Magazine ACTIVITÉ PHYSIQUE ALIMENTATION
CORINNE VOYER Directrice / Coalition Poids Le 8 octobre 2019
Les politiciens doivent s’engager à interdire la publicité alimentaire ciblant les enfants
Cette semaine, la Coalition québécoise sur la problématique du poids (Coalition Poids) dévoile un portrait de la publicité alimentaire destinée aux enfants. Il s’agit d’une première depuis l’adoption, au Québec, de la Loi sur la protection du consommateur, il y a 40 ans. Car, s’il est interdit de faire de la publicité destinée aux enfants, nos travaux démontrent que l’industrie alimentaire profite des exceptions de la loi pour cibler les jeunes et que quelques entreprises persistent à utiliser des pratiques illégales.
Ainsi, bien que le Québec ait fait figure de pionnier mondial en la matière, on doit reconnaître que sa loi est lacunaire, car elle ne protège pas complètement les enfants partout où il le faudrait. C’est pourquoi nous appelions de nos vœux le projet de loi encadrant la publicité d’aliments malsains visant les enfants, que le gouvernement fédéral sortant avait l’intention d’instaurer, mais qui, malheureusement, est mort au feuilleton. Et pour bien faire comprendre au prochain gouvernement l’importance de reprendre et de compléter au plus vite ces travaux, nous avons réalisé un état de situation, ici au Québec, dans les commerces de détail alimentaires, les principales chaînes de restaurants rapides et familiaux, ainsi que 24 lieux et événements familiaux.
Faire l’épicerie avec ou sans les enfants ?
Les commerces de détail alimentaires regorgent de publicité destinée aux enfants. Sur une période de six mois, et en excluant les gommes, les chocolats et les bonbons, la Coalition Poids a recensé 469 emballages de produits alimentaires ciblant les enfants dans différents commerces. Le plus préoccupant est de constater que dans 90 % des cas, il s’agit d’aliments ultra-transformés, riches en sucre, sel ou gras saturés. De plus, les catégories de produits les plus publicisés auprès des enfants sont des aliments du quotidien, comme les collations, les céréales et les produits laitiers.
Dès lors, il devient difficile pour les parents de faire l’épicerie avec leurs enfants qui, constamment bombardées de publicités, font des demandes répétées pour obtenir des produits présentés spécifiquement pour attirer leur convoitise. C’est un véritable parcours du combattant qui se répète dans chaque allée, sans oublier la fameuse file d’attente à la caisse, où abondent les présentoirs de bonbons placés à la hauteur des yeux des enfants. Cela est bien dommage, car faire l’épicerie en famille devrait plutôt être une occasion agréable de transférer des connaissances et de développer les compétences alimentaires des jeunes.
Des restaurants pensés pour fidéliser vos enfants
Plusieurs stratégies sont utilisées dans les restaurants pour attirer l’attention des enfants, créer un sentiment d’appartenance et les fidéliser : personnages de marque, menus jouets, cahiers d’activités, emballages ludiques, affiches promotionnelles, présentoirs de jouets, salles de jeux, etc. La Coalition Poids a même constaté que plusieurs restaurants profitent des menus enfants pour faire du placement de produits d’une marque spécifique.
L’offre de jouets, qui accompagnent les repas pour enfants est une tactique publicitaire largement utilisée et soigneusement organisée. Souvent, ces cadeaux sont associés à des films, des émissions ou des séries de jouets populaires pour enfants. Et la plupart sont à collectionner dans une période de temps limité, ce qui incite les jeunes à revenir rapidement pour obtenir l’ensemble des jouets faisant partie de la promotion. Le jouet est ainsi utilisé pour créer une relation affective entre l’enfant et le restaurant.
Les événements familiaux en voie d’amélioration
Dans plusieurs événements et lieux familiaux, les enfants sont exposés à des publicités d’aliments riches en sucre, en sel et en gras, dont certaines les visent explicitement. Que ce soit à l’occasion de grandes fêtes familiales, dans des centres de ski, des parcs d’attractions ou des cinémas, plusieurs tactiques ont été observées, telles que l’utilisation d’affiches et de commandite dans des zones particulièrement fréquentées par les enfants.
À l’heure actuelle, dans les cinémas, les bonbons, les chocolats, les croustilles, le maïs soufflé et les boissons sucrées font l’objet d’une promotion intensive. Les bonbons accompagnés de leurs mascottes abondent et sont tout particulièrement publicisés. Toutefois, la Coalition Poids se réjouit de constater que, dans les événements familiaux, la situation s’est améliorée au cours des dernières années.
Acceptabilité sociale, oui, mais volonté politique…
Jusqu’à présent, la santé des Canadiens n’a pas été beaucoup abordée dans la campagne électorale fédérale. Pourtant, 17 millions d’adultes sont en excès de poids au Canada. Devant ce constat, il est impossible de nier l’influence des milieux de vie et l’importance des politiques publiques dans la problématique de l’obésité.
Actuellement, l’environnement alimentaire est trop souvent défavorable à de saines habitudes de consommation. Selon un sondage IPSOS réalisé en 2019 pour le compte de la Coalition Poids, une forte majorité de Québécois (84 %) convient d’ailleurs que les enfants sont trop exposés à des publicités, des emballages, des présentoirs de malbouffe et que ces pratiques devraient être encadrées dans les commerces. Ils sont également d’accord (86 %) pour que le gouvernement fédéral limite la publicité ciblant les enfants de moins de 13 ans dans les commerces.
Les différents partis doivent s’engager à poursuivre les travaux initiés par Santé Canada visant à interdire la publicité d’aliments et de boissons riches en sucre, sel et gras destinée aux moins de 13 ans. Il ne s’agit pas d’un enjeu partisan, mais bien de protéger la santé de nos enfants avant les intérêts commerciaux de l’industrie alimentaire.
Pour suivre les engagements des principaux partis liés à l’obésité et aux saines habitudes de vie, la Coalition Poids a mis en ligne une section spéciale sur son site Web. Visitez-la régulièrement et n’hésitez pas à questionner vos candidats sur leur vision du système alimentaire : c’est votre privilège d’électeur et c’est dans notre intérêt à tous.
Pour en savoir plus sur le Portrait québécois de la publicité alimentaire aux enfants, sur les stratégies de marketing observées et les plaintes déposées par la Coalition Poids auprès de l’Office de la protection du consommateur consultez le tout sur notre site Web.
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Magazine ACTIVITÉ PHYSIQUE ALIMENTATION
FRANÇOISE RUBY – Journaliste / 100°– Le 8 octobre 2019
Taxation des boissons sucrées : radiographie de l’expérience française
Des chercheurs ont analysé les conditions ayant mené à l’adoption d’une taxe sur les boissons sucrées en France. Leur étude de cas fournit des outils aux acteurs de santé publique qui souhaitent influencer le processus au bon moment et avec les bons arguments.
Pourquoi l’idée d’une taxe sur les boissons sucrées a-t-elle émergé en France et comment est-elle devenue une politique publique ? Grâce à un concours de circonstances bien alignées, affirment les auteurs de cette étude de cas.
La taxe française
Annoncée en août 2011 et adoptée en décembre, la taxe française est entrée en vigueur en janvier 2012. À ce moment, cette taxe d’accise* était de 7,16 centimes d’euro/litre (9 ¢) et s’appliquait sur les boissons sucrées ET les boissons édulcorées.
De 2005 à 2010 : des tentatives disparates qui échouent
Entre 2005 et 2010, les parlementaires français ont débattu plusieurs fois de l’adoption d’une taxe sur les aliments malsains, dont les objectifs principaux étaient de combattre l’obésité et de réduire le déficit budgétaire.
Toutefois, aucun des projets de loi n’a abouti, soulignent les auteurs de l’étude, parce qu’ils ont été amenés par différents partis et de façon disparate. L’absence de consensus a également été alimentée par plusieurs acteurs gouvernementaux qui soulignaient la complexité de la mise en place d’une telle taxe et remettaient en question son efficacité et son acceptabilité sociale.
2011 : la convergence
Selon les auteurs de cette étude de cas, l’adoption de la taxe sur les boissons sucrées en 2011 repose sur le fait qu’elle représentait une solution potentielle pour régler plusieurs problèmes :
- Un enjeu de longue date : combattre l’obésité et les maladies en découlant.
- Une priorité grandissante : réduire le déficit de l’assurance maladie.
- Une préoccupation soulignée dans un rapport soumis par Bernard Reynès, un député de la majorité : la nécessité de soutenir la compétitivité du secteur agricole français, particulièrement les producteurs de fruits et légumes, dont les coûts salariaux étaient plus élevés que ceux des pays voisins.
La fenêtre politique
En août 2011, le premier ministre a annoncé une série de mesures fiscales visant à renflouer les coffres de l’État. Cette annonce incluait une surprise : une taxe sur les boissons sucrées, dont les recettes serviraient à prévenir l’obésité et réduire le déficit de l’assurance maladie.
Ce geste, posé dans un contexte de fortes tensions économiques et d’élections prochaines, a ouvert une fenêtre politique, indiquent les auteurs de l’étude. Toutefois, cette mesure a soulevé de nombreuses critiques et débats.
Pour parvenir à un consensus, plusieurs compromis ont été nécessaires. Ainsi, Bernard Reynès, soutenu par le ministre de l’Agriculture et le Président, a eu gain de cause : les revenus générés par la taxe sur les boissons sucrées ont été assignés au soutien du secteur agricole et au budget de l’assurance maladie.
C’est ce glissement d’une mesure de santé publique vers une justification budgétaire qui a permis l’adoption rapide de cette taxe par l’Assemblée nationale le 21 décembre, malgré un rejet du Sénat et une contestation de sa constitutionnalité.
« Cette étude du cas français illustre qu’au-delà de considérations de santé publique, divers facteurs peuvent influencer le processus d’élaboration d’une taxe sur les boissons sucrées, ses chances d’adoption et ses retombées potentielles en termes de santé publique. D’où l’importance de mieux comprendre ces processus. » Yann Le Bodo, doctorant en Santé communautaire à l’Université Laval et auteur principal
Un lobby défaillant et désordonné
De plus, les auteurs de cette étude de cas soulignent qu’un autre facteur a contribué à l’adoption de cette taxe : le lobby de l’industrie des boissons sucrées a non seulement été surpris par l’annonce cette taxe et y a réagi de façon irréfléchie, mais il s’est également divisé.
« D’une part, suite à l’annonce du gouvernement, la réaction du leader des boissons sucrées de suspendre un investissement sur un site industriel a été très critiquée dans les médias, précise Yann Le Bodo, doctorant en santé communautaire à l’Université Laval et auteur principal de cette étude. Il a d’ailleurs fait marche-arrière. D’autre part, durant le processus législatif, l’incertitude associée à l’inclusion (ou non) des boissons non-caloriques dans l’assiette de la taxe a divisé les fabricants, qui se retrouvaient inégalement impactés selon le cas. »
Coca-Cola avait en effet beaucoup misé sur les boissons édulcorées au cours des années précédentes, alors que le groupe Schweppes-Orangina avait plutôt opté pour une réduction de la teneur en sucre de ses produits. Résultat de cette division des intérêts stratégiques : la taxe, plutôt que d’être abandonnée, a été étendue aux boissons édulcorées, un point qui lui enlevait du même coup sa justification en matière de santé publique.
Une conjoncture accidentelle : la théorie des courants
Pour offrir aux acteurs de la santé publique des outils d’analyse stratégique, les auteurs de l’étude ont inscrit le cheminement de cette taxe dans un cadre théorique conçu par John W. Kingdon, un scientifique américain. «Il s’agit d’une des théories sur les processus politiques les plus complètes et empiriquement validées », indique Yann Le Bodo.
Cette théorie se résume ainsi : la mise à l’ordre du jour d’une politique publique est fortement favorisée si un acteur influent (entrepreneur politique) relie le courant des problèmes, le courant des solutions et le courant de la politique. La simultanéité de ces courants et la présence d’un entrepreneur politique entraînent l’ouverture d’une fenêtre d’opportunité.
Dans ce cas, les entrepreneurs politiques ont été la ministre du Budget, et le Rapporteur général de la Commission des finances à l’Assemblée Nationale, qui ont œuvré pour qu’un compromis soit atteint. Les enjeux de santé publique, de déficit budgétaire et de soutien au secteur agricole représentaient le courant des problèmes, tandis que la taxe représentait celle du courant des solutions. Le courant de la politique se reflète dans l’annonce de cette mesure fiscale.
Bien cerner le processus
Le cas de l’adoption de la taxe sur les boissons sucrées en France illustre bien, pour les acteurs de la santé publique, l’importance de comprendre le processus qui mène à l’adoption d’une politique, afin d’en influencer le cheminement au bon moment et avec des arguments fondés, concluent les auteurs de l’étude. qu’au-delà de considérations de santé publique, divers facteurs peuvent influencer le processus d’élaboration d’une taxe sur les boissons sucrées, ses chances d’adoption et ses retombées potentielles en termes de santé publique
Ils ajoutent que « la taxe française, malgré son objectif de départ louable, a souffert d’une période de consultation limitée et d’une perte de contrôle de la part de ceux qui l’ont eux-mêmes proposée. » Elle manquait notamment d’une justification valable, incluait les boissons édulcorées, son taux était faible et ses recettes n’étaient pas affectées au secteur de la santé publique.
« Les recommandations de l’Organisation mondiale de la Santé, publiées en 2016, soulignent l’intérêt d’une taxe appliquée à un taux élevé, ciblant les boissons avec sucres ajoutés, tenant compte si possible de la teneur en sucres pour encourager la reformulation, et dont les revenus seraient réinvestis au bénéfice de causes soutenues par la population. » Yann Le Bodo
2017-2018 : des changements importants
Toutefois, récemment, la taxe française a été modifiée et correspond un peu mieux aux recommandations de l’Organisation mondiale de la Santé, publiées en 2016. En effet, en 2017, un large consensus au sein des députés a permis l’adoption d’une taxe linéairement ajustée à la teneur en sucre des boissons, afin d’inciter les fabricants à reformuler leurs produits. Ainsi, depuis juillet 2018, une boisson sucrée contenant 10 g de sucre par litre est assujettie à une taxe qui a presque doublé soit, 13,5 centimes d’euro/L, tandis que la taxe sur les boissons édulcorées a été réduite de plus de la moitié, passant à 3 centimes d’euro/L. Par contre, il n’y a pas as de progrès en ce qui concerne revenus générés par cette taxe : depuis 2014, ils servent seulement à réduire le déficit de l’assurance maladie.
Rappelons qu’à la fin de 2018, plus de 40 pays et juridictions locales avaient mis en place une taxe sur les boissons sucrées et que plusieurs études ont démontré son efficacité pour en réduire la consommation. Au Canada, des organisations comme la Coalition Poids et la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC pressent le gouvernement de passer à l’action.
Les conditions favorables
Bien que chaque contexte soit différent et que la combinaison de conditions pouvant conduire à l’adoption d’une taxe sur les boissons sucrées soit donc variable, Yann Le Bodo précise que certaines conditions semblent y être fréquemment associées :
- une situation sanitaire ou budgétaire préoccupante ;
- un leadership politique ;
- une collaboration entre les autorités en charge de la santé et des finances ;
- un contexte juridique adéquat ;
- un cadrage de la mesure cohérent et relativement soutenu par l’opinion publique ;
- des efforts de plaidoyer d’organisations de la société civile ;
- des données scientifiques à l’appui.
Source : Y. Le Bodo, F. Etilé, F. Gagnon, P. De Wals. Conditions influencing the adoption of a soda tax for public health: Analysis of the French case (2005–2012). Food Policy, 18 September 2019.
* La taxe d’accise, payée par le fabricant, est appliquée sur la quantité produite et non sur la valeur d’un produit.