Publié le 03/12/2018
L’indice de masse corporelle (IMC) joue un rôle probablement causal dans les maladies qui affectent le système cardiovasculaire, tout au moins à partir d’un certain âge. Ce facteur a été surtout exploré chez des sujets d’âge moyen ou plus avancé, mais en revanche il n’a pas bénéficié d’une approche aussi systématique à des âges bien plus précoces, notamment chez l’adulte jeune ou l’adolescent, a fortiori en tenant compte du phénotype cardiovasculaire. L’adiposité et les comorbidités serviraient de vecteur entre l’IMC et le risque d’évènements cardiovasculaires à l’âge moyen ou mûr, mais il en va autrement dans les tranches d’âge inférieures pour lesquelles il n’existe guère d’études d’observation réellement concluantes. Certes, des corrélations ont pu être établies entre un IMC élevé et divers marqueurs de la maladie cardiovasculaire, mais aucun lien de causalité directe n’a été établi, du fait de la multiplicité des facteurs de confusion et de la possibilité de relations de causalité inverse.
Bref, le risque cardiovasculaire n’attendrait pas le nombre des années, mais encore faut-il trouver des arguments qui vont dans ce sens et c’est là qu’interviennent les résultats obtenus à partir de l’étude ALSPAC (Avon Longitudinal Study of Parents and Children), publiés dans Circulation.
CQFD grâce à la randomisation mendélienne et la méthode RbG
Plusieurs méthodes d’analyse des données ont été confrontées : (1) analyse multivariée classique par régression avec ajustements multiples ; (2) randomisation mendélienne appliquée à l’ensemble de la cohorte (âge = 17 ans au temps t1, n = 1 420-3 108 selon les critères) : les variants génétiques sont en l’occurrence les variables instrumentales ou proxy qui servent à explorer une éventuelle relation causale entre l’exposition au facteur de risque supposé, l’IMC par exemple, et le phénotype cardiovasculaire; (3) rappel par génotype (Recall-by-Genotype), variante de la méthode précédente, appliquée à un sous-groupe spécifique (âge = 21 ans au temps t2, n = 386-418) composé de patients rappelés au sein de la cohorte précédente quatre années plus tard du fait d’un génotype connu et corrélé à la variable d’intérêt, en l’occurrence l’IMC élevé.
L’exposition à ce dernier est donc ainsi prise en compte de manière prospective et des phénotypes cardiovasculaires très précis sont réunis en petits effectifs (grâce au génotypage) sans perte de puissance statistique compte tenu de la spécificité des profils retenus. Les méthodes 2 et 3 remplacent le tirage au sort des études randomisées par la répartition aléatoire des allèles qui se fait au moment de la conception et de la méiose : de la sorte, les groupes génotypiques comparés sont en théorie indépendants des facteurs de confusion et échappent à la causalité inverse, mais cette approche qui constitue un progrès magistral n’est est pas pour autant la panacée.
Incitation à la prévention primaire précoce
Les résultats obtenus avec le secours de la génétique chez des sujets jeunes suivis, pour certains entre l’âge de 17 et 21 ans plaident en faveur d’une association positive entre l’IMC, d’une part, la pression artérielle et la masse ventriculaire gauche indexée (MVGI), d’autre part. Ainsi, avec la randomisation mendélienne, la MVGI augmente, pour 1 kg/m2de différence intergroupe, de 1,07 g/m2,7(intervalle de confiance IC à 95 %, 0,62–1,52; p = 3.87×10-06). Avec la méthode RbG, la valeur correspondante pour 3,58 kg/m2 est de 1,65 g/m2,7; IC95 % 0,83–2,47 ; p = 0,0001). Par ailleurs, un lien de causalité entre l’augmentation de l’IMC et l’augmentation du volume d’éjection systolique indexé semble probable d’après la méthode RbG, soit pour une différence de 3,58 kg/m2, une variation de 1,49 ml/m2.04; IC95 % 0,62–2,35 ; p = 0,001) et il en est de même pour le débit cardiaque, soit pour 3,58 kg/m2 une variation de 0,11 l•min-1•m-1.83; IC95%, 0,03–0,19; p=0,01). En revanche, aucun lien de ce type n’a été mis en évidence avec les résistances vasculaires systémiques, la compliance artérielle totale ou encore la fréquence cardiaque, quelle que soit la méthode d’analyse des données.
La randomisation mendélienne couplée à la méthode RbG suggère que l’augmentation de l’IMC est délétère pour le système cardiovasculaire, même chez l’adolescent et l’adulte jeune, au travers notamment de l’élévation de la PA, de la MVGI et du débit cardiaque. C’est le volume d’éjection systolique qui serait en cause dans les altérations précoces des structures et des fonctions ventriculaires gauches. Quoiqu’il en soit, cette étude incite à lutter le plus précocement possible contre le surpoids dès l’adolescence dans une démarche de prévention primaire. Elle illustre aussi la puissance de la génomique au service de l’épidémiologie, pour peu que son potentiel soit utilisé dans les conditions ad hoc, en toute connaissance des limites intrinsèques des analyses évoquées, qu’il s’agisse de la randomisation mendélienne ou de la méthode dite RbG.
Dr Catherine Watkins
RÉFÉRENCE : Wade KA et coll. : Assessing the Causal Role of Body Mass Index on Cardiovascular Health in Young Adults. Mendelian Randomization and Recall-by-Genotype Analyses. Circulation. 2018;138:2187–2201.
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