mardi 6 octobre 2020
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Vincent Richeux 6 octobre 2020
Virtuel — Les nouvelles recommandations européennes sur la pratique d’une activité sportive chez les patients atteints de pathologies cardiovasculaires ont été présentées lors du congrès virtuel de la Société européenne de cardiologie (ESC) 2020[1,2].
Dans cette partie sont présentées les directives concernant les cinq arythmies les plus fréquentes et les porteurs de dispositifs cardiaques implantables. Avec les commentaires du Dr Stéphane Doutreleau, cardiologue du sport au CHU de Grenoble-Alpes.
Les dernières recommandations principales de l’ESC en cardiologie du sport dataient de 2005, auxquelles se sont rajoutées deux annexes à partir de 2018. Publiée dans European Heart Journal, cette actualisation concerne à la fois la pratique sportive en compétition et le sport de loisirs.
« Ces recommandations sont dans l’ensemble encore marquées par le manque de données en cardiologie du sport, entre autres dans les troubles du rythme. Il s’agit souvent d’avis d’experts plus que de recommandations basées sur des preuves. En cela, elles restent assez restrictives et parfois éloignées des réalités de la pratique », a commenté le Dr Doutreleau, auprès de Medscape édition française.
Le cardiologue évoque notamment des différences d’interprétation sur certains critères morphologiques à l’échographie ou des exigences sur la fréquence des bilans complets, alors que ceux-ci ne sont pas toujours justifiés et que la multiplication des consultations peut s’avérer inutile. « C’est au cardiologue d’évaluer au cas par cas », estime-t-il.
Davantage de décisions partagées
Dans ces nouvelles recommandations, on peut souligner une incitation plus nette à impliquer le patient dans la prise de décision.
C’est ce qu’a notamment rappelé le Dr Hein Heidbuchel (Antwerp University, Antwerp, Belgique), lors de sa présentation virtuelle consacrée à la pratique du sport en cas d’arythmies. « Beaucoup d’aspects ne sont pas encore bien connus dans ce domaine. La décision doit donc être prise en concertation avec le patient ».
« Prendre l’avis du patient en considération est assez nouveau. Cet aspect était déjà présent dans les deux annexes des dernières recommandations, mais il se retrouve ici davantage renforcé. C’est un point important au moment d’émettre un certificat médical de non-contre-indication, compte tenu du risque lié à la pratique sportive chez ces patients. La décision doit être partagée », a souligné le Dr Doutreleau.
Pour guider le praticien, le Dr Heidbuchel a également rappelé les trois questions fondamentales qu’il est nécessaire de se poser face à un patient atteint d’arythmies désirant pratiquer un sport: « le risque d’arythmie potentiellement mortelle est-il accru par l’activité? Les symptômes peuvent-ils limiter la pratique sportive? Quel est l’impact de l’activité sur l’évolution naturelle de la maladie? »
Voici les principales recommandations pour les cinq arythmies les plus fréquemment rencontrées.
Fibrillation atriale
« Dans le cas de la fibrillation atriale (FA), pas de changement concernant la prévention par le sport. On insiste bien sur les bénéfices de l’activité physique régulière et modérée sur l’apparition du trouble, tout en rappelant qu’elle peut aussi, à l’inverse, être un facteur favorisant en cas de pratiques intensives. Des nouveautés toutefois avec le traitement par ablation qui pourrait devenir plus systématique », a commenté le Dr Doutreleau.
Selon les experts, la pratique d’une activité physique régulière et modérée est recommandée pour prévenir le développement d’une FA, la plus commune des arythmies (recommandation de niveau IA). Les patients atteints d’une FA sont donc encouragés à faire de l’exercice, après avoir recherché et éliminé des causes éventuelles (anomalie structurelle du cœur, dysfonction thyroïdienne, abus d’alcool, usage de stupéfiant…) (IA).
Chez les hommes atteints de FA, la pratique intensive et répétée d’un sport d’endurance peut induire des arythmies plus fréquentes, en particulier après 50 ans. Il est donc recommandé de les informer de ce risque (IB). Cette association n’a pas été observée chez les femmes.
L’ablation de la FA est recommandée chez les patients présentant des symptômes récurrents et/ou chez ceux qui ne souhaitent pas prendre un traitement médicamenteux en raison de son impact sur les performances sportives (IB). En cas de sport intensif, une ablation de l’isthme cavo-tricuspidien doit également être envisagée en prévention du flutter atrial (IIA) chez ceux prenant des médicaments antiarythmiques de classe I.
Selon le Dr Doutreleau, « la plupart des sportifs constatent que les antiarythmiques ont un impact sur les performances. Ces recommandations sous-entendent qu’il faut aller davantage vers une approche thérapeutique plus radicale, plus systématique. Or, une ablation n’est évidemment pas sans risque et, dans mon expérience, elle a un impact non négligeable sur le contrôle de la fréquence cardiaque, qui peut également se ressentir et dont les sportifs se plaignent par la suite ».
« Les recommandations restent toutefois assez floues sur les indications de l’ablation. Faut-il, par exemple, attendre une récidive avant d’envisager l’opération? Par ailleurs, les préconisations sur l’ablation de l’isthme cavo-tricuspidien alors que le patient est déjà sous traitement médicamenteux, ce qui est une nouveauté, me semblent surprenantes.»
En l’absence de récidive, l’activité sportive peut reprendre un mois après l’ablation, « un délai qui apparait plus court que ce qui était préconisé auparavant ». Il reste toutefois à savoir si la poursuite d’une activité physique est un facteur de risque de progression de l’arythmie. Par conséquent, il n’y a pas d’indication sur un niveau d’activité physique sans risque après ablation, précisent les experts.
Il est déconseillé de prendre un antiarythmique de classe I en monothérapie pendant un exercice physique intense (IIIC) en raison du risque de flutter. En cas de prise de flécaïnide ou de propafénone, la pratique d’un sport à un niveau intensif n’est pas recommandée avant deux jours minimum (demi-vie moyenne de ces médicaments) (IIIA).
Chez les patients atteints de FA et mis sous anticoagulant, il est déconseillé de pratiquer un sport avec contact corporel ou à risque de traumatisme (IIIA).
Tachycardie supraventriculaire paroxystique et syndrome de Wolf Parkinson White
« Les recommandations sur la tachycardie sont désormais bien établies. Il est aisé de détecter une pré-excitation sur l’ECG de repos, qui constitue un facteur de risque majeur et implique une exploration, avant une éventuelle ablation. Il y a toutefois une nouveauté dans ces recommandations: le traitement invasif n’est pas recommandé chez l’enfant de moins de 12 ans », a commenté le Dr Doutreleau.
Le syndrome de Wolf Parkinson White est un trouble secondaire à une pré-excitation. Lorsqu’elle est associée à une pré-excitation ou à une malformation cardiaque, la tachycardie supraventriculaire paroxystique (TPSV) peut induire une mort subite pendant l’effort. Dans le cas contraire, elle ne représente pas de danger, même si elle peut entrainer un étourdissement ou un épuisement.
Chez les individus présentant des palpitations, il est donc nécessaire d’exclure une éventuelle pré-excitation latente ou une malformation avant d’envisager la pratique d’un sport (IB). En l’absence de ces deux facteurs de risque, tout type de sport, même de haut niveau, est recommandé chez les patients atteints de TPSV (IC).
En cas de TPSV avérée sans pré-excitation, il est préconisé d’informer les individus souhaitant pratiquer un sport sur la manière d’effectuer, en toute sécurité, des manœuvres vagales (massage sino-carotidien ou, de préférence, manoeuvre de Valsava) en cas d’apparition d’une arythmie pour tenter de la stopper.
En l’absence de ces deux facteurs de risque, tout type de sport, même de haut niveau, est recommandé chez les patients atteints de TPSV (IC).
Chez des athlètes de compétition ou de loisir avec pré-excitation et arythmies documentées, un traitement curatif par ablation de la voie accessoire est recommandé (IC). Il est également préconisé d’évaluer le risque de mort subite (IB). L’ablation peut également être envisagée chez les athlètes atteints de TPSV sans pré-excitation (IIa).
Extrasystoles ventriculaires et tachycardie ventriculaire non soutenue
Concernant les recommandations sur les extrasystoles ventriculaires, « elles incitent clairement à pratiquer davantage de bilans approfondis », estime le Dr Doutreleau. « Il faut désormais une seule extrasystole ventriculaire chez un athlète de haut niveau pour déclencher une évaluation cardiaque complète, alors que c’est une situation souvent rencontrée en consultation ».
Selon les auteurs des recommandations, « les extrasystoles ventriculaires (ESVs) peuvent être révélatrices d’une maladie cardiaque sous-jacente, potentiellement de mauvais pronostic, même chez les individus asymptomatiques ». Une origine multifocale, des extrasystoles complexes ou plus fréquentes pendant l’effort doivent alerter sur une possible cardiopathie.
Il faut désormais une seule extrasystole ventriculaire chez un athlète de haut niveau pour déclencher une évaluation cardiaque complète.
« Une diminution ou une disparition des extrasystoles ventriculaires avec une activité physique croissante est caractéristique d’une arythmie ventriculaire bénigne ou idiopathique ». En revanche, l’apparition d’extrasystoles pendant l’effort « doit être considéré comme un drapeau rouge », car elles sont souvent le signe d’une maladie cardiaque.
Afin d’exclure des anomalies structurelles ou arythmogènes sous-jacentes chez les sportifs présentant 2 ESVs ou plus sur ECG de base (ou au moins une chez les sportifs d’endurance de haut niveau), il est recommandé d’effectuer une évaluation approfondie, notamment sur la fréquence, la complexité des arythmies et les antécédents familiaux (IC).
Chez les individus souffrant d’extrasystoles fréquentes et de tachycardie ventriculaire non soutenue, une évaluation approfondie est à mener avec une surveillance Holter, un ECG à 12 dérivations, un test d’effort et une imagerie appropriée (IC).
Il est recommandé d’autoriser toutes les activités sportives de compétition et de loisirs, avec une réévaluation périodique chez les personnes ne souffrant pas de maladie sous-jacente familiale ou structurelle (IC). « Une deuxième évaluation peut être nécessaire après un délai de six mois à deux ans », précisent les experts.
« Sur ce point également, il me semble difficile de renouveler un bilan après six mois seulement », souligne le Dr Doutreleau. « A mon avis, plutôt que de multiplier les examens, il faut davantage faire confiance au cardiologue, qui sait distinguer les cas les plus préoccupants nécessitant une surveillance renforcée. Mais, dans tous les cas, l’éducation du sportif aux symptômes est primordiale »
Syndrome de QT long
Au sujet du syndrome de QT long, les recommandations restent conservatrices, selon le cardiologue. « Il faut dans le QT long congénital un diagnostic génétique pour mieux appréhender les risques. Et, les recommandations insistent à nouveau sur le fait que la pose d’un défibrillateur ne peut pas être un critère pour autoriser la pratique sportive ».
Les experts précisent bien dans le document que le syndrome de QT long (LQTS) d’origine acquise est à distinguer de celui d’origine congénitale. Lorsque le syndrome est identifié, toute pratique d’activité physique est déconseillée, en attendant de déterminer le type de syndrome et rechercher les causes potentielles en cas de syndrome acquis dans l’objectif de les éliminer.
Les personnes exerçant une activité sportive alors qu’elles sont atteintes d’un LQTS, avec des symptômes antérieurs ou un QT corrigé (QTc) prolongé, doivent être sous traitement par bêtabloquant à la dose cible (IB). Les médicaments allongeant l’intervalle QT sont à proscrire (IB) (la liste est disponible sur crediblemeds.org).
La participation à des sports de compétition ou de loisirs d’intensité élevée, même sous bêtabloquant, n’est pas recommandée chez les individus ayant un QTc > 500 ms ou un LQTS d’origine génétique confirmé (QTc ≥ 470 ms chez les hommes ou ≥ 480 ms chez les femmes) (III).
La participation à des sports de compétition (avec ou sans défibrillateur) n’est pas recommandés chez les individus avec un LQTS et des antécédents d’arrêt cardiaque ou de syncope arythmique (III). Les athlètes présentant des symptômes ne doivent pas participer à des compétitions.
Une prise de décision partagée doit être envisagée concernant la participation à un sport chez des patients asymptomatiques présentant un LQTS génotype positif/phénotype négatif (QTc < 470 ms chez les hommes ou <480 ms chez les femmes). Le type et le contexte du sport (individuel ou en équipe) et le type de mutation sont à prendre en compte (IIA).
Syndrome de Brugada
Pour le syndrome de Brugada, les recommandations apparaissent, en revanche, plus libérales, estime le Dr Doutreleau. « La pathologie est désormais mieux connue. Chez les patients asymptomatiques avec un ECG typique du syndrome, une simple approche préventive est recommandée dans la pratique d’un sport ».
Maladie d’origine génétique rare, le syndrome de Brugada est dû à une anomalie de polarisation provoqué par un trouble des canaux ioniques du cœur. Il est associé à un risque élevé de fibrillation ventriculaire et de mort subite. Il se caractérise par un sus-décalage du segment ST au niveau de certaines dérivations précordiales à l’ECG.
« La plupart des individus atteints de ce syndrome sont asymptomatiques. Dans la majorité des cas, les événements apparaissent pendant le sommeil ou au repos, lors d’états fébriles ou, plus occasionnellement, lors d’un coup de chaleur ». Des mesures de prévention sont donc recommandées chez les individus asymptomatiques présentant le profil type du syndrome à l’ECG.
Chez les patients asymptomatiques avec un ECG typique du syndrome, une simple approche préventive est recommandée dans la pratique d’un sport- Dr Doutreleau
La participation à des activités sportives non associées à une augmentation de la température >39°C (lors d’une épreuve d’endurance dans des conditions extrêmement chaudes et/ou humides) peut être envisagée chez les individus asymptomatiques atteints du syndrome de Brugada, les porteurs de mutation et les athlètes asymptomatiques avec un tracé ECG inductible [IIB).
Pour le Dr Doutreleau, « il est assez étrange de poser un seuil de température corporelle à 39°C. C’est un paramètre difficile à évaluer, qui peut être facilement franchi dans la pratique sportive. Il me semble plus approprié de déconseiller les patients de faire du sport lorsque la température extérieure est élevée ».
Chez les individus présentant un syndrome de Brugada, les médicaments susceptibles d’aggraver la maladie sont à éviter (voir la liste sur brugadadrugs.org), tout comme les déséquilibres électrolytiques et les sports pouvant induire une hausse de la température corporelle ou en cas de mutation avec phénotype négatif (IIIC).
La pose d’un défibrillateur est recommandée chez les individus avec un syndrome de Brugada associé à des épisodes de syncope arythmique et/ou une mort subite avortée (IC). Après implantation, la reprise du sport de loisir ou de compétition est à envisager dans une décision partagée après trois mois sans arythmie (IIA).
Dispositif cardiaque implantable
Enfin, dans le cas de la pratique du sport avec un dispositif implantable, peu de nouveautés. « Les recommandations européennes continuent d’être plus restrictives que celles appliquées aux Etats-Unis. La pose d’un défibrillateur n’est pas une condition à la pratique d’un sport, notamment parce qu’une syncope peut survenir avant le choc électrique », a rappelé le Dr Doutreleau.
Chez les personnes ayant reçu un dispositif cardiaque implantable, avec ou sans resynchronisation, pour traiter une cardiopathie sous-jacente, il est préconisé de suivre les recommandations concernant cette pathologie sous-jacente (IB). « Il faut d’abord se demander pour quelle raison le dispositif a été implanté, pour ensuite appliquer les recommandations associées à la maladie », a commenté en fin de session virtuelle le Dr Antonio Pelliccia (Institute of Sports Medicine and Science, Rome, Italie), qui a dirigé la rédaction des recommandations.
La pose d’un défibrillateur n’est pas une condition à la pratique d’un sport- Dr Doutreleau
Ainsi, la pose d’un dispositif implantable n’est pas recommandée comme substitut aux recommandations concernant la pathologie associée lorsque celles-ci imposent des restrictions sur la pratique sportive (III).
La pratique de sports et d’exercices physiques, exceptés ceux à risque de collision, doit être envisagée chez les individus porteurs d’un pacemaker qui ne présentent pas de pathologie pouvant induire des arythmies fatales (IIA). La participation à des activités physiques très intenses est toutefois déconseillée.
La prévention de l’impact direct sur le dispositif implanté lors d’une activité physique doit être envisagée, en adaptant le site d’implantation du dispositif, en appliquant un rembourrage et en limitant les sports à impact direct (IIA).
Les enregistrements Holter et l’interrogation des dispositifs pendant et après la reprise d’une activité sportive doit être envisagée pour permettre une adaptation des paramètres de stimulation des appareils, l’exclusion de l’inhibition myopotentielle ou électromagnétique et la détection des arythmies ventriculaires (IIA).
Une prise de décision partagée avec le patient porteur d’un dispositif implantable doit être envisagée pour poursuivre un sport de compétition ou d’intensité élevée, en tenant compte de l’effet du sport sur la maladie sous-jacente, du fait qu’un effort intense peut induire des chocs électriques appropriés ou non, de l’impact psychologique de ces chocs et du risque potentiel pour les tiers (IIA).
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Citer cet article: Nouvelles recommandations européennes en cardiologie du sport: focus sur les arythmies – Medscape – 6 oct 2020.