Publié le 20/01/2021
Paris, le mercredi 20 janvier 2021 – En juin dernier, la Cour de cassation saisissait le Conseil Constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité à propos des dispositions concernant les mesures d’isolement et de contention dans le cadre d’une hospitalisation sans consentement.
La contention interdite aux urgences et en gériatrie ?
Dans sa décision du 19 juin 2020, le Conseil constitutionnel avait jugé que « l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, est contraire à la Constitution » entraînant l’abrogation du texte.
En effet il « ne prévoyait, en réalité, qu’un contour législatif brumeux laissant la Haute Autorité de santé aux manettes de recommandations médicales certes pertinentes mais qui ne s’inscrivaient pas dans le code de la santé publique et, surtout, sans recours systématique au juge pour leur mainlevée » souligne le site d’actualité de l’éditeur Dalloz.
Dans ce contexte, le législateur a préparé une nouvelle loi le 14 décembre dernier qui est entrée en vigueur le 1er janvier.
Ce texte commence étrangement puisqu’il dispose dans son premier article :
« L’isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours et ne peuvent concerner que des patients en hospitalisation complète sans consentement.
Il ne peut y être procédé que pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision motivée d’un psychiatre et uniquement de manière adaptée, nécessaire et proportionnée au risque après évaluation du patient.
Leur mise en œuvre doit faire l’objet d’une surveillance stricte, somatique et psychiatrique, confiée par l’établissement à des professionnels de santé désignés à cette fin et tracée dans le dossier médical ».
Cette formulation pourrait sous-entendre que la contention n’est plus possible hors de la psychiatrie, notamment aux urgences et en gériatrie où elle est pourtant fréquente et souvent nécessaire.
Pas plus de 48 heures d’isolement et 24 heures de contention sans en référer à un juge
En tout état de cause, ce nouveau texte donne un rôle central au juge des libertés et de la détention (JLD) pour les mesures d’isolement et de contention et suit très exactement les recommandations du Conseil constitutionnel.
Concernant la durée de ces mesures, le texte prévoit une limite différente pour l’isolement et pour la contention.
En ce qui concerne l’isolement, la loi prévoit une durée maximale de « douze heures » renouvelable jusqu’à atteindre quarante-huit heures.
En ce qui concerne la contention, la mesure ne peut intervenir que pour une durée de six heures renouvelables jusqu’à atteindre vingt-quatre heures.
Notons que ces dispositions législatives définissent comme « nouvelle » une mesure d’isolement ou de contention quand elle intervient quarante-huit heures après une précédente et fixe un cumul maximum de quarante-huit heures pour l’isolement et vingt-quatre heures pour la contention dans un délai de quinze jours.
Au-delà le JLD devra être informé et aura 24 heures pour se prononcer sur la prolongation de ces mesures, éventuellement après l’audition du patient.
Une réforme juste…impossible à mettre en œuvre ?
Si, on ne peut a priori que l’approuver puisqu’elle renforce les droits des patients atteints de maladie mentale*, sur le terrain cette nouvelle réglementation semble, à l’heure actuelle, impossible à mettre en œuvre.
Un psychiatre hospitalier correspondant du JIM explique ainsi :
« Si on veut appliquer pleinement la loi, il faut réévaluer le patient toutes les six heures,
Il faut donc travailler la nuit.
Or des médecins d’astreinte ou de garde : cela coûte cher à l’hôpital.
Et ce n’est pas avec les 15 millions promis par Olivier Véran que la psychiatrie pourra les financer !
D’autant que les internes ne pourront pas prescrire isolement et contention hors situation d’urgence.
L’idée est de dire qu’il faut limiter au maximum la contention et l’isolement.
Pour cela, c’est simple, il faut plus de soignants et pas 1 pour 10 comme on le voit très souvent dans nos services, y compris dans les établissements hospitalo-universitaires.
Aussi, dans ce contexte de pénurie, quand un patient est très agité, nous n’avons pas d’autres choix que de l’attacher et éventuellement de l’isoler, sauf à dire qu’il faut augmenter les doses de sédatifs que nous administrons, ce qui finira par transformer nos services en unité de réanimation !
Comme nous n’allons évidemment pas nous diriger vers cela, en attachant moins, sans augmenter le nombre de soignants et en restant raisonnable sur la sédation, c’est simple : soit nos équipes vont prendre des coups, soit les patients vont se blesser.
En pratique, la plupart des services ne peuvent que reporter l’application de la loi, avec le risque d’avoir des poursuites judiciaires d’association ou de patients dans un avenir proche.
Enfin, il faudrait rappeler aux législateurs et au gouvernement : la contention, on ne la met pas en oeuvre de gaité de cœur et cela ne devrait pas exister dans un monde idéal.
Mais en y réfléchissant on peut dire ça de tous les soins, car la contention peut être considérée comme un soin à part entière et pas une punition, je pense que les cancérologues aussi aimeraient qu’il y ait moins de chimiothérapie, mais quand c’est nécessaire, ils doivent s’y résoudre !
En dernière instance, je note qu’un psychiatre en unité fermée devra quasiment passer sa journée à renouveler ses ordonnances de contention et d’isolement, le temps de clinique sera donc, sans doute, singulièrement réduit ».
Un nouveau stigmate du « mépris » pour la psychiatrie ?
Aussi, dans ce contexte, l’Intersyndicale de la défense de la psychiatrie publique (IDEPP), le Syndicat des psychiatres d’exercice public (SPEP) et le Syndicat des psychiatres des hôpitaux (SPH) alertent, dans un communiqué commun, sur la « très grande désorganisation et une confusion sans précédent » qu’entrainent l’entrée en vigueur de ces nouvelles modalités.
Les syndicats déplorent « l’absence totale d’encadrement de la mise en œuvre de cette loi », avec pour conséquence, « de graves désordres institutionnels »
« Où sont les moyens annoncés (personnels, financement) pour accompagner à la hauteur de l’enjeu, ce nouveau choc institutionnel ? Où se situent la qualité des soins et la sécurité des usagers quand on nous demande d’appliquer de nouvelles mesures pourvoyeuses d’une multitude de documents obligatoires selon un rythme déconnecté de la réalité ? », s’interrogent-ils encore.
Ils regrettent en outre le manque de concertation préalable avec les organisations syndicales et pointent le « mépris du gouvernement » pour leur spécialité.
« L’application de cette loi dans des conditions non préparées risque d’avoir des conséquences graves et sans précédent tant sur le plan médico-légal qu’organisationnel et qui seront extrêmement dommageables pour les patients, leurs proches et les professionnels dans leur ensemble », concluent-ils.
Aussi, pour l’heure, les psychiatres sont dans l’attente du décret pris en Conseil d’État qui doit venir préciser « les conditions d’application » du texte.
* nonobstant certains relents d’antipsychiatrie des soutiens de la réforme…
F.H.
Copyright © http://www.jim.fr