Publié le 10/03/2020

La tomodensitométrie (TDM) dite corps entier en fait le classique TAP (thorax abdomen pelvis) est largement utilisée en pratique courante, notamment en oncologie. Sa richesse en informations est largement sous-exploitée car le radiologue répond à juste titre à l’indication posée par le clinicien.

Les données volumétriques acquises au cours de l’exploration peuvent être traitées de manière automatique ou semi-automatique et hautement reproductible pour peu qu’elles soient confiées à des algorithmes conçus à cette fin. Une TDM abdominale excluant le thorax et le pelvis se suffit à elle-même pour générer des informations abondantes.

Cinq biomarqueurs prédictifs mesurés automatiquement

La densité minérale osseuse (DMO) ainsi mesurée permet la détection d’une ostéoporose précoce ou encore asymptomatique, mais la TDM abdominale donne accès à bien d’autres variables potentiellement utiles : calcifications musculaires, densité et masse musculaires, graisse viscérale et sous-cutanée mais aussi contenu hépatique en graisse en sont autant d’exemples.

Ces paramètres permettent-ils de stratifier le risque cardiovasculaire, voire d’évaluer le pronostic vital à long terme et de devenir ainsi des biomarqueurs cliniquement utiles ? Une étude de cohorte rétrospective apporte des éléments de réponse à cette question d’actualité, à l’ère des big data et de l’intelligence artificielle (IA).

Les outils utilisés pour mesurer les paramètres précédents ont déjà été mis au point et validés par l’équipe qui est à l’origine d’une publication en ligne du Lancet : il s’agit en l’occurrence d’algorithmes totalement automatiques auxquels l’IA a largement contribué.

Ces biomarqueurs ont été mis à profit au sein d’une cohorte composée de 9 223 sujets adultes asymptomatiques en bonne santé apparente (âge moyen 57,1 ±7,8 ans ; femmes : 56 %). Tous ces participants ont bénéficié d’une TDM abdominopelvienne entre avril 2004 et décembre 2016 dans le cadre du dépistage et de la prévention du cancer colorectal.

L’examen qui a comporté une coloscopie virtuelle a permis de mesurer automatiquement les biomarqueurs évoqués plus hauts : DMO, graisse viscérale et sous-cutanée, calcifications vasculaires, densité musculaire et contenu hépatique en graisse.

Dans les suites de ce bilan, un suivi d’une durée médiane de 8,1 années (écart interquartile [EIQ  5,1–11,6]) a permis de dénombrer les décès et les évènements cliniques majeurs incluant notamment infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral ou encore insuffisance cardiaque.

La valeur prédictive des biomarqueurs a été comparée à celle d’indicateurs cliniques, notamment l’indice de masse corporelle et le score de risque de Framingham. L’analyse des courbes de survie et une analyse par régression logistique multiple ont permis d’aboutir aux courbes ROC (receiver operating characteristic curves).

Mieux que le score de Framingham

Au cours du suivi, les évènements cliniques majeurs incluant les décès ont concerné un sujet sur cinq (n =1 831). Les cinq biomarqueurs étudiés ont tous fait preuve d’une valeur prédictive indéniable (p < 0,001) quant au risque encouru. En analyse univariée, l’AUROC à 5 (Univariate area under the ROC) pour ce qui est du risque de décès a varié selon le biomarqueur :

(1) calcifications aortiques : 0,743 (intervalle de confiance à 95 % IC95% 0,705–0,780) ;

(2) densité musculaire : 0,721 (0,683–0,759) ;

(3) rapport graisse viscérale/sous-cutanée : 0,661 (0,625–0,697) ;

(4) contenu hépatique en graisse : 0,619 (0,582–0,656) ;

(5) DMO : 0,646 (0,603–0,688).

Pour ce qui est de l’IMC et du score de risque de Framingham, les valeurs correspondantes de l’AUROC étaient respectivement de 0,499 (0,454–0,544) et de 0,688 (0,650–0,727).  Les analyses multivariées ont révélé que les biomarqueurs dérivés de la TDM étaient supérieurs aux indicateurs cliniques quant à la prédiction des évènements cliniques majeurs (p<0,05 dans la comparaison des AUROC, notamment quand ils étaient combinés entre eux.

Ainsi l’AUROC à 2 ans a été estimée à 0,811 (IC95 % : 0,761-0,860) avec la combinaison « calcifications aortiques + densité musculaire + contenu hépatique en graisse ».

La valeur pronostique de certains biomarqueurs accessibles à la tomodensitométrie abdominale couplée à des algorithmes de quantification automatique semble hautement probable. Il reste à confirmer ces résultats encourageants et à juger de leur portée en pratique médicale courante, ce qui est une autre affaire sous bien des angles, notamment celui du rapport coût-efficacité.

Dr Peter Stratford

RÉFÉRENCE: Pickhardt PJ et coll. : Automated CT biomarkers for opportunistic prediction of future cardiovascular events and mortality in an asymptomatic screening population: a retrospective cohort study. Lancet Digital Health 2020 : publication avancée en ligne le 2 mars. doi.org/10.1016/ S2589-7500(20)30061-3.

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