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Vincent Richeux – AUTEURS ET DÉCLARATIONS – 20 septembre 2022
Barcelone, Espagne — Les Sociétés européennes de cardiologie (ESC) et de pneumologie (ERS) ont actualisé leurs recommandations sur le diagnostic et le traitement de l’hypertension pulmonaire (HTP).
Sept ans après la dernière version, elles apportent des nouveautés dans la définition hémodynamique, l’approche diagnostique, l’évaluation du risque et la stratégie thérapeutique.
L’angioplastie devient aussi un traitement de choix dans l’hypertension pulmonaire thrombo-embolique chronique.
Les recommandations ont été présentés lors du congrès de l’ESC 2022 et publiées simultanément dans l’European Heart Journal et l’European Respiratory Journal [1,2 .
Elles ont également été présentées un peu plus tard au congrès de l’ERS 2022.
« Ces recommandations apportent tout d’abord une modification de la définition hémodynamique de l’hypertension pulmonaire, ce qui représente un changement majeur en pratique clinique.
En abaissant les seuils de la pression artérielle pulmonaire et des résistances vasculaires pulmonaires, elles identifient une nouvelle population de patients à risque présentant une hypertension pulmonaire débutante », a commenté auprès de Medscape édition française, le Pr David Montani (Service de pneumologie et soins intensifs thoraciques, Centre de référence de l’hypertension pulmonaire, Hôpital de Bicêtre, AP-HP, Le Kremlin-Bicêtre).
Alors que le diagnostic de l’HTP arrive souvent tard, parfois plus de deux ans après l’apparition des premiers symptômes, cette nouvelle définition devrait favoriser un diagnostic plus précoce.
Diagnostic de nouveaux patients
Le diagnostic de l’HTP nécessite la réalisation d’un cathétérisme cardiaque droit permettant de mesurer la pression artérielle pulmonaire (PAP) moyenne, la PAP d’occlusion et le calcul des résistances valvulaires pulmonaires (RVP).
L’HTP est désormais définie par une élévation de la PAP moyenne > 20 mmHg (contre ≥ 25 mmHg dans les précédentes recommandations). On distingue:
- Les HTP pré-capillaires: PAP d’occlusion ≤ 15 mmHg et résistances vasculaires pulmonaires RVP > 2 UW
- Les HTP post-capillaires: PAP d’occlusion > 15 mmHg et RVP ≤ 2 UW (forme post-capillaire isolée) ou RVP> 2 UW (forme combinée pré et post-capillaire).
Le seuil des résistances vasculaires était auparavant fixé à 3 UW.
Alors que le diagnostic de l’http arrive souvent tard, cette nouvelle définition devrait favoriser un diagnostic plus précoce.
Pour rappel, les valeurs normales de PAP moyenne sont comprises entre 10 et 14 mmHg, tandis que la résistance vasculaire est de l’ordre de 1 UW.
Cette nouvelle définition fait suite notamment à des cohortes rétrospectives suggérant que les patients avec des seuils intermédiaires (PAP moyenne entre 21 et 24 et RVP entre 2 et 3 UW) « ont déjà une maladie vasculaire pulmonaire impactant leur pronostic », indique le pneumologue.
« Dans le cas de l’hypertension pulmonaire thrombo-embolique chronique, des données ont montré que des patients ont déjà des lésions vasculaires pulmonaires entre 2 et 3 UW.
Des études ont aussi montré que des patients atteints de sclérodermie avec une pression pulmonaire entre 21 et 24 mmHg développent une hypertension pulmonaire [selon l’ancienne définition basée sur le seuil des 25 mmHg] dans les années qui suivent. »
Ce changement de définition « va permettre de diagnostiquer plus tôt » une hypertension pulmonaire chez des patients à risque.
Néanmoins, l’absence de données sur l’efficacité des traitements à ce niveau d’HTP ne permet pas d’avoir de recommandations sur la stratégie thérapeutique à mettre en place, souligne le Pr Montani.
« Un suivi rapproché est donc conseillé » en cas d’HTP sous les anciens seuils, « sans donner systématiquement de traitement ».
Les recommandations précisent que l’identification de cette nouvelle population de patients avec une HTP légère implique désormais de mener des travaux de recherche « pour mieux connaitre l’évolution naturelle de ces patients, évaluer l’impact des traitements à ce stade précoce de la maladie et déterminer si la stratégie de dépistage est adaptée », ajoute le spécialiste.
« Utilisé en cas de suspicion d’HTP minime, l’échographie cardiaque peut parfois être prise à défaut chez ces patients. L’intérêt d’autres examens, comme les épreuves d’effort cardio-pulmonaires ou l’IRM, nécessiteraient d’être évalués dans cette population particulière ».
Algorithme de diagnostic simplifié
Dans cette nouvelle version des recommandations, la démarche diagnostique a d’ailleurs été simplifiée.
Des résultats suspects à l’examen clinique doivent amener à réaliser une échographie cardiaque transthoracique de repos pour déterminer une probabilité d’HTP.
Une probabilité intermédiaire ou haute doit faire orienter le patient vers un centre de référence de l’HTP pour confirmer le diagnostic par la réalisation d’un par cathétérisme cardiaque droit.
La mesure de la vitesse maximale du flux d’insuffisance tricuspide par échographie cardiaque transthoracique reste la pierre angulaire du dépistage de l’HTP. Cette mesure doit être interprétée en fonction des autres signes échographiques évocateurs d’HTP.
Deux nouveaux signes ont été ajoutés: le rapport TAPSE/PAPs< 0,55 mm/mm Hg et un diamètre de l’artère pulmonaire supérieur au diamètre de l’aorte.
Concernant les patients à haut risque, des précisions dans le dépistage ont été apportées.
Il doit être renforcé chez les patients asymptomatiques à haut risque (sclérodermie, apparentés porteurs de mutations dans les gènes de prédisposition de l’HTP, transplantation hépatique…) et en cas d’apparition d’une dyspnée après un épisode d’embolie pulmonaire.
Stratification du risque de décès affinée
Si une hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) est avérée, le pronostic, la stratégie thérapeutique ainsi que le suivi sont déterminés par la stratification du risque à trois niveaux: bas risque (risque de décès à un an <5%), risque intermédiaire (entre 5 et 20%) et haut risque (>20%).
Le risque est à évaluer à partir de différents paramètres exposés dans le document (présence de signes cliniques d’insuffisance cardiaque, classe fonctionnelle NYHA de la dyspnée, test de marche de 6 minutes, paramètres hémodynamiques, échographie cardiaque, BNP/NT-proBNP, …).
« Cette évaluation s’est affinée dans ces nouvelles recommandations », précise le Pr Montani.
En ce qui concerne la prise en charge thérapeutique, les recommandations distinguent désormais les patients avec et sans comorbidités cardiopulmonaires. En l’absence de comorbidités, il est recommandé de traiter les patients à risque faible ou intermédiaire par une bithérapie associant un inhibiteur de la phosphodistérase 5 (iPDE5) et un antagoniste des récepteurs de l’endothéline (Classe IA). Les patients à haut risque doivent recevoir en plus un analogue des prostacyclines.
Chez les patients avec plusieurs comorbidités cardio-pulmonaires, une monothérapie est proposée en première intention en y associant un suivi rapproché. (Classe IIa).
En ce qui concerne la prise en charge thérapeutique, les recommandations distinguent désormais les patients avec et sans comorbidités cardiopulmonaires.
Dans le cadre du suivi, une autre stratification du risque incluant des paramètres « non-invasifs » peut être utilisée lors de l’évaluation.
Elle distingue quant à elle quatre niveaux (bas risque, risque intermédiaire bas, risque intermédiaire haut et haut risque) et s’appuie uniquement sur la classification fonctionnelle NYHA, le test de marche de 6 minutes et le dosage de BNP/NT-proBNP.
« Auparavant, lors du suivi, l’évaluation des patients conduisait souvent à la réalisation d’un cathétérisme cardiaque droit.
Avec cette approche basée sur des critères simples, on peut s’attendre à un recours moins systématique au cathétérisme, en particulier pour les patients à bas risque », souligne le Pr Montani.
S’agissant de l’hypertension pulmonaire post-capillaire, des spécificités dans la prise en charge sont rappelées.
Les recommandations préconisent d’évaluer la probabilité d’HTP post-capillaire avant de réaliser un cathétérisme cardiaque droit, selon différents critères.
Par exemple, un âge > 70 ans, la présence d’une fibrillation auriculaire existante ou une dilatation des cavités droites sont des signes prédictifs.
Par ailleurs, en présence d’une cardiopathie cardiaque gauche, il est recommandé d’optimiser le traitement de la cardiopathie avant d’envisager le diagnostic d’une HTP (Classe I,A).
Approche multimodale dans l’HTP thrombo-embolique
Pour ce qui est de l’hypertension pulmonaire thrombo-embolique chronique, un nouvel algorithme diagnostique est proposé.
En cas de suspicion, celui-ci s’appuie sur l’échographie cardiaque et une imagerie de perfusion (en particulier la scintigraphie) avant d’orienter le patient vers un centre de référence pour une confirmation diagnostique par cathétérisme cardiaque droit.
« La prise en charge de l’hypertension pulmonaire thrombo-embolique chronique a beaucoup évolué ces dernières années », précise le Pr Montani.
Trois approches thérapeutiques sont désormais disponibles.
Au traitement standard par chirurgie (thombo-endartériectomie pulmonaire) se sont ajoutés le traitement médical ciblant la dysfonction endothéliale et l’angioplastie pulmonaire par ballon, qui peuvent être combinés selon le profil des patients.
Les recommandations rappellent l’indication d’un traitement anticoagulant à vie.
Chez les patients opérables, notamment en cas d’obstruction proximale des artères, la thrombo-endartériectomie pulmonaire (désobstruction du matériel fibreux occluant les artères pulmonaires par endartériectomie) reste le traitement de référence (Classe I).
« Il s’agit toutefois d’une opération lourde qui implique un arrêt circulatoire ».
En France, seul l’hôpital privé Marie Lannelongue, situé près de Paris, propose cette chirurgie extrêmement spécialisée.
Si le matériel obstruant les artères pulmonaires n’est pas accessible à la chirurgie, il est désormais possible de traiter par angioplastie pulmonaire (sans pose de stent) qui peut être associée à un traitement médical.
« Avant le développement de l’angioplastie, les options thérapeutiques étaient limitées pour ces patients », précise le pneumologue.
« L’approche est désormais multimodale et peut combiner les trois thérapies, mais elle implique une concertation pluridisciplinaire dans un centre expert, avec la participation de spécialistes de cette chirurgie thoracique, de l’angioplastie pulmonaire et de la prise en charge médicale de l’hypertension pulmonaire.
La meilleure stratégie thérapeutique doit être décidée au cas par cas selon le profil du malade ».
Avant le développement de l’angioplastie, les options thérapeutiques étaient limitées pour ces patients.
Pr David Montani
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Références
- Delacroix M, Rosenkranz S, 2022 ESC Guidelines on pulmonary hypertension, ESC 2022, présentation du 26 août 2022, Barcelone, Espagne.
- Humbert M, Kovacs G, Hoeper M, 2022 ESC/ERS Guidelines for the diagnosis and treatment of pulmonary hypertension: Developed by the task force for the diagnosis and treatment of pulmonary hypertension of the European Society of Cardiology (ESC) and the European Respiratory Society (ERS). Endorsed by the International Society for Heart and Lung Transplantation (ISHLT) and the European Reference Network on rare respiratory diseases (ERN-LUNG), European Heart Journal, publication en ligne du 26 août 2022.
Crédit de Une : Dreamstime
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Citer cet article: Nouvelles recommandations européennes sur la prise en charge de l’hypertension pulmonaire – Medscape – 20 sept 2022.