Propos recueillis par Jane COVILLE.

Muscles, sommeil, blues… Comment les corps des skippers du Vendée Globe réagissent au retour à terre – Edition du soir Ouest-France – 13/01/2025

Après plus d’une soixantaine, voire une centaine de jours en mer, les skippers du Vendée Globe font face à de nombreux défis physiques et mentaux une fois de retour parmi les « Terriens ».

La médecin de la course Laure Jacolot nous éclaire.

Le basculement chez les « Terriens ». La médecin du Vendée Globe revient sur les défis physiques et mentaux des skippers, une fois de retour à terre, après une soixantaine, voire une centaine de jours en mer sur des bateaux « de plus en plus exigeants ». Entretien.

Laure Jacolot, les bateaux du Vendée Globe ne font qu’une trentaine de mètres maximum.

Les skippers ne marchent pas beaucoup. Y a-t-il une perte musculaire importante pour les muscles du bas du corps ?

Il y a une baisse de force musculaire évidente dont sont victimes tous les marins, justement du fait de la limitation des déplacements sur le bateau, au niveau des jambes, mais aussi des bras.

Ça nous avait pas mal étonnés, étant donné les mouvements pour régler le bateau ou pour porter des charges lourdes qui vont entretenir la masse musculaire.

C’est certainement moins le cas sur cette édition, car au niveau des bras, on observe qu’il y a eu beaucoup de manœuvres et de réglages, notamment au niveau des foils, qui ont plus sollicité les muscles du haut du corps que sur les éditions précédentes.

Pouvez-vous donner des chiffres ?

On n’a pas assez de données pertinentes. À bord, il y a beaucoup de data qui demandent une hypervigilance des marins.

S’ajoute à cela le côté anxiogène de ces bateaux, qui vont de plus en plus vite et qui entraîne aussi une dépense énergétique importante, donc une perte musculaire.

Il faut 1 000 kcal rien que pour tenir debout sur le bateau et ça, c’était déjà le cas il y a plusieurs années avant les foils.

Quels sont les muscles du corps les plus sollicités et auxquels on fait attention lorsqu’on revient à terre ?

Il y a les épaules, ce qu’on appelle la ceinture scapulaire, qui sont très sollicitées.

Le risque et la vigilance doivent aussi être portés au niveau des tendons.

Les efforts répétés peuvent entraîner, par exemple dans le Pacifique, des tendinites ou des inflammations sur des mouvements qu’on répète tous les jours.

Laure Jacolot, médecin référente des skippers du Vendée Globe 2024, ici à l’Île-Tudy, dans le Finistère, pour une séance photo. (Photo : Kevin Guyot / Ouest-France)

Pouvez-vous revenir sur ce qu’est le sommeil pour un marin à bord et puis comment, une fois à terre, celui-ci se réadapte ?

On a très peu de données sur le sommeil. Le marin prévoit, en amont, des portes d’entrées dans le sommeil (visualisations mentales pour provoquer l’endormissement).

Ils font beaucoup de micro-siestes et parfois des cycles longs, quand les conditions de mer le permettent. Néanmoins, ils seront en dette de sommeil.

À l’arrivée à terre, ils seront très sollicités par les médias pour partager cette aventure.

Or, plus on retarde la récupération, plus celle-ci est longue derrière.

Ils vont mettre plusieurs semaines, voire plusieurs mois, à retrouver un sommeil correct et se recaler sur les Terriens.

Rare sont ceux qui arrivent rapidement à retrouver un sommeil de qualité.

Malgré les efforts faits en diététique, qu’est-ce qui change pour les marins dès le retour à terre au niveau de l’alimentation ?

On n’a pas encore d’idées précises sur les dépenses énergétiques des marins. Je pense qu’on les sous-estime.

On observe que les contraintes du bateau, les conditions météo, font que par moments ils n’ont même pas pu s’alimenter avec un vrai repas.

Ils ont pris plus de collations que ce qu’ils auraient dû.

Dans le Grand Sud, il faut doubler son apport énergétique par rapport aux intempéries.

À mon avis, les conseils en termes nutritionnels ne sont pas encore adaptés à ce que demandent le bateau et les conditions de navigation.

Est-ce qu’ils reviennent immédiatement à une alimentation « terrienne » ou est-ce seulement progressivement qu’ils habituent leur corps à cette réduction de calories ?

La remontée de l’Atlantique va leur permettre de se réadapter, puisque les apports en énergie sont moindres, voire moitié moins que dans le Grand Sud, où on a des journées entre 4 000 et 5 000 kcal.

Les marins sont pleins de bon sens, ils vont écouter leurs besoins. L’alimentation est moins problématique.

Et puis même si on n’est pas chez soi, une fois arrivé, on arrive à manger ce dont on a envie.

C’est moins un problème de retrouver un rythme à terre.

Mais bien sûr, il y aura le repas « plaisir » très attendu par tous les marins dès qu’ils poseront le pied au sol.

« Le plat numéro un chez les marins est l’entrecôte-frites »

Qu’est-ce que c’est ?

Le plat numéro un chez les marins est l’entrecôte-frites. Pourquoi ?

Parce qu’ils ont utilisé beaucoup de lyophilisés où il n’y a pas beaucoup de morceaux, qui ne retranscrivent pas la mastication.

L’entrecôte-frites est aussi ce qui va les ramener à la vie terrienne, à la convivialité d’un repas partagé.

Laure Jacolot, médecin du Vendée Globe, lors d’une formation médicale des skippers engagés sur le Vendée Globe.

Ici avec Yoann Richomme et Samantha Davis sur l’atelier piqûre, au pôle de la course au large de Port-La-Forêt, dans le Morbihan. (Photo : Thierry Creux / Ouest France)

Certains marins font des contrôles médicaux une fois à terre. Que révèlent-ils d’autres ?

Les épreuves d’efforts. On va aller étudier la capacité de l’organisme à aller faire un effort en performance.

Ils auront des tests pour voir si cette vie de deux à trois mois sur un bateau a eu un impact sur l’effort.

Pour l’instant on verra, on a jamais fait des tests de ce type-là.

« Un effondrement hormonal et d’énergie »

On se doute que pendant deux mois en mer, il y a eu beaucoup de montées d’adrénaline. Une fois à terre, et celle-ci redescendue, que se passe-t-il ?

Il y a clairement une perte d’énergie et une soudaine fatigue.

On est régulé en termes d’énergie par les hormones et la compétition favorise évidemment cette sécrétion d’adrénaline.

Une fois à terre, il y a un lâcher-prise, un effondrement hormonal et d’énergie qui est normal.

En termes de récupération générale, physiquement et psychologiquement, on est à minima sur six mois voire un an, mais c’est très variable d’un individu à l’autre.

Cela correspond-il au « blues sportif » ?

Ça rentre dans ce syndrome. Le Vendée Globe, on le prépare sur quatre ans.

Les marins sont portés par leur environnement familial affectif et professionnel dans cet investissement et, du jour au lendemain, on a plus ce soutien, plus d’objectif.

Après deux mois, voire une centaine de jours, être seul(e) à bord puis très entouré soudainement provoque-t-il de l’anxiété sociale chez un marin ?

Les marins vont chercher la solitude en mer.

Se retrouver accompagné par beaucoup de monde, être très sollicité, avoir beaucoup d’interactions sociales peut être quelque chose de compliqué pour quelqu’un qui aime se retrouver seul en mer.

Il faut aussi retrouver un équilibre familial, mais les familles l’ont souvent déjà appréhendé lors des courses précédentes.