SOCIÉTÉ 11 novembre 2022

La professeure de droit Louise Langevin aborde le sujet sensible de la sexualité des aînés dans un colloque

Par : Alexandra Perron

Partager : « Les personnes âgées ne sont pas asexuelles ou post-sexuelles! » | Société | ULaval Nouvelles

Les personnes aînées veulent encore faire des rencontres amoureuses et vivre leur sexualité, selon de nombreuses études.  ULaval Nouvelles ULaval Nouvelles

À 77 ans, le désir de faire des rencontres amoureuses, de se coller et de vivre une sexualité selon ses capacités existe encore.

« Les personnes âgées ne sont pas asexuelles ou post-sexuelles! » clame Louise Langevin, professeure à la Faculté de droit.

Le sujet est tabou, fait frémir les familles et rend mal à l’aise le personnel soignant.

Il devient aussi complexe quand la démence survient et affecte le consentement. Comment trouver l’équilibre entre les droits sexuels des aînés et leur protection?

« On est une société vieillissante et ces questions-là vont se poser de plus en plus », indique en entrevue la professeure Langevin, également titulaire de la Chaire de recherche Antoine-Turmel sur la protection juridique des aînés.

En discuter s’impose et l’Université Laval participe à cette grande réflexion avec le colloque « Amour, sexualité et démence en milieu d’hébergement: regards interdisciplinaires sur les enjeux et les défis », qui a affiché complet le 11 novembre.

Le problème se pose principalement dans les milieux d’hébergement, résidences privées pour aînés (RPA) et CHSLD, où l’on souhaite voir davantage respecter la conjugalité (ne pas séparer les couples et leur permettre d’avoir de l’intimité) et la diversité sexuelle.

Le Comité national d’éthique sur le vieillissement s’est penché sur ces deux enjeux et un rapport a été déposé en début d’année 2021 par la ministre responsable des Aînés et des Proches aidants, Marguerite Blais.

Sur cette lancée, « on est là pour réfléchir à des solutions sur le terrain », poursuit la professeure Langevin, en mentionnant que les participants au colloque s’intéressent autant aux volets éthique, juridique et social que médical de la sexualité des aînés en établissement.

Le but, dit-elle, est de rendre les hébergements plus humains, de faire des nouvelles maisons des aînés un vrai chez-soi.

Capable de consentir ou non 

La grande question concerne le consentement à la sexualité. Lorsqu’une personne aînée est capable de consentir, elle prend ses décisions pour elle-même, tranche l’avocate.

Ce n’est pas aux enfants de décider si leur père ou leur mère peut fréquenter la personne de la chambre d’à côté.

« Les familles s’opposent à cette question de l’activité sexuelle de leurs vieux parents.

Elles sont informées sur le plan des soins, mais elles veulent être informées plus largement.

Et elles pensent avoir un consentement à donner sur l’activité sexuelle. Mais non! »

À l’opposé, dit-elle, quand une personne âgée souffre de démence, d’Alzheimer, qu’elle n’est pas capable de dire oui ou non, de comprendre les conséquences de l’activité sexuelle, qu’il y a des endroits et des moments pour ça et que ça prend le consentement de l’autre personne, alors il ne peut pas y avoir de sexualité. « C’est l’état du droit. »

La professeure Langevin mentionne au passage qu’il y a des agressions sur les personnes âgées (principalement des femmes, précise-t-elle, comme elles sont beaucoup plus nombreuses en établissement).

Mais il n’y a pas de statistiques fiables, comme souvent les victimes ne portent pas plainte.

« Il y a un autre tabou là-dessus: qui voudrait agresser sexuellement une personne aînée?

Alors qu’on sait que les agressions sexuelles n’ont pas de lien avec l’attirance. »

Difficile zone grise

En matière de consentement sexuel, il y a aussi toute une zone grise.

« Quand la maladie est en évolution, quand la capacité de comprendre et de consentir fluctue, comment on fait pour décider?

C’est compliqué parce qu’il y a de bonnes journées, de moins bonnes journées », poursuit la professeure.

Elle donne l’exemple d’un monsieur qui visite son épouse en RPA.

« Si madame ne peut pas consentir, ce n’est pas parce qu’ils sont mariés que monsieur a un droit de propriété sur elle », lance l’avocate.

D’autres disciplines que la sienne soutiennent qu’il peut y avoir une forme d’« assentiment ».

Une personne qui ne peut pas consentir, mais qui n’est pas agressive et n’a pas peur de son partenaire après l’acte sexuel, pourrait laisser supposer qu’elle a aimé ça.

Ce cas de figure est extrêmement délicat, difficile à évaluer et peut faire l’objet d’un débat.

« J’ai de la misère avec l’assentiment. Ce n’est pas une notion juridique », plaide pour sa part la professeure Langevin.

Elle fait un parallèle avec le consentement libre et éclairé exigé pour faire un testament: il faut comprendre, les critères sont très élevés.

Elle convient qu’il est toutefois difficile pour les travailleurs en établissement de statuer dans la zone grise.

« Il y a des outils qui existent, des questionnaires qui ont été élaborés du côté du monde anglo-saxon, aux États-Unis, en Australie, en Angleterre, des questions que l’on peut poser à la personne âgée pour évaluer sa capacité de consentir.

Mais ça demande du personnel pour les évaluer », dit-elle en faisant allusion à la pénurie de main-d’œuvre.

Jusqu’où va aller le respect de la liberté sexuelle? demande encore Louise Langevin, en soulevant la question des jouets sexuels ou de l’accès à Internet pour consulter des sites pornographiques en milieux d’hébergement.

La professeure souhaite que les idées se brassent, que les tabous tombent, que les familles soient sensibilisées à ces réalités, aux besoins et aux droits des aînés, que le personnel soit formé sur ces enjeux, incluant le respect de la diversité sexuelle, car il y a des membres de la communauté LGBTQ+ dans les établissements.

« En démographie, les baby-boomers sont une génération pivot.

À toutes les nouvelles étapes de leur vie, ils ont changé la façon de faire les choses, parce qu’ils sont un gros groupe.

Ils ont commencé leur retraite, il y en a qui sont peut-être en établissement.

C’est pour ça que toutes ces questions se posent. »