mardi 10 septembre 2019
ACTUALITÉS & OPINIONS FORMATION MÉDICALE CONTINUE – ESC 2019
Jean-Philippe Collet, Pr Xavier Jouven AUTEURS ET DÉCLARATIONS 6 septembre 2019
Enregistré le 2 septembre 2019, à Paris, France – https://francais.medscape.com/voirarticle/3605212?nlid=131502_4342&src=WNL_mdplscardioconf_190910_MSCPEDIT_FR&uac=184019MG&faf=1
Que retenir des données présentées à l’ESC 2019 sur l’évolution des arrêts cardiaques survenus pendant le sport en région parisienne au cours des 10 dernières années ? Comment améliorer la prévention ? Quid de l’impact des changements climatiques et de la pollution urbaine ? Le point avec les professeurs Xavier Jouven et Jean-Philippe Collet?
Pr Jean-Philippe Collet — Bonjour, je suis Jean-Philippe Collet, cardiologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Bienvenue sur Medscape en direct du congrès de l’European Society of Cardiology (ESC) 2019, à Paris. J’ai le plaisir d’accueillir le professeur Xavier Jouven, de l’hôpital Européen Georges Pompidou, spécialiste sur la mort subite.
Nous avons tous les deux participé à une session de l’ESC dédiée à la mort subite chez le sportif. Que faut-il en retenir ?
Pr Xavier Jouven — De beaux résultats [1] ont été présentés sur l’évolution au cours des 10-20 dernières années, à la fois sur les grandes courses et tous les cas d’arrêts cardiaques survenus pendant le sport, notamment sur Paris et la région parisienne. Cela donne une photographie de l’évolution, à la fois du nombre [d’arrêts cardiaques] et de l’augmentation de la survie.
Pr Jean-Philippe Collet — On a l’impression que, puisque les gens courent de plus en plus, le nombre [d’arrêts cardiaques] augmente. Est-ce que l’incidence augmente ? Aussi, il y a une meilleure sécurisation des cours. Donc dans quel sens vont les courbes ?
Pr Xavier Jouven — Avec tous les efforts de prévention et de screening, notamment les stratégies actuelles, on s’attendait à observer une diminution du nombre d’arrêts cardiaques pendant le sport. Il y a certes plus de gens qui participent à des courses, mais au total il y a quand même malheureusement de moins en moins de gens qui font du sport. On pensait donc qu’on verrait une diminution de l’incidence en relation avec une amélioration du screening, des préventions, des différentes stratégies — avec ou sans ECG, avec ou sans échographie — mais on ne l’a pas observée.
Pr Jean-Philippe Collet — Est-ce lié en partie à la meilleure prise en charge des patients qui font des arrêts cardiaques ? Parce que maintenant il y a des défibrillateurs un peu partout…
Pr Xavier Jouven — Alors effectivement, si l’incidence reste vraiment stable sur les 10 dernières années (on a enregistré au total 320 arrêts cardiaques pendant le sport sur 10 ans, sur Paris et région parisienne), la survie par contre augmente beaucoup. C’est vraiment très impressionnant puisqu’au départ, quand on a commencé en 2005, on sauvait aux alentours de 30 % des sportifs. Maintenant, on est quasiment à 60 %, c’est-à-dire qu’on sauve plus d’un sportif sur deux qui fait un arrêt cardiaque, et il est sauvé avec un bon score neurologique à la fin. Cela montre tous les efforts des pompiers, du SAMU, de tous ceux qui interviennent quand ils sont hospitalisés dans les hôpitaux. C’est magnifique. Jusqu’où va-t-on pouvoir monter ? On est à 60 % — est-ce qu’on va pouvoir aller à 70 %, plus ?
Pr Jean-Philippe Collet — Donc on s’occupe bien des malades ?
Pr Xavier Jouven — On s’en occupe bien. Une fois que l’arrêt cardiaque est survenu, on s’en occupe très bien.
Pr Jean-Philippe Collet — Mais alors est-ce qu’il faut prévenir ? Est-ce que cela vaut le coup ?
On sauve plus d’un sportif sur deux qui fait un arrêt cardiaque. Pr Xavier Jouven
Pr Xavier Jouven — Bien évidemment, en tant qu’épidémiologiste, on se dit que bien sûr il faut éviter que l’événement survienne. Ce serait beaucoup mieux si on pouvait éviter les morts subites. Donc même si le résultat est positif en lui-même, le fait qu’on n’arrive pas à empêcher les arrêts cardiaques de survenir ne me satisfait pas.
Pr Jean-Philippe Collet — Est-ce dû à la façon de faire ? Aux examens qu’on utilise ? On a l’impression que d’un pays à l’autre c’est différent… Certains disent que le sportif est un peu la « boîte noire », parce que lui, il s’en fiche de ce qu’il ressent, ce qu’il veut, c’est faire du sport ; son entraineur, il fait tout pour pousser ; et finalement les médecins du sport, certains sont plutôt pro-screening — on le voit dans certains pays, notamment germaniques ou italiens — et nous [en France], on est un peu entre les deux.
Pr Xavier Jouven — Il y a eu des conflits assez importants sur : faut-il faire l’ECG systématique ? Oui ? Non ? etc. Je ne veux pas rentrer dans le débat. Simplement, le fait que l’incidence ne diminue pas montre que la stratégie qu’on a actuellement ne marche pas bien. C’est clair. Je n’ai pas de réponse sur ce qu’il faudrait faire en plus ou pas, parce que notre étude [1] ne le montre pas, mais cela ne marche pas très bien.
Pr Jean-Philippe Collet — On a l’impression qu’il y a des différences en fonction du type de course — parce que ce n’est probablement pas les mêmes populations. En avez-vous observées entre marathon, semi-marathon ou ultra trail ? Voyez-vous des différences ou pas ?
Pr Xavier Jouven — Non, parce qu’on n’est pas rentré dans les types sports. Les trois sports dans lesquels on a le plus de morts subites sont d’abord le vélo, ensuite la course à pied, et le football. Ce n’est pas étonnant, ce sont les sports qui sont les plus pratiqués et ce n’est pas le nombre de licenciés, puisque tout le monde court ou fait un peu de vélo ou de foot sans être licencié. Mais on n’a pas fait sport par sport.
On a été frappé par une chose : le nombre extrêmement faible de femmes. Seulement 5 % des morts subites pendant le sport concernent des femmes. C’est très étonnant.
Pr Jean-Philippe Collet — Est-ce parce qu’elles s’écoutent plus ? Ou parce qu’elles font plus attention à leurs symptômes ?
Pr Xavier Jouven — On attendrait plutôt un ratio de deux tiers / un tiers, comme le ratio classique cardiovasculaire. Mais là, 5 % ce n’est rien du tout. Cela veut dire qu’il y a autre chose. Et je n’arrive pas à le prouver, mais je pense que, oui, les femmes sont un peu plus intelligentes que les hommes. C’est-à-dire que si elles ont un symptôme, elles ralentissent, voire elles s’arrêtent. Je pense qu’elles respectent plus leur corps que les hommes qui, une fois qu’ils sont engagés dans une compétition, ont peut-être tendance à aller… jusqu’au bout.
Et je n’arrive pas à le prouver, mais je pense que, oui, les femmes sont un peu plus intelligentes que les hommes. Pr Xavier Jouven
Pr Xavier Jouven — Des jusqu’au-boutistes… Ils veulent doubler l’adversaire avant le haut de la côte, même si ça serre très fort dans la poitrine…
Pr Jean-Philippe Collet — On vit maintenant des changements climatiques et on voit que cela fait la Une de pas mal de revues comme le New England Journal of Medecine, JAMA… Sport et pollution, c’est un vrai débat. Il y a les sociétés qui organisent les marathons, souvent en milieu urbain, il fait parfois chaud, il y a la pollution atmosphérique… Que faut-il en penser?
Pr Xavier Jouven — Il y a les résultats de l’étude RACE [2], que tu présentais, qui sont très intéressants parce qu’effectivement, quand il fait chaud, c’est très lié : lorsque qu’il y a plus de pollution cela devient plus dangereux. Même si les chiffres sont très bas, c’est effectivement la première fois qu’il est montré un effet direct de la pollution. Sur le cas de la mort subite, hormis le jour de la compétition, on a énormément de mal à montrer une corrélation avec la pollution. Si on prend la pollution quotidienne de Paris : on a fait cela pendant plusieurs années, on a regardé l’évolution quotidienne du nombre de morts subites, mais en fait, est-ce qu’il faut prendre la pollution du jour même ou la pollution de deux jours avant, d’une semaine avant, de 15 jours avant ? Laquelle est à risque ? Il y a tellement de variations de température et d’autres facteurs qui interviennent, qu’on n’arrive pas, pour l’instant, à modéliser, par un modèle mathématique robuste, la survenue des morts subites avec la pollution. Donc peut-être qu’événement par événement on pourra montrer un pic, mais sinon, on n’arrive pas encore à modéliser.
Pr Jean-Philippe Collet — Je pense que les autorités en prennent conscience — ils ont annulé le triathlon à New York au mois de juin à cause de la pollution, entre autres, et de la température, donc on voit que c’est un sujet qui bouge.
Et il y a beaucoup à faire sur l’éducation des coureurs, tous ceux qui ne s’écoutent pas trop finalement. Vous avez démontré que lorsqu’ils ont des symptômes et qu’ils s’arrêtent avant, on a l’impression qu’ils survivent mieux.
Pr Xavier Jouven — Ce qui est troublant, c’est que plus de 30 % ont des symptômes juste avant la compétition ou pendant la compétition, mais ils les négligent. Et il a été montré dans plusieurs d’études, que ceux qui avaient des symptômes survivaient mieux : ils expriment leurs symptômes et qu’ils les respectent, la survie est six fois plus importante. Donc il y a des symptômes qui sont négligés.
Finalement, je pense qu’à côté de la prévention au long cours — d’ailleurs dans mon équipe, on avez essayé de prédire qui, dans la population, étaient à risque des années avant la survenue de la mort subite, mais c’est très difficile — il faut, spécialement dans le milieu sportif, essayer de travailler sur les minutes ou peut-être l’heure qui précède l’événement, car là il y a vraiment une marge importante d’action potentielle parce qu’il y a des symptômes.
Peut-être qu’avec les applications, les montres connectées, les nouvelles mesures, les nouveaux biomarqueurs, si on pouvait rentrer l’historique de la personne qui court, conjugué avec des nouveaux marqueurs et des mesures de fréquence cardiaque ou de respiration, peut-être qu’il y aurait un bip qui dirait « Attention, mon gars ! Là, tu dépasses beaucoup, il faut que tu ralentisses ! Parce que tu as du cholestérol, tu l’avais rentré » …
Bref, je pense qu’il y a de la place pour une prévention aiguë, juste avant l’évènement. On peut vraiment s’y engouffrer — c’est un nouveau front dans la lutte contre la mort subite et je crois qu’elle pourrait être particulièrement intéressante dans le milieu sportif.
Pr Jean-Philippe Collet — C’est donc un vrai sujet de société avec les responsabilités des coureurs, les responsabilités des organisations, et beaucoup de recherche. Merci beaucoup Pr Jouven. Merci Medscape.
Cette transcription a été révisée par souci de clarté.
LIENS
- Cas clinique : jeune athlète en arrêt cardiaque
- Mort subite du sportif : rare et évitable dans un tiers des cas
- Cardiologie du sport : de nouvelles recommandations moins restrictives
- Jeunes footballeurs : peut-on prévenir une mort subite par un meilleur dépistage ?
- Marathoniens en arrêt cardiaque : une prise en charge ultrarapide… à la japonaise
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Citer cet article: Mort subite chez le sportif: que nous apprennent les études de suivi? – Medscape – 6 sept 2019.