https://www.jim.fr/e-docs/00/02/BC/02/carac_photo_1.JPG Publié le 31/08/2019

Paris, le samedi 31 août 2019 – Le projet de loi de bioéthique qui sera examiné dans quelques semaines par le Parlement comporte quelques impasses. Il n’est ainsi pas fait mention de l’accompagnement des personnes intersexuées. Pourtant, le Conseil d’État avait formulé il y a un an différentes recommandations que plusieurs associations représentant une partie des personnes intersexuées espéraient voir reprises dans le texte de loi. Retarder le moment de l’inscription du sexe à l’état civil de l’enfant et empêcher les opérations d’assignation sexuelle précoces faisaient notamment partie des préconisations phares du Conseil d’État. De fait, depuis plusieurs années, beaucoup dénoncent la pratique d’interventions chez les nourrissons, qui empêchent la prise en considération du consentement de l’enfant. Certains, soutenus dans ce sens par la position des comités de défense des droits de l’homme de l’ONU, considèrent ces interventions comme des mutilations.

Tous cependant ne partagent pas cette vision de la situation. Certains pédopsychiatres, (en s’appuyant parfois sur des travaux anciens), continuent à défendre la nécessité d’une prise en charge rapide. Cette position se fonde sur une conception spécifique du sexe et du genre, que tous ne partageront pas, mais qu’expose pour nous ici le docteur Christian Flavigny, dont les points de vue sont souvent l’objet de débat (Pédopsychiatre, psychanalyste. Dernier ouvrage paru : Le débat confisqué : PMA, GPA, bioéthique, “genre”, #metoo …, Edition Salvator, juin 2019)

JIM.fr : Quel regard portez-vous sur les propositions du Conseil d’État concernant l’établissement de l’état civil des personnes intersexuées ?

Docteur Christian Flavigny : Elles sont désastreuses, inspirées du discours des personnes devenues militantes en raison de souffrances personnelles ; or si on peut accepter ce discours de leur part, car elles souffrent d’une situation, ce qui est une épreuve et peut expliquer qu’elles s’écartent des explications psychologiques cohérentes de leur situation affective, on ne peut l’accepter de la part de hauts magistrats qui ont la possibilité de s’informer, de se documenter (j’ai fait remarquer qu’ils négligeaient de se référer aux travaux français sur le sujet, pourtant pionniers et de réputation internationale, alors qu’ils mentionnent des travaux américains très discutés mais dont la thèse séduit plus volontiers les militants). C’est aberrant et scandaleux.

JIM.fr : Quelles sont les données existantes concernant la répercussion des interventions chirurgicales précoces en cas d’anomalie du développement génital et la répercussion des interventions chirurgicales plus tardives ?

Docteur Christian Flavigny : Les travaux français sur le sujet sont dus au Dr Léon Kreisler, auteur d’une étude ample (Psychiatrie de l’Enfant, 1960) qui n’a connu aucun équivalent par la suite, ni en France, ni à l’étranger ; j’ai eu la chance de travailler jadis avec lui à l’hôpital Saint Vincent-de-Paul à Paris. Son travail approfondi résultait certes d’une époque durant laquelle la découverte de l’ambiguïté sexuelle était plus tardive qu’elle ne l’est aujourd’hui, une époque où les techniques chirurgicales encore balbutiantes n’avaient pas encore effectué les notables progrès réalisés depuis. Mais la question psychologique demeure au centre de la question de l’intervention médico-chirurgicale, et la conclusion de Kreisler demeure d’une pleine validité : l’importance d’une intervention précoce rétablissant une cohérence anatomique en fonction du sexe qui s’est établi en conviction entre les parents et l’enfant. Les travaux qui ont suivi cette étude initiale sont épars et portent sur une cohorte beaucoup moins étendue.

Pas d’étude sur les enfants devenus adultes ayant été opérés plus tardivement

Et aucune étude n’a été effectuée, ni même entreprise, concernant des enfants devenus adultes qui n’auraient pas été opérés dans le jeune âge ; la thèse prétendant qu’il suffirait alors d’une prise en charge psychologique adaptée méconnaît les principes mêmes de la psychologie : les désordres psychiques auraient toutes les chances d’avoir débordé la stricte sphère sexuelle pour avoir envahi toute l’organisation de la personnalité. Plaider l’option de différer la décision médicale à la raison d’y associer l’intéressé devenu décisionnaire, serait prendre la responsabilité d’une désorganisation de la vie familiale de l’enfant concerné et de sa vie affective ultérieure, devenue inaccessible à l’aide psychologique.

JIM.fr : Que suggérez-vous aux parents dont l’enfant présente une anomalie du développement génital? L’accompagnement psychologique et éducatif des familles peut-il permettre dans de nombreux cas d’éviter des interventions immédiates ?

Docteur Christian Flavigny : L’évaluation de la situation comporte d’associer les parents et l’enfant (celui-ci informé en fonction de son âge), auprès de l’équipe médicale et chirurgicale réunis autour du pédopsychiatre. Il n’est pas de l’intérêt de l’enfant de le laisser dans une situation confuse qui désorganiserait l’établissement cohérent de sa vie affective centrée par le lien de filiation.

JIM.fr : Ne pensez-vous pas que la décision devrait être prise au cas par cas en fonction notamment des capacités de chaque famille à accepter la situation ?

Docteur Christian Flavigny : Mais bien sûr, le cas par cas est le principe même de toute approche médicale ; mais cela ne veut pas dire qu’il y aurait des cas où se justifierait de différer les décisions à prendre : car ce serait abandonner l’enfant à une situation confuse et les parents à une situation confusionnante.

Qu’est-ce qu’une anomalie ?

Toute approche médicale est la tentative de résorber au mieux une anomalie : or la malformation (par exemple un sexe anatomique semblant être celui d’un garçon chez un enfant aux chromosomes XX) est une anomalie, et non pas comme le prétendent des militants une variation du développement génital. Car sinon où s’arrête la notion de variation : la fente palatine est-elle une variation du développement buccal ? Le cancer n’est-il pas l’expansion d’un processus existant chez l’individu sain ? Les personnes intersexes réclament des pouvoirs publics une éducation de la collectivité à l’existence de l’anomalie qu’elles subissent ; elles ont raison, il faut promouvoir le respect de toutes les situations de la vie. Mais sans aboutir à nuire gravement aux enfants concernés par l’anomalie en question.

JIM.fr : Pourquoi jugez-vous que le témoignage des personnes qui ont subi des opérations qu’ils dénoncent ne peut pas être considéré comme parfaitement pertinent ?

Docteur Christian Flavigny : Ces personnes souffrent, comment le contester, comment ne pas le déplorer ? Mais elles se trompent sur l’origine de leur souffrance, qu’elles attribuent aux protocoles médico-chirurgicaux, ce qui n’est pas exact. Elles souffrent d’une anomalie que les médecins et chirurgiens ne compensent jamais complètement, de même que l’adoption pallie le fait qu’un enfant n’a pas de parents, ce qu’elle tente de résoudre au mieux en lui donnant des parents d’adoption, laissant néanmoins souvent un trait de fracture psychique aux tréfonds de l’âme de l’enfant. Transformer par la magie des mots une malformation en “variation du normal”, c’est se leurrer ; nous ne pouvons et ne devons pas encourager le leurre, même s’il est nécessaire que toutes les décisions médico-chirurgicales soient affinées au mieux, les médecins et chirurgiens y travaillent dur pour tenter d’apporter la meilleure réponse à chaque situation. En cela les recommandations du Conseil d’État sont un véritable camouflet à leur égard : déplorable.

JIM.fr : Pensez-vous qu’une relation parent-enfant puisse s’établir de manière harmonieuse en s’émancipant de la question du sexe de l’enfant ? L’enfant ne peut-il pas être investi comme objet d’attention en dehors de la notion de genre ?

Docteur Christian Flavigny : Un enfant est soit fille soit garçon et le sait bien ; il est attendu ainsi : dans le projet que rêvent ses parents il sera plus tard soit homme soit femme, donc soit père de leurs petits-enfants soit leur mère. Ceci fonde l’inscription de l’enfant dans sa famille, à court et à long terme, et en est le principe directeur. Les parents peuvent se réjouir du sexe de leur enfant (chouette un garçon !/ chouette une fille !) ; mais ils peuvent s’en accommoder seulement voire être déçus ; et dans ces derniers cas l’établissement pour l’enfant de sa sensation d’être garçon ou fille peut être compliquée : il ne peut concilier son sexe corporel, qu’il découvre vite (vers ses 2 ans au plus), avec les attentes de ses parents d’avoir un fils / une fille, qu’il ne parvient alors à combler. Toute la vie psychique de l’enfant, tous ses débats intérieurs notamment dans ses jeux, résident dans cette conciliation lui permettant de s’établir, plus ou moins aisément, soit fille soit garçon.

Le sexe n’est pas que le résultat d’un conditionnement social

La notion de “genre” issue d’une psychologie d’origine américaine n’a guère de pertinence pour traiter des questions du développement de la sexuation puisqu’elle ne voit dans le sexe que l’effet d’un conditionnement social : thèse réductrice puisque plusieurs facteurs concourent à la sexuation. Seule est cohérente la notion de sexe qui comporte et mêle plusieurs aspects, avant tout le sexe corporel (présence d’un pénis ou non, c’est ainsi que l’enfant le perçoit initialement) et le sexe psychologique (le masculin se distingue du féminin par les processus psychiques qui les déterminent et qui s’élaborent depuis la relation au parent de même sexe). L’équation psychique, autrement dit le développement psychique de l’enfant, comporte de les mettre en harmonie, ce qui n’est pas toujours aisé, puisqu’engageant aussi le point de vue de ces autres privilégiés que sont les parents.

L’amour est sans conteste une denrée précieuse pour que l’enfant grandisse, mais insuffisante. L’enfant a besoin de fonder une compréhension de sa venue au monde, ne serait-ce que pour pouvoir la contester, condition de s’affirmer ; et donc un besoin de cohérence. C’est le rôle de la filiation : elle ne peut enregistrer qu’un enfant sexué : soit garçon soit fille. Car le sexe est une donnée anthropologique de la vie humaine (avec la mort), confrontant chacun à l’incomplétude (et la mort, à la finitude). L’ « hétéronormativité » que dénoncent certains militants est le refus de la dimension corporelle de la sexualité.

JIM.fr : Une des réponses aux difficultés éprouvées par les personnes intersexuées ne pourrait-elle pas être de dissocier l’éducation des questions de genre (éviter de fonder des attentes spécifiques en fonction du sexe de l’enfant, éviter d’associer le sexe à des caractéristiques pré définies) ?

Docteur Christian Flavigny : Je crains que ce ne soit que pure illusion ; la notion d’ « éducation de genre » sous-entend que l’éducation imposerait une norme arbitraire. Ce n’est pas exact : l’enfant puise certes dans ce qui lui est transmis par l’éducation. Mais il est partie prenante et acteur, notamment dans ses jeux qui élaborent et plus ou moins s’approprient ses contenus. Un enfant grandit depuis la conviction qui s’édifie entre lui et ses parents de son sexe : il est garçon ou fille. Il a besoin de ce repère, même pour s’y opposer s’il se ressent en difficulté pour combler ce qu’il ressent de l’attente de ses parents. Estimer que lui permettre de définir “son choix”, le “soulageant” de tout regard sexué à son égard, ce serait le libérer, c’est faux : c’est en fait le délaisser, le priver d’une référence pour grandir. C’est aussi le leurrer : car il n’est de “choix” possible pour l’être humain que depuis la vie imaginaire. Le réel (notre corps, notre date de naissance etc.) s’impose à nous comme la touche de hasard dans nos vies, dont la vie psychique a pour tâche de faire une nécessité, comme résultant d’une “évidence” : bien sûr que je suis garçon/fille, bien sûr que je suis né en ce siècle et non en un autre, etc. Même s’il convient de comprendre la souffrance de ceux pour qui la donne de départ s’est trouvée complexifiée par un aléa corporel, la réponse ne peut consister en un leurre.

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VOS RÉACTIONS (3)
  • Pas de sexe défini…pauvre enfant !
Le 31 août 2019
Prôner l’abstention de tout « traitement chirurgical » en cas d’anomalie congénitale des parties génitales est une aberration. Le monde est sexué depuis la plus tendre enfance et les petits le savent très vite. Ce repère anatomique est d’importance dans le développement de l’enfant les premières années. Comment pourrait-il faire en n’étant…ni l’un, ni l’autre alors que les autres sont l’un ou l’autre? C’est une équation insoluble dans l’enfance, et ce n’est pas « l’absence de discrimination par les autres » dûment briefés qui changera quoique ce soit à cette différence.

Sexuer l’enfant, c’est lui donner un repère essentiel. S’il le conteste plus tard, celà arrive en effet, on peut certainement apporter les modification souhaitées sans discussion.

Dr Astrid Wilk

  • À l’âge de choisir, il n’y a plus de choix
Le 31 août 2019
Exemple le plus fréquent : l’hyperplasie congénitale des surrénales (HCS). Les filles atteintes sont bien XX, ont des ovaires, des trompes, un utérus et un vagin, mais un clitoris hypertrophié et des grandes lèvres fusionnées qui confèrent aux organes génitaux externes un aspect masculin. Un examen qui négligerait l’absence de testicules pourrait assigner au nouveau-né un sexe qui n’est pas le sien. Pourtant, une génitoplastie précoce (on sait faire) et un traitement endocrinien substitutif peuvent rendre à l’enfant sa vraie nature sexuelle féminine.

L’éduquer dans le sexe masculin aboutirait à une impasse fonctionnelle et à une catastrophe identitaire. À l’âge de choisir, il n’y a plus de choix, les jeux sont faits, rien ne va plus. Il faut donc choisir pour lui quand il est temps, c’est à dire, précisément, bien avant qu’il ait l’âge de choisir.

Prétendre que l’HCS ne serait qu’un variante biologique acceptable est une imposture. Une pathologie n’est pas une simple diversité biologique. L’exemple de la fente palatine cité par l’auteur est judicieuse. Les sujets atteints et qui souffrent d’une ambiguïté sexuelle congénitale ont perdu toute objectivité raisonnable et leur jugement, altéré par une sorte de lien d’intérêt, est médicalement nocif. C’est pourtant eux que l’opinion publique écoute, et les élus, et les magistrats. La science n’a plus cours.

Dr Alain Fourmaintraux

  • Le sexe des anges
Le 01 septembre 2019
Périodiquement surgissent dans l’espace public des faux problèmes qui, justement pour cela paralysent l’intelligence. On raconte qu’à centaines périodes du moyen age la moité de l’intelligence de la chrétienté était mobilisée autour de la problématique du sexe des anges…et ses corollaires.

Les débats actuels autour de la question du genre (le sexe est il le produit de l’éducation ?) par leur intensité, le nombre et la qualité des intervenants mobilisés et surtout par l’absurdité des discussions engendrées (si je puis dire) et des conclusions auxquelles arrivent quelques groupes de pressions fanatisés (et sans doute accessoirement singulièrement « névrosés » pour ne pas dire plus) sont d’un « non sens » digne des meilleurs sketchs des Monty Python et rappellent cette période ancienne.

La question débattue ici se rattache à cette problématique et sous entend pernicieusement qu’il y aurait une sorte de honte à être « normal » (comme à être « Français » par exemple) quand d’autres ne le sont pas d’où les efforts pathétiques mais délétères à supprimer la « normalité ». Rien n’est normal, tout serait équivalent et une question de point de vue et d’éducation. Ainsi le pénis ne serait un organe mâle que si on le décide !
Bien! Que les gays (lesbiennes, trans…) soient fiers de l’être, parfait mais pourquoi n’aurait on pas le droit d’être fier d’être hétéro ? Faudra t il, à terme, que des magistrats zélés, pour aider la (les) communauté finissent (pleins de bonnes intentions bien sûr et pour les aider à ne pas de « sentir exclus ») par rendre l’homosexualité (ou…) obligatoire.

On y est presque pour infliger des troubles psychiques à nos enfants en ne faisant pas les traitement nécessaires, cela pour aider ceux qui en souffrent ?
Pour tout dire je suis plein de compassion pour les gens qui souffrent (j’en ai beaucoup aidé et j’en aide toujours) mais je crois utile de rappeler que rien n’est de ma faute. Comme il m’arrivait de rappeler doucement à certains malades qui, épuisés par leur maladie finissaient par m’engueuler, que je faisais tout ce qui était en mon pouvoir pour les soigner et les aider mais que ce n’était pas de ma faute s’ils étaient malades et qu’il n’y avait donc aucune raison de m’engueuler!
Dr Louis-Pierre Jenoudet