la qualité de l’air en Ile-de-France depuis une dizaine d’années ». La décision, n’est pas un triomphe pour les environnementalistes sur ce point. La faute est écartée.
Une faute des services déconcentrés
Mais en deuxième analyse, la plaignante cherchait à engager la responsabilité des services déconcentrés de l’État, et notamment celle de la Préfecture.
En effet, le Code de l’environnement impose aux préfets de mettre en œuvre « un plan de protection de l’air » qui a pour objet « de ramener à l’intérieur de la zone la concentration en polluants dans l’atmosphère à un niveau conforme » aux seuils fixés par la loi et les directives européennes.
La justice reconnaît ici l’insuffisance de ce seul plan et la faute de l’État en opérant le raisonnement suivant : si le dépassement des valeurs limites ne peut constituer, à lui seul, une carence fautive de l’État, l’insuffisance des mesures prises pour y remédier dans le dit plan est en revanche constitutive d’une telle carence. Le mot est lâché.
Faute, mais pas de responsabilité
Alors quel impact pour cette décision ? Figurera-t-elle dans les livres d’histoire du droit ? Deux raisons doivent nous inciter à accueillir la décision avec un peu de recul.
Tout d’abord, difficile pour la plaignante de crier victoire. En effet, pour engager la responsabilité de l’Etat et obtenir une indemnisation, démontrer l’existence d’une faute ne suffit pas. Encore faut-il, établir que cette dernière est directement à l’origine d’un préjudice.
Or, sur ce point, la décision rendue par le Tribunal est catégorique : au vu des éléments du dossiers, il n’apparaît pas « que les pathologies de la requérante et de sa fille trouveraient directement leur cause dans l’insuffisance des mesures prises par l’État au cours de la période 2012-2016 pour limiter au maximum les périodes de dépassement de seuils de concentration en gaz polluants ». En clair, la démonstration du lien de causalité fait défaut.
Dans le contexte de la multiplication des actions en responsabilité contre la puissance publique, force est de constater que la démonstration exigée de la part des plaignants se relève très exigeante.
En effet, il est difficile (voir impossible) de prouver que le développement ou l’aggravation d’une pathologie trouve sa conséquence directe dans l’insuffisance d’une mesure qui aurait dû être prise en application d’un plan de pollution bien précis et sur une période bien délimitée…
Un jugement dans la continuité d’une jurisprudence du Conseil d’État
Plus encore, la mise en cause des carences de l’État en matière de lutte contre la pollution n’est pas vraiment une première « historique ».
En effet, dans un arrêt du Conseil d’État du 12 juillet 2017, la plus haute juridiction administrative avait déjà eu l’occasion de juger que les plans de lutte contre la pollution devaient être considérés comme insuffisants lorsque les dépassements des seuils en matière de pollution devenaient réguliers.
En outre, à l’échelle européenne, la France fait d’ailleurs l’objet de mise en demeure répétées par les instances de Bruxelles en raison du dépassement des seuils fixés par les directives, au point d’être renvoyée devant la Cour de Justice de l’Union Européenne.
L’impact de ces décisions, pour l’heure, est donc essentiellement politique. En l’absence de dommages et intérêts « punitifs », d’action collective ou d’expertise poussée, la mise en cause de la responsabilité pécuniaire de l’État semble extrêmement difficile.
Mais la multiplication des recours individuels ou d’associations engagés contre l’État dit également quelque chose de l’état de notre démocratie.
Après tout, l’insuffisance des mesures prises par l’État en matière de pollution est souvent le reflet des oppositions des citoyens aux dites mesures : à simple titre d’exemple, il suffit de lire que lors du premier jour de la mise en place de la « circulation différenciée » à Paris (mesure pourtant mise en place par la préfecture), la ville aurait enregistré des encombrements plus nombreux que la moyenne.
Or, jusqu’à preuve du contraire, la pollution trouve d’avantage son origine dans le pot d’échappement de l’automobiliste (même lorsqu’il se déclare écologiste) que dans les bureaux des préfectures.
Charles Haroche (avocat à la cour)
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