Profession: médecin de famille 17/01/2022
Par la Dre Geneviève Dechêne
Pour donner suite à ma publication dans La Presse portant le même titre et face aux nombreuses lettres des lecteurs choqués d’apprendre ce qui se passe dans notre belle province, je me permets de revenir sur le manque d’accès aux soins palliatifs au Québec.
Nos décideurs empêchent depuis trois ans les groupes de médecins «SIAD» de soigner les Québécois en fin de vie à domicile plus de sept jours.
Pourtant, nos hôpitaux débordent. Pourtant, la durée moyenne de suivi médical avant le décès à domicile est de huit mois, une moyenne habituelle puisqu’en Occident un diagnostic terminal ne mène pas à la mort en moins de sept jours.
Le « politique » dans le réseau de la santé au Québec est très fort. Au point de détruire notre système de santé.
Au point de faire déborder nos urgences et nos hôpitaux de patients traitables à domicile pour favoriser certains intérêts particuliers au détriment des coûts et de toute forme d’humanité.
N’écoutez pas les mots de ces gens («favoriser les soins à domicile», «permettre aux vulnérables d’être soignés dans leur milieu de vie»): ils masquent la réalité indigne que vivent les Québécois en fin de vie depuis des années.
Les SIAD sont des équipes médicales intensives palliatives à domicile, intégrées aux équipes de soins à domicile des CLSC.
Le domicile inclut les résidences de RI et RPA, des milieux de vie où travaillent les infirmières des CLSC et où les éclosions de Covid-19 auraient pu être gérées efficacement par des SIAD, s’ils avaient été mis en place tel que décidé en 2017 (Forum de soins à domicile où tous les PDG avaient signé un engagement à cet effet).
Les médecins SIAD visitent des patients en lourde perte de mobilité en fin de vie.
Ils offrent une garde médicale 24 heures/7 jours, car les détériorations médicales sont fréquentes et sévères dans la dernière année de vie.
Nos hauts gestionnaires au ministère, ceux responsables des soins aux personnes âgées et des soins de fin de vie affirment pourtant le contraire: selon eux, pas besoin de médecin dans les derniers mois de vie!
Résumons la médecine générale québécoise 2022: un médecin de famille a le droit de suivre indéfiniment un jeune sportif au bureau, mais il ne doit pas suivre à domicile plus de sept jours une personne âgée insuffisante cardiaque terminale qui souffre et veut éviter l’hôpital.
Les patients priorisés par les SIAD souffrent de cancer terminal, d’insuffisance cardiaque et pulmonaire au stade 4 et de maladie neurologique terminale.
Incurables, ces patients sont médicalement les plus instables de notre réseau de la santé: ils traversent des crises médicales répétées jusqu’au décès, des crises qui mènent à répétition aux urgences en l’absence de suivi longitudinal à domicile par un médecin régulier, auprès de qui le patient est inscrit avec une garde 24 heures.
Des équipes de médecins à l’aise avec les instabilités médicales et le faible plateau technique du domicile sont capables de soigner sur place ces grands malades à la condition de travailler en duo avec les infirmières des CLSC: c’est ce que font depuis 25 ans les autres provinces et les autres systèmes de soins européens.
Le duo infirmière/médecin est la base internationalement reconnue des soins palliatifs, une base professionnelle à laquelle se greffent de nombreux autres professionnels présents dans les CLSC.
Ce duo de base est nié par nos décideurs.
Lorsqu’un SIAD est en place, un petit service infirmier très économique appelé « SAD aigu » (deux infirmières de jour) y est associé.
Deux infirmières visitent le jour même des patients instables non-inscrits et inconnus des médecins SIAD, pour leur éviter l’hôpital.
Ces patients sont référés par les médecins GMF et ceux des cliniques externes des hôpitaux, car rares sont les médecins GMF disponibles pour une visite d’urgence le jour même.
Près de 65% des patients pris en charge par le SAD aigu (trois jours en moyenne) évitent ainsi l’ambulance et les urgences.
Le seul système occidental de soins qui exclut les médecins des soins palliatifs à domicile est le Québec.
Le «Rapport sur la situation sur les soins de fin de vie» publié quatre ans après la Loi portant sur les soins de fin de vie ainsi qu’une récente publication de l’INESSS témoignent d’une exclusion systématique et invraisemblable des médecins dans les soins palliatifs à domicile.
On fait comme si cela n’existait pas. Un Québécois en fin de vie a le droit d’être soigné par un médecin à l’hôpital, mais pas à domicile.
Le résultat est gênant: depuis 15 ans, 11,8% des Québécois meurent à domicile versus 30% ailleurs au Canada et en Europe. Nous sommes uniques en Occident.
Nos nombreuses hospitalisations de patients qui n’ont plus besoin du plateau technique hospitalier reflètent ces décisions irresponsables, coûteuses, mais aussi inhumaines puisqu’elles ne respectent pas le désir de la majorité des Québécois en fin de vie.
Étrange alors qu’il a été démontré que la « trajectoire fin de vie » au Québec est deux fois moins coûteuse lorsqu’une équipe SIAD est présente.
Étrange alors qu’une publication québécoise démontre que 65% des patients en fin de vie décèdent dans leur milieu de vie si des médecins à domicile sont en duo avec les infirmières des CLSC (versus pratique médicale solo à partir d’un hôpital ou d’un GMF où seuls 11% meurent à domicile), avec une économie importante pour le réseau de la santé.
La démonstration est claire: le duo infirmière/médecin en CLSC est essentiel au maintien à domicile des patients en fin de vie.
Qui pourra contrôler ceux qui prennent de telles décisions pour permettre enfin aux québécois en fin de vie d’être soignés dans leur milieu de vie?