À côté des modèles météo « classiques » fondés sur les lois de la physique, on va désormais pouvoir disposer de modèles fonctionnant grâce à un code de type « intelligence artificielle » – le centre européen de prévisions météorologiques à moyen terme propose désormais ce type de données, en accès libre.
Qu’est-ce que cela change ? On vous explique.
La roche de Tévennec et son phare, en mer d’Iroise, lors de la tempête Ruth du 8 février 2014. On distingue à l’arrière-plan l’île de Sein, avec sur la droite son grand phare, à la pointe ouest. | BENOÎT STICHELBAUT
Sébastien MAINGUET. Publié le 10/03/2024 à 16h50
Pour faire simple : à partir de « conditions initiales » données (il s’agit des conditions réelles à l’instant présent), un modèle météo « classique » utilise les lois de la physique pour élaborer des prévisions ; quant au modèle de type IA (intelligence artificielle), il fait appel à une énorme quantité de données archivées, concernant la météo du passé, pour déterminer l’évolution la plus probable.
Ce qui n’a pas grand-chose à voir. Et bien sûr le modèle de type IA a une capacité d’« apprentissage automatique » (machine learning en anglais) ; ce qui caractérise essentiellement l’intelligence artificielle.
Le tout nouveau modèle météo IA du centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (CEPMMT, ou ECMWF en anglais, European Center for Medium-Range Weather Forecasts) a été baptisé AIFS pour Artificial Intelligence/Integrated Forecasting System.
Tandis que son modèle « traditionnel » fondé sur la physique est toujours baptisé IFS, Integratred Forecasting System.
« Les météorologues utilisent des modèles de prévision informatiques depuis des décennies.
Ces modèles prennent en compte les observations météorologiques actuelles et les introduisent dans un groupe d’équations (modèles basés sur les lois de la physique).
Les réponses du modèle numérique donnent ainsi une idée des conditions météorologiques futures. L’IA, quant à elle, fonctionne différemment.
Elle utilise d’énormes ensembles de données détaillant les événements météorologiques passés pour apprendre elle-même ce qui est le plus susceptible de se produire à l’avenir.
En raison de cette différence, les informaticiens espèrent que l’IA pourra être utilisée pour produire des prévisions météorologiques plus précises et plus détaillées avec un délai plus long [une échéance plus lointaine, NDR]. »
Le modèle météo « AIFS » du centre européen de prévisions, fondé sur l’intelligence artificielle et qui est le premier du genre à être mis à disposition du public, se montre déjà prometteur, et génère des prévisions très proches de celles générées par le modèle « IFS » fondé sur la physique. Ici une comparaison dans l’application iOS Weather4D : en haut l’IFS, en bas l’AIFS. | WEATHER4D
Toujours dans Weather4D, à gauche l’IFS (modèle fondé sur les lois de la physique), à droite l’AIFS (intelligence artificielle). | WEATHER4D
Pas encore les précipitations
À lire aussi (en anglais), cette présentation sur le site du centre européen de prévisions.
Où l’on apprend par exemple que le modèle AIFS utilise aujourd’hui une technologie d’apprentissage automatique dite « Graph Neural Networks », « réseaux de neurones graphiques », adaptée aux données non structurées de type graphes.
Les champs disponibles à ce jour sont le vent (à 10 mètres), la température (à 2 mètres), la pression atmosphérique et l’humidité.
Pour les précipitations, cela devrait venir ultérieurement, précise la même note du centre européen de prévisions (et idem sans doute pour la nébulosité).
Il semble qu’à ce jour, le principal défaut du modèle météo de type intelligence artificielle soit le suivant : il n’est pas encore capable de faire des « prévisions d’ensemble », dites aussi simplement « ensemble » – sorte de « bouquets » de prévisions (plusieurs dizaines de scénarios) obtenus en introduisant de très légères perturbations, à la fois dans les conditions initiales et dans le modèle numérique lui-même.
Ces ensembles permettraient de quantifier le degré de certitude des prévisions, comme on le fait avec les modèles fondés sur la physique (ceux-ci sont en effet livrés sous la forme d’ensembles).
Pour l’instant le modèle météo IA ne peut donc être utilisé que comme un modèle dit « déterministe » – appellation que l’on donne, au sein d’un ensemble, au scénario considéré comme le plus réaliste.
Fichier grib issu du nouveau modèle météo AIFS du centre européen de prévisions (ECMWF), qui fonctionne grâce à une intelligence artificielle. Ici affiché dans l’application Android SailGrib (dans cette appli ce modèle se trouve sous l’appellation « ECMWF AI 025 »). | SAILGRIB
Ici un autre exemple, toujours dans SailGrib. | SAILGRIB
D’après la page du site MétéoSuisse que nous avons citée plus haut, le modèle IA devrait bientôt pouvoir calculer environ la moitié de l’incertitude calculée par le modèle fondé sur la physique, en faisant varier les conditions initiales.
Pour le reste, nous précise la même publication, « l’incertitude pourrait être abordée en injectant de manière appropriée du bruit dans le modèle d’apprentissage automatique ».
Le centre européen de prévisions le confirme sur son site (même note que supra ) : « Une des évolutions importantes pour la suite, et dont nous allons beaucoup parler à l’avenir, tournera autour du développement d’un système d’ensemble.
Aujourd’hui notre offre principale, à savoir le modèle de type IFS, est un système de prévisions d’ensemble, parce que nous savons que c’est la manière la plus pertinente de faire des prévisions à moyen terme. »
(Concernant les modèles météo, les prévisions d’ensemble, et pour davantage d’explications sur ces sujets, voir le dossier publié dans le numéro 621 de notre magazine mensuel, novembre 2022.)
Le premier modèle météo IA à être disponible pour les plaisanciers
Le modèle AIFS (type IA) du centre européen de prévisions est d’ores et déjà disponible en accès libre et gratuit, depuis début mars, dans une version « Alpha » qui est pour l’instant présentée comme « expérimentale » : voir ici sur le site ECMWF, ou encore dans les applications de navigation et de routage SailGrib (Android) et Weather4D (iOS). [1]
Sur les serveurs de SailGrib et de Weather4D, ce modèle se trouve sous l’appellation « ECMWF AI 025 ».
Il a une résolution (« maille ») de 0,25 degré (environ 27 kilomètres) et il est actualisé quatre fois par jour, à 8 h 50, 13 h 50, 20 h 50 et 1 h 50 TU.
Ses prévisions s’étendent à 15 jours par pas de 6 heures. C’est le premier modèle de type IA à être ainsi mis à disposition du public et des plaisanciers.
À noter aussi au passage que le modèle européen ECMWF de type IFS (fondé sur la physique), baptisé ECMWF 025 dans SailGrib, et qui offre des prévisions à 10 jours par pas de 3 heures (actualisées deux fois par jour à 8 h et 20 h TU), est maintenant disponible avec une maille de 0,25 degré, comme le modèle AIFS, au lieu de 0,4 degré (environ 43 kilomètres) auparavant.
Enfin, pour répondre à la question posée ici en titre (la prévision météo entre-t-elle dans une nouvelle ère ?), la note du centre européen de prévisions souligne quand même d’emblée ceci :
« Les modèles numériques de prévision météo fondés sur la physique, IFS chez nous, sont toujours un élément clé dans tout ceci [y compris pour le développement des modèles fondés sur l’intelligence artificielle, NDR].
Les modèles de type machine learning [intelligence artificielle] ne peuvent pas rivaliser avec l’IFS pour l’étendue du spectre de variables que celui-ci peut prévoir, ni pour sa résolution spatiale.
Et c’est l’intégration des données dans l’IFS qui fournit [pour les modèles IA] les conditions initiales, et qui crée les séries de données qui servent pour l’entraînement. Le CEPMMT reste fermement engagé à continuer d’améliorer l’IFS. »
Si l’on comprend bien, il est donc probable que les modèles fondés sur l’IA et ceux fondés sur la physique soient complémentaires plutôt que concurrents. À suivre…
[1] Ces deux applis vont bientôt basculer sur le même serveur, puisque les deux développeurs (Henri Laurent pour SailGrib et Olivier Bouyssou pour Weather4D) sont en train de concocter une nouvelle appli, compatible Android et iOS, qui succédera à SailGrib comme à Weather4D.
Cette petite merveille pourrait être baptisée « Navimetrics », et elle devrait arriver pour la fin de l’année (2024). Une appli très attendue, cela va sans dire…
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