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Description générée automatiquement Publié le 03/07/2021

Paris, le samedi 3 juillet 2021 – Les personnes souffrant d’obésité ont été particulièrement touchées par l’épidémie de Covid, connaissant des taux de mortalité plus élevés que le reste de la population.

Ce triste état de fait a-t-il été l’occasion de mettre en lumière l’impact de la progression de cette pathologie dans nos sociétés ?

Les premières semaines de la campagne de vaccination contre la Covid ont suggéré que les tous les enseignements n’avaient pas nécessairement été tirés.

C’est ce que remarquait la présidente du Collectif national des associations d’obèses (CNIAO), Anne-Sophie Joly dans une tribune publiée dans le Journal du Dimanche fin février.

« 47 % des patients infectés entrant en réanimation sont en situation d’obésité, indépendamment de l’âge ou d’autres maladies associées.

Et l’obésité concerne 40 % des personnes décédées.

Face à ces chiffres, comment accepter le calendrier vaccinal du gouvernement qui place les personnes souffrant d’obésité en troisième étape, soit au mieux en juin, alors qu’elles devraient être prioritaires ?

Huit millions de Français attendent que l’obésité soit reconnue comme une maladie grave et invalidante, à l’origine de 19 pathologies aux conséquences lourdes, voire fatales pour certaines : diabète, hypertension artérielle, complications cardiovasculaires et désormais Covid-19.

Faut-il attendre pour agir que les chiffres de cette épidémie mondiale galopante s’aggravent, comme le laissent penser les projections ?

D’ici à 2030, une personne sur cinq sera en surcharge pondérale en France.

Dans ce contexte, nous réclamons d’urgence une stratégie décennale de lutte contre l’obésité reposant sur quatre piliers : reconnaissance, prévention, formation et prise en charge.

L’obésité doit d’abord être reconnue par la France comme une maladie chronique, ainsi que l’OMS et plus récemment l’Italie ou l’Allemagne l’ont fait.

C’est la condition indispensable à une meilleure prise en charge, mais aussi à l’évolution du regard de la société sur les personnes obèses vers plus de compréhension et de bienveillance » écrivait-elle.

On perçoit dans ce discours l’idée que si l’obésité était plus certainement considérée comme une maladie et non comme c’est encore trop souvent le cas comme une morphologie résultant de mauvaises habitudes, l’attention des pouvoirs publics aurait été différente.

L’obésité, ce n’est pas seulement (et pas d’abord ?) le poids

Les préconisations d’Anne-Sophie Joly soulèvent un certain nombre d’interrogations.

D’abord, si un consensus se dégage pour affirmer que l’obésité est une maladie chronique, des discussions existent en ce qui concerne la définition de cette pathologie.

En août dernier, des médecins canadiens ont rappelé l’importance que le diagnostic de l’obésité ne repose pas uniquement sur l’IMC, indicateur dont les failles ont souvent été signalées, mais également sur l’état de santé de la personne.

Ces praticiens insistaient en effet sur le fait que la focalisation sur le poids par un certain nombre de professionnels de santé est à l’origine de discriminations médicales fréquentes.

Une distinction indispensable mais ardue

Ainsi, si la présence d’un surpoids doit inciter le professionnel à rechercher l’existence de comorbidités, elle ne doit pas être « en soi » la cible de l’intervention médicale, à coup notamment d’injonctions péremptoires à maigrir.

Toute la complexité de la prise en charge de l’obésité et au-delà du regard de notre société réside dans cette différence qu’il faut parvenir à faire entre les personnes et leur silhouette d’une part et leur maladie potentielle d’autre part.

Si l’établissement de cette distinction est ardu c’est parce qu’il doit éviter toute position excessive.

L’enjeu est lié au fait que l’obésité n’est pas uniquement une construction sociale, reposant sur notre perception commune du corps prétendument normal.

Cependant, à l’inverse nier le rôle joué par les stigmatisations et par les images stéréotypées intériorisées par la société empêche de comprendre un certain nombre d’échecs en matière de prévention et de prise en charge.

Même si big is beautiful, inciter à perdre du poids

Voir uniquement dans l’interrogation sur l’obésité la conséquence de nos sociétés obnubilées par la minceur peut conduire à nier que l’obésité soit une maladie grave qui doit être prévenue et prise en charge.

C’est ce que rappellent dans une tribune publiée sur le site The Conversation, Louis Lebredonchel, doctorant en sociologie (Université de Caen Normandie) et le chercheur Anthony Fardet (Unité de Nutrition humaine, Université de Clermont-Auvergne, Inrae).

Evoquant en introduction « l’émergence du « fat activisme », qui défend une image plus positive des personnes obèses » ou relevant encore que « Le terme « grossophobie » est de plus en plus présent au sein de nos conversations » ils relatent :

« À l’université de Wisconsin-La Crosse, la sociologue Laurie Cooper Stoll défend ainsi le concept de « fat positive », qui prône l’intériorisation de représentations positives de la corpulence par l’éducation (en mettant sur un pied d’égalité l’esthétique des corps minces et gros) pour lutter contre la stigmatisation des obèses.

S’il s’agit d’encourager les personnes « grosses » à apprécier leur corps, l’objectif est aussi de faire œuvre de prosélytisme, en insistant sur le fait que les représentations de la beauté dépendent de variants culturels.

Dès lors, la lutte contre l’obésité peut très vite être considérée comme du « fat shaming », autrement dit l’humiliation des personnes jugées grosses.

Même si l’intention initiale n’est pas de les stigmatiser, on identifie leur corpulence à une pathologie, on les range dans une catégorie (« obèse ») contre laquelle il s’agit de « lutter ».

Le « fat activism » pose ainsi la question du droit pour les personnes jugées « grosses » de ne plus être vues comme des cas pathologiques, des personnes « mal portantes » ou malades » » développent les deux auteurs qui décrivent très bien l’équilibre instable de cette frontière entre déconstruction des stéréotypes sur le corps et prévention d’une maladie grave.

Ils plaident, afin de résoudre cette équation, pour l’adoption d’un « regard plus nuancé sur l’obésité, afin d’adopter une position consciente et réconciliatrice vis-à-vis de ces deux types d’approche », l’approche médicale et l’approche sociétale luttant contre discriminations et brimades.

Aussi, faire de l’obésité une maladie peut sans doute améliorer le regard de la communauté médicale mais n’est pas suffisant pour faire comprendre à la société la complexité du sujet.

Prévention : l’équation impossible

Ces réflexions interrogent sur la prévention.

Elle doit trouver un modèle qui permette tout à la fois d’alerter sur les risques liés au surpoids et d’éviter toute déconsidération des personnes obèses.

Elle doit insister sur le rôle indéniable de nos habitudes alimentaires sur l’augmentation du risque d’un grand nombre de pathologies chroniques (dont l’obésité) tout en n’occultant pas que l’obésité est loin de n’être que le résultat d’une alimentation anarchique et qu’elle est multifactorielle (faisant intervenir la santé mentale, la génétique, les désordres hormonaux…).

L’enjeu est l’efficacité de ces messages de prévention : il a en effet été démontré que les messages stigmatisants non seulement échouaient à améliorer les comportements alimentaires mais contribuaient même à les aggraver.

A l’origine de nombreuses enquêtes sur ces sujets, Rebecca Puhl, psychologue au Rudd Center for Food Policy & Obesity de l’Université du Connecticut assure ainsi « la stigmatisation des obèses n’est pas un outil de santé publique bénéfique pour lutter contre l’obésité.

Au contraire, (elle) menace la santé, en générant des disparités en matière de santé et en interférant avec les efforts d’intervention efficaces contre l’obésité ».

Dans une présentation de ses travaux publiée sur la version franco-canadienne de The Conversation, elle détaillait : « Contrairement à la croyance populaire, la stigmatisation liée au poids ne motive pas les gens à maigrir. Au contraire, elle mine leur santé et affecte leur qualité de vie.

Les effets néfastes de la stigmatisation liée au poids sont incontestables et durables.

Ils vont de la détresse émotionnelle (symptômes dépressifs, anxiété, faible estime de soi) aux troubles de l’alimentation, aux comportements alimentaires malsains, à la diminution de l’activité physique, à la prise de poids, à l’augmentation du stress physiologique et à l’évitement des soins de santé. (…)

Dans notre plus récente étude, nous avons comparé les expériences vécues de stigmatisation liée au poids dans six pays : Australie, Canada, France, Allemagne, Grande-Bretagne et États-Unis. (…) 

Les préjugés auxquels les personnes font face en raison de leur poids ou de leur corpulence se sont révélés remarquablement similaires dans les six pays, plus de la moitié des participants à l’étude (58 % en moyenne) ayant été victimes de stigmatisation liée au poids. (…)

Nombreux sont les participants ayant intégré ces expériences stigmatisantes dans l’image qu’ils ont d’eux-mêmes.

Dans ce processus d’internalisation des préjugés liés au poids, ils s’appliquent à eux-mêmes des stéréotypes sociétaux négatifs.

Ils se blâment pour leur poids, se considèrent comme inférieurs et méritant la réprobation de la société.

Nos recherches antérieures nous ont appris que l’intériorisation des préjugés liés au poids a des conséquences néfastes sur la santé, et ce fut également le cas avec cette nouvelle étude.

Dans les six pays étudiés, plus les personnes intériorisaient les préjugés liés au poids, plus elles prenaient du poids au cours de l’année précédente, utilisaient la nourriture pour gérer le stress, évitaient d’aller à la salle de sport, avaient une image corporelle malsaine et se déclaraient plus stressées. (…)

Grâce à cette perspective internationale unique, notre étude révèle que la stigmatisation liée au poids est vécue à grande échelle, souvent intériorisée et liée à une mauvaise santé et à des soins de santé médiocres chez les personnes qui tentent de surveiller leur poids ».

La violence de la société vs la violence des traitements

L’influence perverse de cette discrimination des personnes obèses pourrait être une des raisons de la part importante des interventions de chirurgie bariatrique demandées et réalisées en dehors des indications (29 % des interventions de chirurgie bariatrique en France seraient réalisées chez des patients n’entrant pas dans les critères).

C’est en tout cas ce que suggérait il y a quelques mois la blogueuse Corps Cools qui se présente comme « Fat activiste » dans un post publié sur le site Vice :

« Dans les faits, les chiffres sont violents.

La mortalité liée à l’intervention est estimé entre 0,1 % et 2 % ; 38 % des patient·es sont en échec thérapeutique cinq ans après l’opération (…)

Dans les faits, la plupart des patient·es sont mal renseignées avant l’opération et abandonnées ensuite. 12 % ne sont même plus suivi·es un an après leur chirurgie et la Haute autorité de santé qualifie de mauvais le suivi de 38 % des patient·es dès les cinq premières années après l’opération (…)

Dans les faits, et malgré tout ce qu’on vient de lister, il y a des soignant·es qui promeuvent et proposent à tout va ces opérations comme la seule issue miraculeuse.

Parfois sans nous connaître depuis plus de 10 minutes.

Parfois alors qu’ils ou elles sont notre dermatologue ou notre dentiste.

Dans les faits, ce qui est évident pour les médecins mais qu’on ne dit jamais assez clairement aux patient·es, c’est que cette notion de « bénéfices/risques », veut littéralement dire : à quel moment ça peut valoir le coup de prendre le risque de mourir pour faire cette opération ?

Ni plus, ni moins.

Et si je trouve étrange de prendre le risque de mourir tout de suite pour éviter de peut-être mourir un jour, j’ai surtout l’intime conviction que, dans une société qui ne ferait pas croire aux gros·ses qu’ils et elles ne valent rien, beaucoup moins seraient prêt·es à mettre leur vie et leur santé mentale en danger pour un corps mince. 

Parce que, j’en suis sûre, il n’est presque pas question de santé dans tout ça : aujourd’hui la lucrative chirurgie bariatrique est une chirurgie esthétique qui capitalise sur la violence que vivent les gros·ses et leur espoir d’une vie plus douce.

Et encouragée par un monde qui nous déteste, elle ne raconte qu’une chose : les gros·ses on les préfère mort·es que gros·ses », conclut-elle.

Sans nuance.

Si l’on oublie une certaine forme de radicalité (assumée), ce texte nous permet d’abord de mesurer le fléau de la stigmatisation des personnes en surpoids, dont la violence est telle qu’elle peut amener jusqu’au refus de certaines thérapeutiques, assimilées, peut-être en raison de leurs excès, à une nouvelle violence.

Par ailleurs, derrière ce réquisitoire on devine également non pas seulement la critique de la société, mais également de la communauté médicale.

Or, sur ce point, les alertes sont également nombreuses sur la nécessité d’une meilleure formation des professionnels de santé.

Anne-Sophie Joly insiste ainsi : « Enfin, c’est en bénéficiant d’une formation dédiée que les professionnels de santé seront en mesure d’accompagner les patients au plus près de leurs besoins.

A cet effet, les étudiants en médecine devraient avoir la possibilité de choisir une spécialité en obésité ».

Ainsi, on le voit, la « question » de l’obésité et de ce que l’on appelle la grossophobie est loin d’être uniquement une guerre de représentation ou de perception c’est un sujet de santé publique où la réflexion sur la stigmatisation est tout autant centrale que celle sur l’efficacité des traitements.

Sans elle, notamment, aucune prévention réellement efficace ne pourra être mise en place, aucun accompagnement des malades ne pourra être proposé sereinement, alors que, l’épidémie de Covid l’a rappelé, il s’agit d’une des maladies chroniques les plus fréquentes et les plus graves aujourd’hui.

On pourra relire :

Anne-Sophie Joly

Louis Lebredonchel, doctorant en sociologie (Université de Caen Normandie) et le chercheur Anthony Fardet (Unité de Nutrition humaine, Université de Clermont-Auvergne, Inrae)

Corps Cools


Rebecca Puhl

Aurélie Haroche

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