Actualités – publiée le 17/12/2019 par Équipe de rédaction Santélog
The Lancet
Plus d’un pays à revenu faible ou intermédiaire sur 3 est confronté à ces 2 extrêmes de la malnutrition, qui reflètent les anomalies de nos systèmes et de nos régimes alimentaires.
Ces chercheurs de l’Université de Caroline du Nord qui exposent l’ampleur du problème dans le Lancet, appellent simultanément à de nouvelles approches pour réduire ces 2 fardeaux, de plus en plus corrélés, avec les évolutions extrêmement rapides de nos systèmes alimentaires. 48 pays sur 126 (2010), en particulier en Afrique subsaharienne, en Asie du Sud et en Asie de l’Est et dans le Pacifique sont aujourd’hui fortement concernés par ce double fardeau bien paradoxal.
Une autre conséquence avec la dénutrition et l’obésité est que ces conditions impactent la santé des générations suivantes et doublement : la dénutrition et l’obésité maternelles sont associées à une mauvaise santé des enfants. Davantage d’adultes se retrouvent ainsi exposés « deux fois », en raison de l’héritage « épigénétique » de leurs parents et d’une exposition directe aux deux formes de malnutrition au cours de leur vie. Cette double exposition accroît encore les effets nocifs de cette nouvelle malnutrition sur la santé.
Nous devons faire face à une nouvelle réalité nutritionnelle
Les chercheurs ont analysé les données de milliers de personnes, issues d’enquêtes menées dans les pays à revenu faible et intermédiaire dans les années 1990 et 2010 pour estimer ce double fardeau de malnutrition. L’analyse montre en particulier que dans ces pays,
- plus de 15% des personnes ont perdu du poids,
- plus de 30% accusent un retard de croissance,
- plus de 20% des femmes présentent un IMC insuffisant (<18)
- plus de 20% des personnes sont en surpoids.
- Ces résultats sont à mettre en regard de l’épidémiologie mondiale :
- à l’échelle mondiale, près de 2,3 milliards d’enfants et d’adultes sont en surpoids ;
- plus de 150 millions d’enfants souffrent d’un retard de croissance.
Le double fardeau des pays à revenu faible ou intermédiaire : dans ces pays, ces problèmes émergents se chevauchent au sein des familles, des communautés et du pays : ainsi, en 2010, 14 pays dont ceux ayant les revenus les plus faibles ont développé et développent encore ce double fardeau de malnutrition, (vs en 1990).
Ainsi, la prévalence du surpoids a augmenté ces 20 dernières années dans les pays les plus pauvres, et dans ces mêmes pays, une grande partie de la population reste confrontée à la dénutrition et au retard de croissance.
Quelles causes, quelles explications ? Les pays les plus pauvres à revenu faible ou intermédiaire ont vécu ces 20 dernières années, une transformation rapide des régimes et des habitudes alimentaires et, simultanément des modes de déplacement, des activités et des loisirs. La disponibilité des aliments ultra-transformés a fortement augmenté et ces aliments constituent une cause majeure de prise de poids accrue, y compris chez les nourrissons (préparation) et les enfants d’âge préscolaire.
La disparition des marchés de produits frais, la moindre disponibilité et la hausse des prix des aliments frais, l’augmentation du nombre de supermarchés et de fast foods, le contrôle de la chaîne alimentaire par les entreprises mondiales de l’agroalimentaire et de la restauration sont également en cause dans l’émergence de cette nouvelle forme de malnutrition.
Quels effets ? En synthèse, on sait que l’exposition à la dénutrition au début de la vie, suivie d’une surcharge pondérale à partir de l’enfance augmente le risque de multiples maladies non transmissibles (diabète de type 2, hypertension artérielle, accident vasculaire cérébral, et maladies cardiovasculaires).
Et les effets néfastes peuvent se transmettre d’une génération à l’autre : par exemple, l’obésité maternelle accroît le risque d’obésité chez l’enfant et ce risque peut encore être exacerbé si la mère a souffert de sous-alimentation au début de sa vie.
Modifier les interventions de lutte contre la dénutrition : les actions mises en œuvre contre toutes les formes de malnutrition n’ont historiquement pas pris en compte ces facteurs ou d’autres facteurs clés, notamment la nutrition précoce, la qualité de l’alimentation, les facteurs socioéconomiques et les environnements alimentaires. Certains programmes même, cités par les auteurs, ont pu accroître involontairement les risques d’obésité et de malnutrition dans ces pays à faible revenu et à revenu intermédiaire.
La première des interventions : redonner accès à une alimentation de qualité : c’est la manière la plus évidente -mais économiquement la plus complexe- pour réduire le risque de malnutrition sous toutes ses formes en favorisant notamment la croissance, le développement et l’immunité des enfants, et en prévenant l’obésité et les maladies non transmissibles tout au long de la vie.
- Une alimentation saine typique est définie, rappelle les chercheurs, par une abondance et une diversité de fruits et légumes, de grains entiers, de fibres, de noix et de graines ; des quantités modestes d’aliments d’origine animale ; des quantités minimales de viandes transformées, d’aliments et de boissons riches en énergie, de sucres ajoutés, de graisses saturées, d’acides gras trans et de sel.
- L’encouragement à et l’élargissement de la pratique d’allaitement maternel au cours des deux premières années de la vie de l’enfant pourrait aussi inverser la tendance ;
- Le développement de services de santé dédiés à la lutte contre l’obésité et les maladies chroniques liées à l’alimentation.
Revoir toute notre chaine alimentaire : l’auteur principal, le Dr Francesco Branca, directeur du Département de la nutrition à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) expose la situation : « Nous ne pouvons plus caractériser les pays comme à faible revenu et sous-alimentés ou à revenu élevé et suralimentés. Toutes les formes de malnutrition ont un dénominateur commun, des systèmes alimentaires qui ne parviennent pas à fournir à tous des aliments sains abordables, sûrs et durables.
Le changement devra passer par toutes les étapes des systèmes alimentaires, de la production, à la transformation, en passant par la distribution, la fixation des prix, l’étiquetage, la consommation et le traitement des déchets ».
L’objectif mondial reste d’éradiquer la faim et de prévenir la malnutrition sous toutes ses formes, rappelle également, dans un éditorial, le Dr Richard Horton, rédacteur en chef du Lancet : « il est devenu clair que la nutrition et la malnutrition doivent être abordées sous tous les angles et qu’il reste un immense travail à faire pour comprendre leurs multiples manifestations ».
« La poursuite du statu quo n’est plus adaptée à la nouvelle réalité nutritionnelle. Cependant, il existe de nombreuses opportunités pour lutter contre différentes formes de malnutrition ». Les auteurs appellent les gouvernements, l’ONU, la société civile, les universitaires, les médias, les donateurs, le secteur privé et les organisations économiques à impliquer de nouveaux acteurs, comme les agriculteurs, les « défenseurs de la planète », les entreprises équitables et vertes, les maires des villes et les associations de consommateurs :
« Cette nouvelle réalité nutritionnelle appelle une communauté élargie d’acteurs qui travaillent de manière renforcée et interconnectée à l’échelle mondiale. Sans une profonde transformation du système alimentaire, les coûts économiques, sociaux et environnementaux de l’inaction entraveront la santé des hommes et des sociétés pour les décennies à venir ».
Source: The Lancet December 15, 2019 DOI : 10.1016/S0140-6736(19)32497-3 Dynamics of the double burden of malnutrition and the changing nutrition reality
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Obésité et dénutrition, de plus en plus de pays victimes du « double fardeau » nutritionnel
PAR DAMIEN COULOMB – PUBLIÉ LE 16/12/2019
Crédit photo : AFP
Une part croissante de pays sont désormais touchés simultanément par les deux aspects de la malnutrition : surpoids et sous-alimentation. Selon une série de 4 articles publiés dans le « Lancet », un pays sur trois (48 sur les 126 analysés dans le rapport) aujourd’hui serait concerné par cette « nouvelle réalité de la malnutrition », comme l’indique le Dr Francesco Branca, de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et premier auteur d’un des 4 articles.
Depuis les années quatre-vingt-dix, 14 pays supplémentaires sont concernés par le « double fardeau » de la malnutrition. Ce phénomène se définit par au moins 15 % de personnes en état d’amaigrissement (perte de poids, fatigue, teint pâle), 30 % d’enfants en retard de croissance et au moins 20 % de personnes en surpoids (IMC supérieure à 25 kg/m2).
Basculement rapide des modes de vie
« Il n’est plus possible de considérer la sous-nutrition comme l’apanage des pays à faible revenu ou que l’obésité soit l’unique problème des pays à hauts revenus », estime-t-il. Au niveau mondial, on assiste à un basculement rapide des modes de vie, avec une part croissante d’individus victimes de différentes formes de malnutrition. On estime que 22 % des adultes sont désormais exposés à un régime alimentaire déséquilibré, d’une façon ou d’une autre.
Près de 2,3 milliards d’enfants et d’adultes dans le monde sont en surpoids et plus de 150 millions d’enfants ont un retard de croissance. Les auteurs du « Lancet » constatent que ces problématiques de surpoids et de sous-nutrition se côtoient dans les mêmes communautés, voire dans les mêmes familles.
Des moyens d’action
La lutte contre la dénutrition infantile fait partie des objectifs de lé décennie d’action contre la dénutrition de l’OMS (2016-2025), qui rappelle les effets à long terme de la dénutrition lors des premiers mois de vie : « elle peut être associée à des déséquilibres du microbiote, de l’inflammation, des désordres métaboliques et une altération de la voie de régulation de l’insuline ».
Il existe des moyens d’action listés par l’OMS pour inverser la tendance : optimiser la pratique de l’allaitement au cours des deux premières années de vie, assurer une bonne disponibilité des fruits, des légumes, des céréales entières, des fibres, des noix et des légumineuses. Il convient également de réduire l’apport en aliments d’origine animale.
Équilibre entre alimentation saine et préservation des ressources naturelles
Ces repères alimentaires préconisés par les auteurs sont les mêmes que ceux qui avaient été publiés par la commission EAT du « Lancet » en janvier dernier, dont le but était de trouver le bon équilibre entre alimentation saine et préservation des ressources naturelles.
« Les pays à revenus faibles et intermédiaires ont connu une transition rapide des modes de vie, explique l’un des auteurs, le Pr Barry Popkin, de l’université de Caroline du Nord. La nouvelle réalité nutritionnelle voit la disparition des marchés de produits frais, l’augmentation du poids des supermarchés et le contrôle de toute la chaîne de production, d’élevage et de distribution par des compagnies privées. »
Les auteurs du « Lancet » préconisent de mettre en place des programmes de lutte contre la dénutrition, d’élaborer des systèmes d’aide sociale et d’implanter des politiques agricoles et fiscales incitant à une alimentation plus saine.
Damien Coulomb
Source : lequotidiendumedecin.fr