https://www.jim.fr/e-docs/00/02/AA/D2/carac_photo_1.jpg Publié le 21/11/2018

Malgré de notables avancés, tant diagnostiques que thérapeutiques, la prévalence de l’insuffisance cardiaque continue à augmenter, affectant 26 millions d’individus à travers le monde. De nombreuses sociétés savantes internationales préconisent, lors de sa prise en charge, une réduction des apports en sel. Cette méthode a cependant une efficacité incertaine, voire pourrait avoir des effets délétères.

Revue systématique et méta-analyse de 9 études

K P Mahtani et collaborateurs ont donc entrepris une revue systématique et une méta-analyse afin de préciser au mieux les effets d’une réduction des apports en sel auprès d’adultes de plus de 18 ans, en état d’insuffisance cardiaque. Ils se sont appuyés sur les données fournies par plusieurs banques bibliographiques informatiques, dont le Registre Cochrane des essais contrôlés, MEDLINE, Embase…, depuis leur création jusqu’ à la date du 9 Février 2016, avec surveillance de la littérature maintenue jusqu’ au 2 Mars 2018.

Ont été incluses dans la revue des observations de patients externes, en insuffisance cardiaque chronique stable mais aussi de patients hospitalisés, en insuffisance aiguë. La qualité méthodologique des publications retenues a été considérée ; les données recueillies concernent, soit les critères primaires d’analyse (mortalité spécifique CV ou globale, AVC ischémiques, infarctus myocardiques, troubles de la natrémie…), soit des critères secondaires (nombre et durée des hospitalisations, modification de classe de la New York Heart Association (NYAH), adhésion à un régime hyposodée, modifications tensionnelles).

Sur 2 655 références recensées, 27 ont été sélectionnées et seules 9 études ont été incluses dans la revue systématique, regroupant au total 479 participants. Huit sur 9 avaient été publiées en anglais, 3 avaient été conduites en Europe, 2 en Amérique du Sud et 4 en Amérique du Nord ; 2 concernaient des patients hospitalisés et les 7 autres des patients ambulatoires.

Aucune des 9 études n’ont permis d’analyser précisément la mortalité CV spécifique avec ou sans limitation des apports sodés ; 4 seulement traitaient de la mortalité globale. Le nombre d’événements pathologiques CV ou de troubles de la natrémie ont aussi été détaillés. Dans un travail (JAMA Intern Med, 2013) ayant inclus 75 malades en insuffisance cardiaque aiguë, Aliti et collaborateurs n’ont décelé aucune différence dans le nombre de réadmissions hospitalières à 30 jours : 11, soit 29 % dans le groupe actif face à 7, 19 %, dans le groupe contrôle (p = 0,41). Il en allait de même pour les durées d’hospitalisation : 7 jours en moyenne (intervalle de confiance à 95 % [IC] : 3,8- 13,0) avec un régime sans sel vs 6 (IC: 4,0- 12,5) sans (p = 0,89).

L’évolution clinique des signes de congestion pulmonaire et de stase cardiaque était aussi similaire. Par contre, pour les malades ambulatoires, 4 études, dont celle de Colin Ramirez, Nutrition, 2004, et celle de Philipson, Eur J Heart Fail, 2013, ont fait état d’une amélioration, sous régime hyposodé, de la classe NYAH et d’une régression des œdèmes. Il faut toutefois signaler que, dans les travaux cités, l’adhésion au régime hyposodé, quantifiée par les apports alimentaires en sel ou par la natriurèse, a été très variable.

Trois publications, concernant des patients ambulatoires, ont examiné les variations tensionnelles. Alvelos et coll (n = 24 ; Eur J Heart Fail., 2004) ont constaté, sous régime sans sel, une baisse de la pression artérielle moyenne, passant de 98 (7,7) à 85 (4,6) mm Hg (p < 0,06) mais, à l’opposé, d’autres auteurs ne retrouvent aucune variation significative de la pression artérielle systolique.

Sous régime hyposodé, amélioration de la symptomatologie essentiellement chez les patients ambulatoires

Au total, malgré une analyse précise de 9 essais cliniques randomisés ayant totalisé 479 patients, aucune preuve robuste et de grande qualité n’a pu être apportée en faveur de l’intérêt du régime hyposodé en cas d’insuffisance cardiaque. On ne constate, avec une limitation des apports en sel, aucune variation significative de la mortalité globale ou spécifique CV, des événements pathologiques CV comme les AVC ou les infarctus myocardiques on encore du nombre et de la durée des hospitalisations. Trois essais, sur des malades ambulatoires, ont toutefois rapporté une amélioration des signes cliniques de insuffisance cardiaque, après réduction de l’apport sodé alimentaire. Ces résultats d’ensemble, peu en faveur de ce type de régime, se rapprochent de ceux d’études déjà publiées dans la littérature médicale.

De façon habituelle, les patients insuffisants cardiaques sont incités à réduire leur apport sodé, cette recommandation étant essentiellement basée sur l’expérience clinique et, de fait, chez des malades ambulatoires, il a pu être noté une amélioration de la classe NYAH. Chez les patients hospitalisés, en insuffisance cardiaque aiguë, le degré de preuve de l’efficacité d’une limitation des apports en sel a été moindre. Ces résultats, non probants, incitent à envisager, pour l’avenir, la mise en route d’essais cliniques bien conçus et rigoureux. Il sera aussi nécessaire de préciser le ou les possibles mécanismes physiopathologiques sous tendant les possibles effets bénéfiques d’une restriction en sel : impact sur l’homéostasie des liquides corporels, diminution de la pression artérielle en cas d’hypertension concomitante, réduction de la masse ventriculaire gauche, modification du système rénine-angiotensine-aldostérone…

Ce travail a plusieurs points forts. La mise à jour est récente. La méthodologie a été rigoureuse, selon les guides Cochrane. La recherche a été étendue à plusieurs banques de données électroniques et l’analyse des publications retenues a été le fait de 2 examinateurs indépendants. A l’inverse, on ne peut écarter le risque de biais, des publications ayant pu être omises ou mal interprétées.

Ainsi, malgré une recherche de grande ampleur, les preuves formelles de l’effet bénéfique de la réduction des apports sodés en cas d’insuffisance cardiaque restent encore à venir. Cette revue systématique n’a pu, en effet, retrouver qu’une modeste amélioration de la classe NYAH et de la symptomatologie clinique chez les seuls patients ambulatoires. Des travaux bien menés, de puissance suffisante apparaissent donc indispensables pour préciser au mieux l’impact du régime sans sel en cas d’insuffisance cardiaque.

Dr Pierre Margent

RÉFÉRENCE  : Mahtani KR et coll. : Reduced Salt Intake for Heart Failure. A systematic Review. JAMA Inter Med., 2018, publication avancée en ligne le 5 novembre. doi: 10.1001/jamainternmed.2018.4673.

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